samedi 23 octobre 2010

Pourquoi l’Algérie refuse l’ingérence dans la région du Sahel

23-10-2010, 13h51

Pourquoi l’Algérie refuse l’ingérence dans la région du Sahel
Redoutant que les terroristes se renforcent en invoquant le djihad contre une présence étrangère


Par Abdelkrim Ghezali

Mourad Medelci a déclaré jeudi dernier sur les ondes de la Chaîne III que la sécurité dans le Sahel était du ressort des pays de cette région où des groupes terroristes multiplient leurs activités sous forme d’attentats ou d’enlèvements. «Nous sommes responsables de la sécurité, en tant que pays du Sahel, de tous ceux qui vivent dans cette zone où la situation est préoccupante.» «L’Algérie n’a jamais dit que les pays qui ne font pas partie de cette zone n’étaient pas concernés [par la lutte contre le terrorisme]. Si ces pays peuvent apporter leur aide, ils sont les bienvenus mais ils ne peuvent venir s’implanter chez nous pour apporter la solution», a-t-il ajouté. «La solution, ce sont les pays du Sahel qui doivent l’apporter et ils n’ont jamais dit qu’ils ne reconnaissaient pas la nécessité de bâtir des passerelles de coopération avec d’autres pays», a précisé le chef de la diplomatie. Par ailleurs, en marge des travaux de l’APN de jeudi dernier, Medelci a estimé que l’Algérie entretient une coopération «positive» avec les pays de la région du Sahel. «Nous sommes dans une situation de coopération tout à fait positive avec ces pays», a-t-il indiqué dans une réponse à une question de journalistes sur «des pressions» que subirait l’Algérie de la part des pays voisins, comme le Mali et la Mauritanie, au sujet de la situation dans la région du Sahel. «Il ne faut pas accorder trop d’importance à certaines déclarations rapportées par un nombre de médias, mais plutôt essayer de mettre le projecteur sur ce qui est entrepris directement au niveau des responsables et des institutions», a-t-il affirmé.Pour rappel, l’Algérie s’oppose à toute ingérence étrangère dans la région du Sahel et, à ce titre, avait boycotté une rencontre d’experts de la lutte antiterroriste du G8, le 14 octobre dernier à Bamako après avoir abrité, fin septembre, deux réunions : l’une des chefs d’état-major mauritanien, algérien, malien et nigérien à Tamanrasset, site du commandement conjoint des armées de ces quatre pays, l’autre à Alger où a été créé un centre conjoint de renseignement. Des médias européens, notamment français ainsi que certains observateurs occidentaux et africains, irrités par la position inflexible de l’Algérie qui refuse toute implication

