Statut
De Alain Brégy
Il y a de fortes probabilités pour que dans dans les jours (ou même les heures) qui viennent, la guerre reprenne autour de Kidal. Aux infos de France-Culture ce midi, on a réutilisé le terme de « guerre au Mali »... de quelle guerre parle t-on ?
Ce qu'on a appelé la « guerre au Mali » (de janvier à avril 2013) n'était qu'une « guerre dans la guerre », un sur-conflit rajouté au conflit initial, qui est beaucoup plus ancien. La tension historique entre Nord et Sud du Mali qui dure maintenant depuis plus de 50 ans, depuis la décolonisation, avait pris, une fois de plus, une tournure extrêmement violente par le déclenchement début 2012 d'une quatrième rébellion au Nord-Mali. Et puis, en plein milieu de cette rébellion, un nouvel élément est apparu de façon assez prévisible : l'irruption des groupes salafistes – Aqmi, Mujao, Ansar ed-Dine –, groupes armés qui, par leur puissance militaire et financière, débordent rapidement le MNLA et finissent par le supplanter il y a environ un an. C'est contre eux que la France est intervenue ces derniers mois.
Il y a donc, au beau milieu de cette quatrième guerre entre Nord et Sud du Mali, un épisode parasitaire qui s'installe en janvier 2013 : la guerre entre une force islamiste radicale et une force internationale, toutes deux n'ayant quasiment rien à voir avec le conflit initial. C'est cette guerre-là, cette « guerre dans la guerre », qu'ont rapporté nos médias, mais ils ont un peu oublié de comprendre d'où elle venait... En faisant à l'époque (ce printemps) l'amalgame entre combattants indépendantistes locaux et djihadistes (le plus souvent étrangers à la région), ils ont considérablement contribué à brouiller la compréhension des événements en cours.
Il n'y a pas eu « internationalisation du conflit », contrairement à ce qu'on pu dire. Il y a eu superposition temporaire de deux conflits distincts, l'un, très ancien, interne au Mali, entre combattants du Nord et gouvernement, et l'autre externe, entre une internationale djihadiste radicale et des armées étrangères, qui est venu temporairement se greffer sur le premier. Une fois les djihadistes désorganisés et les forces françaises parties, alors les deux belligérants initiaux, l'armée nationale et les combattants indépendantistes, se retrouvent inévitablement face à face. Or rien n'étant réglé concernant les causes premières du problème, la guerre va inévitablement reprendre. Sauf si, de part et d'autre, les bonnes volontés et l'humanité qui est en chacun l'emportent sur les calculs politiques individuels. Ou sauf si la force onusienne d'interposition a pour mission de s'interposer en toute neutralité, mais ça n'en prend pas le chemin puisqu'apparemment les troupes tchadiennes convergent elles aussi vers Kidal.
Je ne peux pas prédire l'avenir mais j'ai peur qu'un sentiment de revanche s'empare du Sud – il est déjà visible dans l'opinion de la rue, à Bamako ou sur les réseaux sociaux – et, qu'une fois encore, la violence aveugle l'emporte sur la compréhension mutuelle. Si la force internationale onusienne prend parti, que ce soit à cause d'une mission mal définie, mal préparée ou par engagement pour un camp contre l'autre, la situation au Nord va vite devenir encore plus difficile pour des populations nomades déjà durement touchées par la guerre en cours.
Mais il ne faut pas se leurrer ni se bercer d'illusions : c'est de Paris que viendra la solution. Selon ce que Paris voudra ou pas, la solution sera politique ou militaire. Elle sera pacifique ou meurtrière. D'ailleurs l'attitude générale chez les combattants du Nord est de considérer que, puisque c'est la France qui est depuis 50 ans responsable du problème initial - en ayant refusé en 1958 l'autonomie du Nord et en ayant contraint des populations qui ne le souhaitaient pas à cohabiter avec d'autres dans une nation artificielle -, c'est à elle de clore définitivement la question. C'est donc le choix de Paris qui s'imposera. Il ouvrira un nouvel espoir ou apportera une plus grande souffrance, on le saura bientôt.
