vendredi 3 mai 2013

Mahamadou Issoufou dans Paris-Match




Le président du Niger aide la France dans sa lutte contre Aqmi mais attend qu’on paie son uranium plus cher


Paris Match. Que pensez-vous du retrait de la majorité des militaires français du Mali annoncé par François Hollande?
Mahamadou Issoufou.
L’intervention décrétée par François Hollande a été salutaire. Jamais intervention étrangère en Afrique n’a été aussi ­populaire. La France a réalisé au Mali un travail dont le résultat ne doit pas être compromis. Aussi restera-­ t-elle présente, même si elle réduit son contingent. Dans le cadre des Nations unies, le mandat de la Misma sera, lui, transformé et devra être ­offensif. Les terroristes risquent de commettre des ­attentats. Il faut donc un mandat renforcé appuyé par une force parallèle ­capable de lancer des opérations.

Le Niger accueille des militaires français et américains. A partir de Niamey décollent des drones qui volent au-dessus du Niger et du Mali. A la fin de l’opération Serval, votre pays deviendra-t-il une base permanente contre le terrorisme?
La présence des Français et des Américains au Niger est bonne pour la sécurité de la zone. Tant qu’il y aura des menaces, elle sera nécessaire. Sans les renseignements français et américains, nous sommes aveugles et sourds. Beaucoup de renseignements que nous recevons de leur part nous permettent de prendre des dispositions et d’anticiper. Les drones sont affectés à la collecte de ces informations sur tout ce qui se passe dans le Sahel. Car la Libye continue d’être une source d’instabilité pour la région. Le “service après-vente” aurait dû y être fait. On a gagné la guerre en Libye, mais on n’a pas gagné la paix.

Est-ce la même chose pour le Mali?
Le service après-vente pour le Mali est en cours. Il ne pourra pas être complet tant que les élections ne se seront pas déroulées, en juillet, comme le souhaite François Hollande. Dès juillet, s’il est possible de les organiser, il faut qu’elles aient lieu. En tout cas, le plus tôt possible. Je ne suis pas un fétichiste des dates. L’important, c’est de faire en sorte que les prochaines élections au Mali soient transparentes et crédibles, pour que le peuple malien puisse mettre en place des autorités légitimement élues. Mais il ne faut pas que ces élections soient bâclées et provoquent encore une crise.

Le capitaine Sanogo, auteur d’un putsch l’an dernier, ne risque-t-il pas de les perturber?

Il faut mettre hors jeu la junte de Bamako. Elle ne doit pas influer sur l’avenir du peuple malien. Cela a toujours été le souci du Niger. Nous sommes contre les putschs, pour la démo­cratie, pour que le peuple ­malien puisse s’exprimer librement. Nous souhaitons que le capitaine Sanogo n’exerce pas de pression sur l’issue du scrutin. Nous sommes très clairs. Au Niger, on veut la paix, la démocratie dans tous les pays d’Afrique, un continent qui a été balkanisé. Quand on regarde la carte de l’Afrique, elle ressemble à un miroir brisé, conséquence de la colonisation après la conférence de Berlin au XIXe siècle. On a été incapables de faire face à la crise malienne à cause de cette balkanisation. Il a fallu que l’ancien colonisateur vienne nous sortir d’affaire.

"LA FRANCE EST UNE NATION AMIE"

Vous le regrettez?


Non, ce n’est pas que je regrette. La France est une nation amie. Mais je constate que ce sont des pays étrangers qui viennent secourir notre peuple. Il y a eu des morts dans l’armée française pour cela. Je trouve scandaleux et inacceptable que nos pays, qui sont divisés, n’arrivent pas à mettre sur pied une défense commune.

A propos du Mali, François Hollande a une politique plus offensive que son prédécesseur, qui semblait paralysé par les otages détenus depuis trois ans sans solution apparente. Comment l’analysez-vous?

Cette prise d’otages a duré car elle est politique. Les ravisseurs d’Aqmi avaient posé des reven­dications comme le retrait des troupes françaises d’Afghanistan. Ensuite, ils ont fait monter les enchères en demandant des ­rançons exorbitantes. Cela a coïncidé avec le fait que la France était en ­période électorale. Les preneurs d’otages voulaient connaître le nom de leur prochain interlocuteur. Enfin, la crise ­libyenne a renforcé les terroristes, prêts à attendre le plus longtemps possible pour obtenir le maximum de gains. En plus, la conquête du Nord-Mali dans un premier temps par le Mouvement national de libération de l’Azawad [MNLA], d’inspiration touareg, a bénéficié à Aqmi. Mais si les terroristes ont une prédilection pour enlever les Français, c’est pour une raison. Ils savent qu’ils obtiendront une rançon. Le paiement de rançon encourage à enlever des Français. Au lieu d’en sauver un ou deux, en payant on met en péril des milliers d’autres. Il ne faut pas payer de rançon et donner un prix aux otages.

Avez-vous tenté quelque chose pour sortir des griffes d’Aqmi les employés français enlevés au Niger?

J’ai envoyé un émissaire au Mali, quelqu’un de très bien, intègre et très sérieux. C’était naturel car il a de la famille des deux côtés du massif des Iforas [où étaient détenus les otages], aussi bien au Mali qu’au Niger. Il appartient à la famille de Mano Dayak [ancien chef rebelle, décédé en 1995, issu de la tribu des Iforas]. C’est un homme simple, très positif, qui a de l’influence au sein de sa communauté touareg.

Que s’est-il passé?

La France et Areva ne lui ont pas fait confiance, alors que les agents français enlevés travaillaient pour Areva et que cet émissaire est le président du conseil d’administration d’Imouraren SA, la société chargée de l’exploitation de cette mine où Areva est majoritaire. On aurait pu lui faire confiance à deux cents pour cent car Areva est sa maison.

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