Un certain nombre d’ouvrages portant sur l’islam et sa pratique viennent de paraître . Caricaturaux, équilibrés ou solidement argumentés, ils illustrent la place prise par cette religion dans le débat politique français. Nous chroniquerons en gardant le meilleur pour la fin !
Élisabeth Schemla n’y va pas de main morte : « Dans les rues, les hidjabs prolifèrent, dans les cités et les quartiers le niqab fleurit, et parfois la burka. Le halal devient une obligation religieuse, des cantines d’écoles ou des hôpitaux prescrivent le porc pour tous, des médecins acceptent de passer la main à une collègue pour ne pas offenser une patiente qui ne saurait être soignée par un homme. Des caricatures de Mahomet déchaînent l’hystérie et les menaces. Un nouveau concept, l’islamophobie, fait trembler les pleutres descendants de Voltaire. Des violences jusqu’aux plus graves sont perpétrées au nom de l’islam. Bref, inutile de fuir devant le constat : notre socle culturel et notre modèle laïc en prennent un très sérieux coup […]. Une confrontation inédite en son sein agite la France : religion importée contre laïcité […]. Mais, au fond : ont-ils raison, les Français, d’avoir peur de l’islam ? Eh bien oui. »
Ces quelques extraits illustrent le propos d’Élisabeth Schemla : il existe une pénétration progressive de la France par l’islamisme et son prodigieux écho dans la « génération islam ». Une conquête progressive et patiente de la France par l’islam radical et ses multiples organisations dont les meurtres commis par Mohamed Merah sont le symptôme extrême. « Le scénario à l’œuvre est le même qu’en terre musulmane. De Lille à Marseille, la mécanique est adaptée aux forces et aux faiblesses de notre État laïc et républicain : port du niqab pour les femmes, infiltration de l’enseignement, prêches dans les mosquées, formation d’imams et de djihadistes pour façonner des martyrs et des héros (comme Merah), associatif à outrance pour pallier les défaillances étatiques et conversions sur fond de déshérence sociale et de délitement identitaire. Le tout avec l’aide puissante et méconnue de média arabes et d’États comme le Qatar, qui joue désormais un rôle majeur en France avec Al-Jazeera, le PSG, le financement des banlieues… ». Pour l’auteur, la République étant en panne rien d’étonnant à ce que l’islam – refuge – prenne le relais. Il est dommage que les propos de l’ancienne directrice du site « Proche-Orient info », s’appuyant sur quelques faits réels et préoccupants, laissent apparaître des amalgames et des démonstrations hasardeuses, et laissent finalement une impression
désagréable.
Un désir de certitude
Si le réquisitoire de Philippe D’Iribarne est moins virulent que celui d’Elisabeth Schemla il n’en est pas moins à charge. Il s’appuie sur une enquête d’opinion de juin 2012 testant le mot islam et dont le résultat indiquait qu’il recueillait 81 % d’opinions négatives contre 63 % en 2007 (année de l’élection de Sarkozy, par ailleurs). L’opinion serait particulièrement sensible à ce qui tourne autour de la démocratie et de droits de l’homme. Le sociologue cherche alors à savoir si des caractéristiques intrinsèques de l’islam jouent un rôle dans ce résultat. Il résume ainsi sa démarche : « mieux comprendre la fascination pour l’unité dans le monde musulman, en cherchant ce qu’elle peut devoir à l’islam, et saisir ce qui en résulte dans l’accueil que ce monde réserve au projet démocratique et regarder si les objections a priori à toute recherche d’aspects structurels de l’islam sont vraiment fondées. » Car pour lui « il s’agit de se concentrer sur la compréhension de l’univers mental au sein duquel la pluralité des points de vue prend sens ». Au terme de ses investigations, il conclut : « une figure s’est effectivement dessinée avec insistance et est bien apparue comme liée au cœur de l’islam. Elle met en relation ce qui touche à la crainte de la division avec un ensemble de traits centré sur le désir de certitude. » La cohérence entre ce sentiment de certitude et le rejet du pluralisme est à la fois logique, psychologique et sociale. Selon l’auteur, le Coran évoque à tout moment les preuves incontestables face auxquelles il n’est de choix qu’entre la soumission des croyants unanimes et le refus haineux d’infidèles honnis de Dieu. La philosophie islamique célèbre une certitude reçue d’en haut et le règne d’un bon pouvoir, loin des débats obscurs de l’agora. Le droit islamique est en quête de sources inspirées dont Dieu serait le garant. Dans un tel univers, comment les doutes, les divisions, les tâtonnements d’une démocratie pluraliste pourraient-ils prendre sens ?
