mardi 2 septembre 2014

Négociations au Mali : « C’est toute la narration officielle qu’il faut changer »

 Le Point - Propos recueillis par notre correspondante à Bamako, Laetitia Kretz
Depuis le 1er septembre, gouvernement et groupes armés se concertent. L’analyse experte de Pierre Boilley, directeur de l’Imaf*.
Après une session préparatoire fin juillet, les négociations entre le gouvernement malien et les groupes armés du nord du pays viennent de reprendre. De passage à Bamako pour offrir avec d’autres chercheurs des conseils de médiation au gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keïta, Pierre Boilley, historien, spécialiste de l’Afriquesubsaharienne et actuel directeur de l’Institut des mondes africains (Imaf), a accepté de partager avec Le Point Afrique son regard sur les négociations d’Alger.
Gouvernement malien et groupes rebelles du Nord se font désormais face autour d'une table de négociations.
Gouvernement malien et groupes rebelles du Nord se font désormais face autour d’une table de négociations. © DR
Le Point Afrique : Quel est le coeur du problème entre les Touareg et les Maliens du Sud ?
Pierre Boilley : Nous sommes dans un état de conflit qui dure depuis cinquante ans. Les Touareg se rebellent et demandent une autonomie du Nord-Mali. Le problème est que cette rébellion ne peut manifestement pas se régler par la force. L’armée s’est révélée impuissante sur le terrain. Le sud du pays s’est donc mis à diaboliser le nord, assimilant les Tamacheks à des terroristes. La guerre maliano-malienne ressemble finalement un conflit de voisinage : les esprits se sont échauffés, le dialogue s’est rompu. Avant de trouver des points d’accord, c’est toute la narration officielle qui doit être changée. Pour commencer, il est temps que le gouvernement reconnaisse sa part de faute. L’armée malienne a fait des centaines de morts en 1963, dans les années 1990, en 2006 et plus récemment depuis 2012. Il est nécessaire de faire un travail de repentance. Le racisme présent à Bamako qui diabolise les Touareg est payant politiquement, mais il empêche la reconstruction du pays. La réconciliation du nord et du sud, géographiquement très éloignés, passe par la construction de nouvelles rumeurs de village, la rédaction d’un nouvel imaginaire qui se débarrassera du « touareg voleur terroriste ». Ce nouveau roman malien, seule Koulouba (gouvernement malien) pourra le faire.
Ces discussions ne seraient donc qu’une première étape pour changer le « ton »…
La question lexicale est cruciale. Il y a par exemple des mots qui mettent le feu aux poudres. Quand on parle de décentralisation à un nordiste, il est exaspéré. Quand on parle d’autonomie à un sudiste, il est scandalisé. Ce n’est pas simple, mais il faut éviter de ranger la solution dans l’une de ces cases sémantiques. Pour parvenir à changer en profondeur la constitution malienne, il faudra absolument faire des détours lexicaux et soigner les susceptibilités.
Beaucoup de médiateurs se sont successivement proposés. Cela participe-t-il à la lenteur du processus de dialogue ?
Dans ce genre de conflit, tout le monde s’imagine peace maker. Au milieu de tout ce business de la médiation, il n’est effectivement plus simple de s’y retrouver. En tant que pays frontaliers, l’Algérie, le Burkina et la Mauritanie ont une légitimité. Les Nations unies se sont sans doute montrées un peu maladroites. Je ne dirais pas qu’elles ont un rôle de médiateur.
Quel rôle la Minusma joue-t-elle ?
Dans le dialogue maliano-malien, le rôle des Nations unies semble confus. On ne peut pas remplir une mission d’appui au gouvernement sans être parti pris dans les négociations. Or, les casquettes bleu ciel ont tendance à vouloir se poser en médiateurs. D’autre part, M. Koenders (représentant des Nations unies à Bamako) ne s’entend ni avec le président de la République ni avec les représentants des groupes armés. Pour donner un nouveau souffle à ces pourparlers, il aurait été intéressant de profiter du nouveau mandat des Nations unies pour faire apparaître un nouveau chef de file…
Six groupes armés discuteront avec le gouvernement à Alger. Pourquoi sont-ils si nombreux ?
Six, c’est trop. Les groupes armés ne sauraient représenter la population du Nord-Mali. En organisant ces pourparlers à Alger, il y avait deux possibilités : rencontrer un échantillon représentatif en incluant la société civile ou organiser des négociations uniquement avec ceux qui combattent l’armée malienne sur le terrain et qui tiennent aujourd’hui les villes de Kidal et d’Aguelhok. Sur les six groupes présents, trois ont déjà trouvé un terrain d’entente avec le gouvernement, le MAA, le CMFPR et le CPA. Aux rencontres préparatoires d’Alger, les groupes belligérants avaient donc refusé de s’asseoir à la même table que ceux qu’ils considèrent comme des traîtres. Cette complication n’était pas nécessaire.
Peut-on s’attendre à un règlement du conflit pour 2015 ?
L’échec de la réconciliation nationale est d’abord l’histoire d’un rêve brisé pour le peuple malien. On ne redonne pas espoir en une année. Il faudra des ateliers, des équipes mobiles, des aides financières. Il faudra également une répression réelle du banditisme. Le chemin sera long, car les niveaux de lecture sont nombreux. À Alger, on discute des grandes causes officielles mais derrière cela, il faudra s’attaquer aux alliances ancestrales, aux réseaux de trafic et de contrôle des routes. Et si l’on va plus loin encore, on réalise que derrière tout cela, il y a des personnes qui se connaissent depuis des dizaines d’années parfois en proie à des rancoeurs personnelles. De plus, la reconstruction ne se fera pas sans davantage d’aide au développement. Le Nord manque d’infrastructure. L’argent mobilisé pour cette région n’a pas été correctement accompagné. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de route entre Kidal et Gao, il faut faire 300 kilomètres de piste pour circuler entre ces deux points stratégiques. Les villes manquent d’écoles, et d’hôpitaux…
* IMAF : Institut des Mondes Africains
http://www.lepoint.fr/afrique/actualites/negociations-au-mali-c-est-toute-la-narration-officielle-qu-il-faut-changer-02-09-2014-1859180_2031.php

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