Il y a eu dès janvier un consensus entre les combattants (MNLA, MIA), Paris et Bamako pour empêcher l'armée nationale d'entrer dans Kidal, alors qu'à Gao ou à Tombouctou elle avait été en première ligne pour reprendre la ville, sitôt les raids aériens terminés. A ce jour, pas un seul soldat malien n'est entré dans Kidal. Ni les combattants, qui avaient annoncé qu'ils ne laisseraient jamais reprendre Kidal sans combattre, ni Paris, qui avait besoin de Kidal et de Tessalit pacifiées comme bases arrières pour ses opérations dans le massif du Tegharghar, ne pouvaient tolérer la présence de l'armée dans la région. A partir de là la situation devenait très compliquée pour Bamako, qui n'a jamais réussi à tenir un discours de vérité à son opinion publique. Alors que la rue bamakoise ne comprend pas pourquoi Kidal n'est toujours pas réoccupée, commençant même à laisser enfler une rumeur de « coalition entre Blancs » conduite par Paris au détriment du Mali - le héros libérateur d'hier devenant d'un coup le traître – le pouvoir s'empêtre dans toutes sortes d'explications maladroites, la dernière en date étant que l'armée n'est pas suffisamment préparée pour participer à de telles opérations.
L'histoire du Nord-Mali est ignorée par la plupart des gens au Sud, y compris parmi mes amis les plus proches. Si cette histoire, qui est pourtant une histoire nationale commune à tous les Maliens, avait été expliquée, partagée, racontée, et si les hommes s'étaient parlé au lieu de s'entre-déchirer, on n'en serait pas là. Au lieu de tenir des langages de vérité, certains politiques bamakois ont joué des clivages pour radicaliser chaque camp, au lieu de chercher à les rapprocher. Leur carrière valait-elle tout ce sang inutilement versé ?
Bien sûr, il fallait arrêter la folie extrémiste et restaurer la paix et la confiance entre les communautés, mais depuis le premier jour de cette guerre il était évident que sans une gestion politique, volontaire et transparente, de la « question du Nord » posée depuis plus d'un demi-siècle, les victoires militaires ne seraient que des coups d'épée dans l'eau, sans aucune autre portée que momentanée. Si dans les jours ou les semaines qui viennent, le conflit entre Bamako et le Nord gagne en intensité et redevient une guerre ouverte, alors le risque est grand qu'un chaos plus grand encore s'installe, pour une période beaucoup plus longue et sur un espace beaucoup plus vaste. Et si les forces africaines présentes sur place ne s'interposent pas – ou pire, participent directement aux combats – il y a de fortes chances pour que des groupes armés venus de pays voisins (Niger, Libye, Algérie...) viennent prendre fait et cause pour le Nord-Mali. Et ce n'est alors plus le Mali seul qui brûle, mais toute une région du globe.
Ce qu'on a appelé la « guerre au Mali » (de janvier à avril 2013) n'était qu'une « guerre dans la guerre », un sur-conflit rajouté au conflit initial, qui est beaucoup plus ancien. La tension historique entre Nord et Sud du Mali qui dure maintenant depuis plus de 50 ans, depuis la décolonisation, avait pris, une fois de plus, une tournure extrêmement violente par le déclenchement début 2012 d'une quatrième rébellion au Nord-Mali. Et puis, en plein milieu de cette rébellion, un nouvel élément est apparu de façon assez prévisible : l'irruption des groupes salafistes – Aqmi, Mujao, Ansar ed-Dine –, groupes armés qui, par leur puissance militaire et financière, débordent rapidement le MNLA et finissent par le supplanter il y a environ un an. C'est contre eux que la France est intervenue ces derniers mois.
Il y a donc, au beau milieu de cette quatrième guerre entre Nord et Sud du Mali, un épisode parasitaire qui s'installe en janvier 2013 : la guerre entre une force islamiste radicale et une force internationale, toutes deux n'ayant quasiment rien à voir avec le conflit initial. C'est cette guerre-là, cette « guerre dans la guerre », qu'ont rapporté nos médias, mais ils ont un peu oublié de comprendre d'où elle venait... En faisant à l'époque (ce printemps) l'amalgame entre combattants indépendantistes locaux et djihadistes (le plus souvent étrangers à la région), ils ont considérablement contribué à brouiller la compréhension des événements en cours.
Il n'y a pas eu « internationalisation du conflit », contrairement à ce qu'on pu dire. Il y a eu superposition temporaire de deux conflits distincts, l'un, très ancien, interne au Mali, entre combattants du Nord et gouvernement, et l'autre externe, entre une internationale djihadiste radicale et des armées étrangères, qui est venu temporairement se greffer sur le premier. Une fois les djihadistes désorganisés et les forces françaises parties, alors les deux belligérants initiaux, l'armée nationale et les combattants indépendantistes, se retrouvent inévitablement face à face. Or rien n'étant réglé concernant les causes premières du problème, la guerre va inévitablement reprendre. Sauf si, de part et d'autre, les bonnes volontés et l'humanité qui est en chacun l'emportent sur les calculs politiques individuels. Ou sauf si la force onusienne d'interposition a pour mission de s'interposer en toute neutralité, mais ça n'en prend pas le chemin puisqu'apparemment les troupes tchadiennes convergent elles aussi vers Kidal.
