Guerre au Nord-Mali: Question touarègue et pauvreté aux racines de la colère (1/2)
GUERRE AU MALI - Peut-on aujourd'hui penser gagner une guerre asymétrique, ou même seulement la terminer, sans envisager et construire la paix qui suivra?
Certainement non, or ceci n'attend pas: c'est au cœur de l'engagement militaire qu'il faut le faire. Même si l'urgence semble être ailleurs, cela commence aujourd'hui, et maintenant. Si la guerre vise avant tout Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), ce n'est pas avec AQMI que l'on construira la paix. Ce n'est possible qu'avec le soutien des populations locales, et notamment des touaregs: acteurs d'une guerre qu'ils ont déjà perdu, ils doivent être les acteurs d'une paix impossible sans eux. La "question touarègue" et le sous-développement, causes profondes du conflits, pourtant reléguées au deuxième plan par l'actualité militaire, doivent revenir au cœur de l'action de la France, si celle-ci veut éviter un engagement sans issue, une guerre sans victoire.
Il faut revenir sur ces questions, les replacer au cœur de notre engagement. Depuis le début del'intervention franco-africaine au Mali, avec un soutien logistique occidental, deux mots reviennent dans l'analyse: balkanisation et afghanisation. Ces parallèles avec les conflits récents les plus médiatisés reflètent une volonté classique d'inscrire dans des cadres de compréhension existant des problématiques en apparence nouvelles. Pourtant, les racines du conflit remontent à l'origine du pays et jusqu'à la colonisation elle-même. Elles remontent aux origines de la question touarègue et aux dynamiques politiques, économiques, culturelles, sociales et criminelles qui agitent la région sahélienne et le Sahara depuis un siècle.
Les touaregs, de la colonisation aux indépendances: un mode de vie et une identité meurtris
Avant la colonisation, le Sahara est un territoire inhospitalier, par lequel transitent dattes, sel et esclaves, occupé majoritairement par un peuple: les Touaregs, de leur vrai nom "Tamshek". Peuple nomade, ils participent notamment aux échanges commerciaux, en assurant le transport à travers le désert et en enlevant des subsahariens pour l'esclavage. Fiers, les touaregs ont une identité très forte. Islamisés tardivement, ils pratiquent un islam modéré, mélangé à leur propre culture. Les femmes sont peu voilées et tiennent un rôle important dans cette société matriarcale. Certaines prohibitions, comme le porc, n'y sont pas toujours appliquées.
Vaincu et colonisé au début du XXème siècle, le peuple guerrier touareg se rebelle dès 1916. Le commerce transsaharien chute, du fait de l'interdiction de l'esclavage et la restructuration du commerce mondial. Les touaregs sont contraints de se rabattre sur l'agropastoralisme nomade, voire d'abandonner leur mode de vie traditionnel en se sédentarisant. Ces transformations socioéconomiques agressent violemment le mode de vie et l'identité touarègue. Or, la stigmatisation et l'attaque contre l'identité d'individus conduisent ceux-ci à la revendiquer de façon plus radicale, comme l'explique Amin Maalouf. C'est un élément capital pour comprendre les rébellions touarègues.
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Dans les années soixante, le découpage à la règle d'école, des frontières des États d'Afrique divise l'espace géo-culturel touarègue, rendant illégaux nombre de mouvements nomades. Dès lors, les mouvements transfrontaliers illégaux deviennent le quotidien de nombreux touaregs, prisonniers des nouvelles frontières de "leur" désert. De plus, dans tous ces pays, les populations touarègues deviennent minoritaires.