Une inquiétude
En contrepoint, Malek Chebel réputé pour avoir publié le Manifeste pour un islam des lumières et l’Islam et la Raison – entre autres – nous livrent un ouvrage permettant d’aller à la rencontre des « Grandes figures de l’islam ». C’est l’occasion pour le lecteur de découvrir les portraits de politiques, de philosophes, de poètes, de médecins, de bâtisseurs ou de mystiques. Paladin, Soliman le Magnifique, Averroès, Umar Khayyam, Léon l’Africain et même Oum Kalsoum, sont évoqués. Parce que la première décennie du XXIe siècle s’annonce déjà comme la plus féconde dans le domaine du brassage des populations (ce qui ne va pas sans créer des frictions, notamment en temps de crise) le spécialiste de l’islam, parce qu’il sait que l’islam apparaît soudainement comme la religion la plus dynamique et partant la plus inquiétante, veut à travers l’histoire des grandes figures faire comprendre l’esprit de cette religion qui est aussi culture. Pour lui, le danger n’est pas intrinsèque à sa doctrine même, mais à son application, son ressenti. Il regrette d’ailleurs son repliement actuel dans un conservatisme contre-productif. C’est sous la forme d’un dictionnaire que dans un second ouvrage Malek Chebel évoque la diversité de ceux qui incarnent (ou ont incarné) le mouvement de réforme à l’intérieur de l’islam. Pour lui la réforme en Islam s’est trouvée en butte aux mêmes questions que la réforme au sein du christianisme : rapport à la science, au progrès, aux mutations politiques. Est évoquée également la lutte contre certains aspects de la vie religieuse traditionnelle perçus comme obscurantistes, à l’instar de ce qu’a pu être, dans le catholicisme, la volonté de se dégager de la mainmise sociale et financière de telle ou telle institution conservatrice.
Le Qatar
Signalons la parution de deux ouvrages sur le Qatar. Quelques chapitres sont consacrés à l’islam d’un point de vue géopolitique et dans la volonté attribuée à cette monarchie d’interférer dans les affaires de la seconde religion de France. Dans celui de Nicolas Beau et Jean-Marie Bourget, le pays (aux 210 milliards de puissance d’investissement) est présenté comme voulant s’engouffrer dans l’espace géographique agité post-printemps arabe pour y soutenir ceux qui voudraient instaurer une nouvelle chape de plomb du pouvoir religieux. Ils accusent le Qatar d’être à la manœuvre derrière les Frères musulmans, de travailler à la propagation du Coran dans sa version wahhabite liberticide (y compris en France) et de soutenir le messianisme jihadiste de groupuscules semblables à ceux que la France combattait au Nord Mali.
L’ouvrage de Chesnot et Malbruno est moins expéditif et relativise le poids réel des investissements du Qatar. Mais il pointe un certain nombre de dangers liés au comportement du Qatar comme le soutien aux islamistes liés aux Frères musulmans. Ce qui n’est pas pour déplaire aux États-Unis qui, dans leur nouvelle approche du Moyen-Orient, voient dans le Qatar un relais très utile avec les pouvoirs islamistes nés des révolutions.
Quelle radicalisation ?
