Plus d’une vingtaine de civils ont été arrêtés dans le nord du pays, d’après Amnesty international, qui réclame par ailleurs une enquête sur un raid aérien qui a tué des civils dans le centre du Mali au premier jour de l'intervention française. "Il est absolument impératif que la France et le Mali ouvrent une enquête afin de déterminer qui a effectué cette attaque" qui a visé la ville de Konna et aurait tué cinq civils, affirme un porte-parole, Gaëtan Mootoo.
Amnesty International affirme par ailleurs avoir recueilli des témoignages indiquant que, le 10 janvier 2013, veille du début de l'intervention française, "l'armée malienne a arrêté et exécuté de manière extrajudiciaire plus d'une vingtaine de civils", principalement dans la ville de Sévaré. Une enquête indépendante et impartiale doit, là aussi, être ouverte, réclame l’ONG. Les humanitaires pointent surtout les cas d'exécutions extrajudiciaires par les forces armées et les "disparitions forcées" constatées après l’arrivée des forces maliennes.
Une haine tenace
Amnesty fait également état d'"allégations d'homicides arbitraires et délibérés" de la part de groupes islamistes armés, notamment d'exécutions de soldats capturés et de civils.
Par ailleurs, l'ONU estime à près de 150000 le nombre de maliens réfugiés dans les pays voisins, et à 230000 le nombre de personnes déplacées dans le pays.
Malgré les dénégations de l’armée malienne, le fait est établi : une haine tenace oppose les soldats maliens d’origine sub-saharienne à la population touareg établie essentiellement dans le nord du pays. Le conflit déclenché il y a un peu plus d’un an n’a fait qu’exacerber les tensions.
Car l’histoire du Mali est jalonnée par les rebellions des touareg, suivies invariablement par les exactions commises à leur encontre par le gouvernement malien.
Les touareg maliens, dont le nombre est estimé à quelques 550 000 personnes, vivant essentiellement dans des villes aux confins du désert du Sahara, se sont en effet opposés, depuis la décolonisation, au pouvoir central de Bamako.
Le MNLA, mouvement laïque pour l'autodétermination
Les enjeux de leurs revendications sont multiples. A l’origine peuple nomade, le territoire des Touareg recouvrait le désert saharien, de la Mauritanie au Mali et au Niger, en passant par l’Algérie, la Libye et le Maroc. Les Touaregs ont d’abord bénéficié de la bienveillance du colonisateur français. Mais la division de leur territoire historique sera actée lors des indépendances des pays de l’Afrique de l’Ouest. S’ensuivit un cycle ininterrompu de révoltes, qui n’épargnèrent pas le Mali.
C’est à partir de 1958 que le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) revendique la constitution d’un Etat touareg. Pour Mossa Ag Attaher, chargé de communication du MNLA , ce groupe est " l'émanation des aspirations des touaregs et d'une bonne partie des Songhaï, Peuls et Maures de l'Azawad ". Pour lui, le territoire de l'Azawad au Mali se compose des territoires des gouvernorats de Tombouctou, de Gao et de Kidal. Le but : l’autodétermination de ces peuples, avec le droit à l’indépendance si ils le souhaitent.
Un cycle de rébellions et de répressions
La première de ces révoltes au Mali, durement réprimée par les autorités, a lieu dès 1963, soit 3 ans après l’indépendance. Elle est durement réprimée par les autorités maliennes. S’ensuivent plusieurs autres tentatives, dont celle de 2006, qui aboutit aux Accords de paix d’Alger. Les Touareg, jusque-là mis à l’écart du pouvoir, obtiennent l’intégration dans l’armée et des postes de responsables dans le système politique malien.
Mais le conflit ne va pas s’arrêter. "Il y a cette histoire longue du Mali qui a oscillé entre rébellion répression et négociation, et la question soulève aussi un important problème de mémoire ", commente Philippe Hugon, directeur de Recherche IRIS et auteur de nombreux livres sur l'économie et la géopolitique de l'Afrique. " Les Touaregs apparaissent toujours comme les descendants des ‘razzieurs’ esclavagistes, alors que les Maliens se voient comme les razziés". La cohabitation n’est pas simple. Et les aspirations à l’autonomie ne s’éteignent pas. Une série d’insurrections éclate en 2007. Certains combattants touareg sont armés et entraînés par la Libye du colonel Kadhafi, où ils ont trouvé refuge.
L’éclatement su conflit libyen va entraîner le retour des réfugiés de Libye. C’était en 2010. "Les Touaregs ont joué un jeu curieux : ils revendiquaient l’indépendance de l’Azawad, et en même temps ils se sont alliés aux islamistes", explique Philippe Hugon.
La manne minière
Le MNLA se retrouve donc pris au piège. Assimilé encore une fois à l’agresseur, les populations touareg risquent de subir la vengeance implacable de l’Etat malien, et de ses soldats.
Si les questions historiques sont centrales pour comprendre l’opposition entre l’Etat malien et les Touareg, un autre enjeu moins commenté revêt une certaine importance : celui de la répartition des ressources potentielles du désert malien. "Il est certain qu’un des enjeux au Mali sont les futures ressources minières et d’uranium", explique Philippe Hugon.
Plusieurs prospections, menées par des entreprises canadiennes et sud-africaines, ont bien eu lieu dans le sous-sol du nord du pays. Et la possible manne qui pourrait en découler pourrait être intéressante. Déjà, "la France, à la fin de la 4ème république, va créer le ministère du Sahara et l’OCRS. Un état touareg éphémère a vu le jour alors, accédant aux ressources minières de la région". Cet "Etat ", encadré par l’Etat colonial, devait servir de tampon entre l’Algérie et les populations noires, et permettre à la métropole de bénéficier des richesses du sous-sol. Mais le projet est très vite abandonné. Depuis, les Touareg, dont les familles vivent souvent dans le plus grand dénuement, réclament leur part, et espèrent que les futures concessions seront faites à leur bénéfice. Mais "les Maliens n’accepteront jamais que les retombées éventuelles des richesses minières futures soient uniquement pour les Touareg", conclut Philippe Hugon.
L’apaisement ne semble donc pas si simple à atteindre. "La réconciliation nationale impose de trouver une solution avec plus d’autonomie pour les Touareg, pourquoi pas avec un état fédéral", estime le spécialiste. "Il y a toujours eu des avancées", ajoute-t-il. Mais cette option semble aujourd’hui plus lointaine que jamais : l’Etat malien lui-même est en quête d’une légitimité qu’il a perdu depuis le putsch militaire du 21 mars 2012.
W. Fayoumi