Les touaregs dans le nouvelle État malien: marginalisation et frustrations
En 1960, le nouvel État malien, socialiste et centralisé, s'attaque aux chefferies touarègues et impose sa propre organisation administrative. Les touaregs en sont exclus, subissant discrimination et stigmatisation de la part des autres populations maliennes, qui prennent leur revanche sur leurs anciens esclavagistes. Dés 1963, tous les éléments constitutifs de l'éclatement d'un mouvement rebelle de guerre irrégulière sont réunis: grave crise du modèle économique touarègue, en particulier au Nord-Mali, délaissé par le gouvernement central; marginalisation économique et politique des touarègues au sein de l'État malien; forte cohésion sociale du peuple touarègue, fier et à très fortes traditions; soutien politique et financier de la population touarègue à la rébellion; convergence d'intérêts autour de la revendication d'une identité touarègue menacée; et, finalement, répression politique et absence d'espace d'expression politique pacifique. Ces six éléments correspondent aux conditions de l'émergence d'un mouvement de guerre irrégulière, telles qu'identifiées par l'expert militaire Amael Cattaruzza, qui regroupe la première et la seconde. C'est la persistance et l'amplification de ces phénomènes qui va mener à l'escalade.
Les rébellions touarègues: l'éternel recommencement ?
La rébellion de 1963 compte moins de 1000 hommes: elle n'est pas séparatiste mais réclame une certaine décentralisation du pouvoir, une meilleure intégration dans la vie politique malienne et un effort de développement en faveur du Nord-Mali. Pouvant difficilement s'aventurer dans le désert, les Forces Armées Maliennes (FAM) se retranchent dans des camps fortifiés et mènent des opérations de représailles contre les civils touaregs, y compris à l'arme lourde. Cette réaction inadaptée et disproportionnée enracine définitivement le ressentiment touarègue envers le gouvernement central. Créant une situation humanitaire désastreuse, ce nettoyage ethnique a lieu dans l'indifférence de la communauté internationale. Après ce premier épisode, la majeure partie des combattants touaregs émigrent et se font mercenaires en Libye, pour fuir les sécheresses de 1969-1973, lassés d'une lutte qui n'aboutit qu'au massacre de leur peuple. Ils s'initient alors au "jihad", concept étranger aux touaregs.
Entre temps, un coup d'État instaure une dictature militaire à Bamako, qui poursuit la même politique. Les sécheresses des années quatre-vingt et la lente agonie économique des touaregs, conduisent au retour à la lutte armée en 1990. Ce sont les fils des rebelles de 1963 qui luttent en 1990. Les militaires rejouent alors la même partition et s'en prennent violement à la population. En pleine transition post-guerre froide, la communauté internationale n'en a que faire.
Les processus de paix: jeu de dupes et fausses promesses
Les accords de Tamanrasset de janvier 1991 prévoient une démilitarisation d'une partie du Nord Mali: elle n'aura jamais lieu. Les négociateurs touaregs demandent alors des projets de développement dans la région, la démilitarisation complète de l'Azawad, un système politique fédéral, le jugement des responsables des massacres et l'indemnisation des dégâts contre les populations civiles. Plus la répression, leur marginalisation et les attaques contre leur identité s'amplifient, plus les touaregs se radicalisent.
Le pacte national négocié en 1992 avec Amadou Toumani Touré est censé mettre fin à la rébellion et répondre aux attentes touaregs qui déposent les armes en 1996. Mais sa mise en place est un échec. Les projets de développement ne sont pas adaptés à la situation; les revendications fédérales des touaregs sont ignorées et leur intégration dans l'administration et la vie politique, marginale; les responsables des crimes de guerre au Nord Mali ne seront jamais traduit en justice ; l'Azawad, loin d'être démilitarisé, voit des zones entières interdites à la population par l'armée. Les touaregs doivent financer eux-mêmes écoles, points d'eau et infrastructures. Le système administratif imposé par l'État se superpose et se heurte aux mécanismes traditionnels de gestion des ressources qui relèvent des chefferies locales. Les causes profondes du conflit persistent et même s'aggravent, avec les années de sécheresse du début des années 2000. Début 2006, une brève reprise de la violence prend fin avec accords d'Alger, énième promesse faite à la population touarègue.
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