Un ouvrage en cours de parution aux éditions de l’Institut national d’études démographiques (INED) vient à point nommé. Il reprend les résultats d’une enquête de l’INED et de l’INSEE, réalisée entre septembre 2008 et février 2009, qui décrit et analyse les conditions de vie et les trajectoires sociales des individus en fonction de leurs origines sociales et de leur lien à la migration. L’enquête, qui concerne 21 000 personnes, s’interroge sur l’importance et l’effet des expériences de discrimination sur les parcours des individus. Les auteurs, le démographe Patrick Simon – controversé pour son implication dans le cadre du débat sur les statistiques ethniques – et le jeune politiste Vincent Tiberj, concluent ainsi : « Les résultats de l’enquête confirment la forte sécularisation de la population en France. La population majoritaire se distingue de ce point de vue assez nettement des immigrés et de leurs descendants. Non seulement la proportion d’athées et d’agnostiques y est beaucoup plus élevée, mais la religiosité des catholiques, qui forment l’essentiel des personnes religieusement affiliées de la population majoritaire, est plus faible que celle observée pour les musulmans ou les juifs. À l’inverse, la religion joue un rôle plus important dans la vie des musulmans aussi bien en tant que référence spirituelle, culturelle ou sociale, ainsi que comme trait identitaire. Fait remarquable, les descendants d’immigrés issus de familles musulmanes gardent un plus grand engagement dans la religion, contrastant avec ceux venant de familles catholiques qui suivent plus ou moins l’évolution vers la sécularisation qui prévaut en France.
La transmission intergénérationnelle est ainsi plus directe dans les familles musulmanes ou juives, soulignant le rôle spécifique joué par la religion dans l’immigration. Dépassant la seule dimension spirituelle, l’attachement à la religion comme marqueur culturel et identitaire est plus actif parmi les descendants d’immigrés de culture musulmane. L’émergence d’un islam de France se dessine dans ces transmissions et réappropriations.
Le regain religieux, ou re-traditionnalisation, voire la radicalisation autour de l’islam trouvent-ils confirmation dans l’enquête ? Nos données ne permettent pas de traiter directement de la radicalisation, mais les éléments obtenus sur l’évolution de la religiosité et les frontières sociales construites autour de la religion tendent à relativiser les thèses de repli identitaire. S’il est vrai que l’expression de la religiosité est plus manifeste parmi les musulmans de moins de 26 ans, comme pour les juifs mais contrairement à ce qui est observé pour les catholiques, ce phénomène relève d’abord d’une évolution qui concerne toutes les familles musulmanes.
Autrement dit, il n’y a pas une rupture générationnelle qui signalerait un rapport plus intense à la religion chez les jeunes nés en France, mais plutôt une affirmation plus grande de la religion parmi les populations immigrées depuis les années 1980 qui s’inscrit dans un mouvement plus global d’évolution de la fonction de la religion dans les pays musulmans. De même, on ne relève pas de « communautarisme » qui serait spécifique aux musulmans, mais des tendances aux affinités électives entre groupes religieux ou athées qui recoupent les formes d’homogamie sociale qui structurent la société française. Dans le contexte de ces préférences pour le semblable, les musulmans se montrent même plus hétérophiles dans leurs cercles amicaux. En clair ce sont eux qui ont le plus d’amis n’ayant pas la même religion qu’eux.
Les préjugés tenaces sur le « communautarisme musulman » régulièrement brandi par quelques responsables politiques pour appuyer une peur de l’islam, sont balayés par les statistiques.
- Élisabeth Schemla, Islam, l’épreuve française, Plon.
- Philippe D’Iribarne, L’islam devant la démocratie, Gallimard.
- Malek Chebel, Les grandes figures de l’islam, Perrin.
- Malek Chebel, Changer l’islam, Albin Michel.
- Patrick Simon, Vincent Tiberj, Sécularisation ou regain religieux : la religiosité des immigrés et de leurs descendants, INED (à paraître).
- Georges Malbrunot, Christian Chesnot, Qatar : les secrets du coffre-fort, Michel Lafon.
- Nicolas Beau, Jacques-Marie Bourget, Le vilain petit Qatar, Fayard.
http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/210114/lire-sur-l-islam-patrick-coulon