Je ne peux pas prédire l'avenir mais j'ai peur qu'un sentiment de revanche s'empare du Sud – il est déjà visible dans l'opinion de la rue, à Bamako ou sur les réseaux sociaux – et, qu'une fois encore, la violence aveugle l'emporte sur la compréhension mutuelle. Si la force internationale onusienne prend parti, que ce soit à cause d'une mission mal définie, mal préparée ou par engagement pour un camp contre l'autre, la situation au Nord va vite devenir encore plus difficile pour des populations nomades déjà durement touchées par la guerre en cours.
Mais il ne faut pas se leurrer ni se bercer d'illusions : c'est de Paris que viendra la solution. Selon ce que Paris voudra ou pas, la solution sera politique ou militaire. Elle sera pacifique ou meurtrière. D'ailleurs l'attitude générale chez les combattants du Nord est de considérer que, puisque c'est la France qui est depuis 50 ans responsable du problème initial - en ayant refusé en 1958 l'autonomie du Nord et en ayant contraint des populations qui ne le souhaitaient pas à cohabiter avec d'autres dans une nation artificielle -, c'est à elle de clore définitivement la question. C'est donc le choix de Paris qui s'imposera. Il ouvrira un nouvel espoir ou apportera une plus grande souffrance, on le saura bientôt.
Il y a eu dès janvier un consensus entre les combattants (MNLA, MIA), Paris et Bamako pour empêcher l'armée nationale d'entrer dans Kidal, alors qu'à Gao ou à Tombouctou elle avait été en première ligne pour reprendre la ville, sitôt les raids aériens terminés. A ce jour, pas un seul soldat malien n'est entré dans Kidal. Ni les combattants, qui avaient annoncé qu'ils ne laisseraient jamais reprendre Kidal sans combattre, ni Paris, qui avait besoin de Kidal et de Tessalit pacifiées comme bases arrières pour ses opérations dans le massif du Tegharghar, ne pouvaient tolérer la présence de l'armée dans la région. A partir de là la situation devenait très compliquée pour Bamako, qui n'a jamais réussi à tenir un discours de vérité à son opinion publique. Alors que la rue bamakoise ne comprend pas pourquoi Kidal n'est toujours pas réoccupée, commençant même à laisser enfler une rumeur de « coalition entre Blancs » conduite par Paris au détriment du Mali - le héros libérateur d'hier devenant d'un coup le traître – le pouvoir s'empêtre dans toutes sortes d'explications maladroites, la dernière en date étant que l'armée n'est pas suffisamment préparée pour participer à de telles opérations.
L'histoire du Nord-Mali est ignorée par la plupart des gens au Sud, y compris parmi mes amis les plus proches. Si cette histoire, qui est pourtant une histoire nationale commune à tous les Maliens, avait été expliquée, partagée, racontée, et si les hommes s'étaient parlé au lieu de s'entre-déchirer, on n'en serait pas là. Au lieu de tenir des langages de vérité, certains politiques bamakois ont joué des clivages pour radicaliser chaque camp, au lieu de chercher à les rapprocher. Leur carrière valait-elle tout ce sang inutilement versé ?
Bien sûr, il fallait arrêter la folie extrémiste et restaurer la paix et la confiance entre les communautés, mais depuis le premier jour de cette guerre il était évident que sans une gestion politique, volontaire et transparente, de la « question du Nord » posée depuis plus d'un demi-siècle, les victoires militaires ne seraient que des coups d'épée dans l'eau, sans aucune autre portée que momentanée. Si dans les jours ou les semaines qui viennent, le conflit entre Bamako et le Nord gagne en intensité et redevient une guerre ouverte, alors le risque est grand qu'un chaos plus grand encore s'installe, pour une période beaucoup plus longue et sur un espace beaucoup plus vaste. Et si les forces africaines présentes sur place ne s'interposent pas – ou pire, participent directement aux combats – il y a de fortes chances pour que des groupes armés venus de pays voisins (Niger, Libye, Algérie...) viennent prendre fait et cause pour le Nord-Mali. Et ce n'est alors plus le Mali seul qui brûle, mais toute une région du globe.
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