militaire étrangère dans la bande sahélo-saharienne, n’invoquent que l’argument de souveraineté, négligeant à dessein les véritables raisons qui motivent la position algérienne. Son refus de voir des forces militaires françaises et américaines intervenir directement dans la région du Sahel est justifié par ce qui se passe en Irak et en Afghanistan. Les courants religieux extrémistes qui veulent y imposer des régimes radicaux et intégristes avancent l’occupation étrangère comme argument pour légitimer le terrorisme qui frappe sans distinction les forces de la coalition et les populations civiles en Irak et en Afghanistan. La présence militaire étrangère dans ces deux pays justifie, aux yeux de larges couches des populations, le djihad et l’enrôlement de la jeunesse des pays musulmans dans les rangs de la nébuleuse d’El Qaïda qui se renforce. L’Algérie refuse que le même scénario se reproduise dans les pays du Sahel qui sont de surcroît musulmans et où les populations, souffrant d’une situation socio-économique difficile, sont fragilisées au plan identitaire et psychologique et se laisseraient, à ce titre, mobilisées par les bandes terroristes et de trafic de tout genre, si une implication militaire occidentale venait à se produire. La position algérienne vise à ôter tout argument religieux aux groupes terroristes qui activent dans la région du Sahel et les empêcher de se renforcer numériquement et politiquement au risque de provoquer un embrasement de toute la région. Si chacun des pays de la région du Sahel est souverain d’ouvrir ses frontières terrestres et aériennes aux forces militaires étrangères, il doit néanmoins comprendre que cette option constitue un risque majeur aussi bien pour sa propre sécurité que pour la stabilité de tous les pays de la région. C’est pourquoi la lutte antiterroriste n’est pas uniquement une affaire de moyens militaires sophistiqués, mais nécessite surtout une concertation politique entre les pays concernés pour analyser et mesurer chaque pas, chaque geste et chaque décision. Lever l’argument religieux aux terroristes, c’est les isoler des populations locales afin de circonscrire l’espace où ils se déplacent et où ils se réfugient. Limiter l’intervention aux seuls pays du Sahel s’explique, d’une part, par la connaissance du terrain et la manière d’agir, y compris auprès des populations touareg et, d’autre part, par cet impératif politique de repousser l’argument de la lutte contre l’occupation étrangère qu’El Qaïda souhaite de toutes ses forces. A ce propos, des médias occidentaux, partie prenante de la stratégie du chaos au Sahel, relayés par une certaine presse algérienne et maghrébine, ne cessent de crier au loup pour affaiblir l’argument algérien contre toute présence militaire étrangère au Sahel, en inventant une base militaire américaine dans le Sud algérien qu’ils situent difficilement, parfois dans la région de Tamanrasset et parfois à Illizi. Pour ces chasseurs en mal de scoops, il s’agirait d’une station d’écoute. Présentant cette base supposée comme un fait tangible, un site Internet qui se veut le porte-voix de la souveraineté nationale appelle au djihad contre la présence étrangère sur le sol algérien. N’est-ce pas là les prémices d’un scénario d’une déstabilisation programmée ?Si les puissances étrangères n’ont d’autres objectifs que la lutte antiterroriste, elles sont sollicitées, et depuis longtemps, à fournir aux services de sécurité des pays du Sahel les informations utiles sur les déplacements des terroristes si elles en disposent, ce qui souvent n’est pas le cas. Car ceux qui disposent de renseignements fiables sur l’emplacement des groupes terroristes sont les populations touareg avec lesquelles il faut travailler et qu’il s’agit de gagner coûte que coûte à la lutte antiterroriste. Les informations que rapportent les médias occidentaux sur le lieu où se trouvent les sept otages enlevés semblent être erronées dans la mesure où le groupe terroriste qui les retient n’est pas dupe et lance à chaque fois des appâts auxquels ne manquent pas de mordre les services de renseignement occidentaux. Mais au-delà de ces questions, la manipulation bat son plein dans cette région où certains observateurs au fait de la réalité sécuritaire du Sahel s’interrogent et ce, depuis le début, sur la facilité avec laquelle les cinq otages français ont été enlevés dans une zone très sécurisée d’autant plus qu’il s’agit d’un site minier d’uranium que protège la France. Au plan géostratégique, on est en droit de se demander pourquoi les régions du Maghreb et du Sahel sont instables depuis la chute du mur de Berlin. Si la Libye a préparé depuis les années quatre-vingt le lit de la rébellion touareg au Niger et au Mali, le Maroc n’a pas hésité à prêter main-forte aux terroristes en Algérie pour en faire un «laboratoire» au pouvoir islamiste au Maghreb comme l’avait déclaré Hassan II dans les années quatre-vingt-dix. Depuis quelques années, faisant fi des résolutions de l’ONU sur la nécessité d’un référendum au Sahara occidental, Rabat ne ménage aucun effort pour présenter le Polisario comme une organisation terroriste impliquée dans l’instabilité de la situation sécuritaire au Sahel. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons, y compris la manipulation et l’utilisation de terroristes algériens armés par le Makhzen et renvoyés dans le Sahel pour propager l’information sur «le terrorisme sahraoui». C’est ce qui explique le forcing du Maroc pour s’impliquer dans le processus de sécurisation du Sahel. Quant à la dernière réunion des experts du G8 à Bamako, elle constitue un réel danger pour la vie des cinq otages français. Si l’Algérie a boycotté cette rencontre à risque, c’est aussi pour dégager sa responsabilité quant au sort des otages retenus dans le nord du Mali.

A. G


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