jeudi 11 mai 2017


Serge Michailof : "L'aide française au Sahel n'est que du saupoudrage"

Entretien. Pour ce chercheur de l'Iris, l'heure est grave. Plus que jamais, l'aide au Sahel doit être repensée et réorientée. Il explique.
PROPOS RECUEILLIS PAR AGNÈS FAIVRE
Publié le  - Modifié le  | Le Point Afrique
Serge Michailof multiplie les conférences et rencontres pour expliquer combien il est urgent de remettre l'aide publique au développement à l'endroit.
Serge Michailof multiplie les conférences et rencontres pour expliquer combien il est urgent de remettre l'aide publique au développement à l'endroit. © SIPA
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Olivier Lafourcade et Serge Michailof sont d'anciens responsables de la Banque mondiale. Leur regard sur l'approche que la France a de l'Afrique est très critique. Pour preuve, ils estiment par exemple que, sur le plan militaire, la force française Barkhane se contente de « gérer des départs de feu » au nord du Mali, et, sur le plan de la coopération, que la politique française d'aide au développement s'est « fourvoyée ». 
Aujourd'hui, Olivier Lafourcade est président du groupe Investisseurs et Partenaires (IPDEV), et Serge Michailof, chercheur associé à l'Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), consultant international, a publié récemment Africanistan*, un livre qui en dit long sur les risques qu'il a identifié à propos de l'Afrique. Ensemble, les deux ont repris leurs bâtons de pèlerins durant la campagne présidentielle pour rendre compte, auprès de certains candidats, de l'incohérence des politiques d'aide au Sahel.
Passés tous deux par la Banque mondiale et par l'Agence française de développement (AFD), ils fustigent depuis la déstabilisation du nord du Mali en 2012 les nombreux ratés des agences d'aide au développement dans cette région. Ils soumettent aussi des recommandations et propositions, qui misent en premier lieu sur une relance de l'économie rurale et sur une reconstruction des institutions régaliennes. L'occasion de mieux comprendre les mécanismes de l'aide internationale, qui consacre des parts infimes à ces secteurs, pourtant jugés cruciaux par ces spécialistes des questions de développement.
En France, un centième de l'aide publique au développement est affecté au Sahel, selon eux. Soulignons que le budget de l'aide française a baissé durant le quinquennat de François Hollande, pour s'établir à 0,37 % du revenu national brut (RNB) en 2015. C'est à peu près la moitié de l'objectif fixé par l'ONU (0,7 %). Au-delà du montant de l'aide, cependant, c'est surtout sa gestion qui interpelle Serge Michailof.
Pourquoi les États fragiles d'Afrique, au Sahel, n'en sont-ils pas les principaux bénéficiaires ? Pourquoi certains secteurs-clés ne sont-ils pas concernés, ou si peu, par l'aide au développement depuis l'intervention militaire étrangère au nord du Mali ? Autant de questions auxquelles il a accepté de répondre pour le Point Afrique.
Le Point Afrique : avec Olivier Lafourcade, vous avez préparé un document sur les risques de la déstabilisation du Sahel à l'attention des responsables politiques, mais aussi des candidats à la présidentielle, quel était l'objectif de votre démarche ?
Serge Michailof : Depuis six-sept ans, et de manière plus active depuis janvier 2013, date de l'intervention militaire étrangère au Mali, nous militons pour une réforme de l'aide française à cette région, car elle est, selon nous, la mieux armée pour répondre aux défis qui s'y posent. J'avais pour ma part pu observer l'échec lamentable de l'aide internationale en Afghanistan entre 2002 et 2014, avec un gaspillage de ressources et un sentiment d'abandon de la part de la population locale, et il s'agissait à travers cette démarche de prévenir une évolution de ce type avec le conflit parti du nord du Mali en 2012. Nous pensons que ce qui se joue au Sahel représente des risques majeurs non seulement pour l'Afrique de l'Ouest, mais aussi pour l'Europe et la France, et nous voulions essayer d'infléchir le cours des choses.
Comment votre démarche a-t-elle été accueillie par les responsables politiques français et par les candidats à la présidentielle que vous avez rencontrés ?
Au départ, nous n'avons pas vraiment été entendus dans les cabinets ministériels. Les choses ont commencé à changer à partir de l'effondrement du Mali en 2013 et de la publication de mon livre Africanistan* en 2015. Nous avons alors été auditionnés en particulier par la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, à plusieurs reprises, où on a senti une unanimité concernant nos analyses, de la gauche radicale à la droite dure. Nous avons aussi plaidé dans des foras très divers - j'ai fait plus de 50 conférences et interventions publiques sur la question. Cependant, rien n'a changé concrètement au niveau de la politique française d'aide au Sahel. Le président François Hollande a, certes, décidé d'octroyer une « facilité spéciale pour les pays en crise » dotée de 100 millions d'euros sous forme de dons, qui devait être mise à la disposition de l'Agence française de développement (AFD) cette année, en février. Mais Bercy (le ministère de l'Économie et des Finances, NDLR) en a bloqué le décaissement, alors qu'il s'agissait d'une première étape de l'aide qu'il aurait fallu engager dès 2011-2012 et non pas en 2017.
Comment vos analyses ont-elles été reçues dans les ministères, que ce soit à Bercy, au Quai d'Orsay ou au ministère de la Défense ?
On nous a renvoyés au ministère délégué du Développement où vous avez des ministres qui changent tous les 18 mois, ce qui limite la possibilité d'engager des réformes sérieuses. Par ailleurs, ce ministère est sans grand pouvoir et ne peut pas s'imposer face à Bercy. En fin de compte, vous avez des institutions françaises qui, chacune dans leur logique, continuent dans le « business as usual », comme s'il n'y avait pas le feu à la maison, alors que le Sahel est en crise. Les seuls à nous avoir vraiment pris au sérieux, ce sont, d'une part, l'Agence française de développement (AFD), et d'autre part, les militaires. Ils nous ont reçus, écoutés, invités à faire des conférences… Ils savent que la situation est critique car ils sont en première ligne.
Et comment ont réagi les candidats à la présidentielle ?
Nous avons discuté avec Alain Juppé, qui a compris l'ampleur du problème, mais il a perdu la primaire. Puis nous avons rencontré les équipes d'Emmanuel Macron, de Benoît Hamon, ainsi que des personnalités chez Les Républicains. Nos idées ont filtré auprès d'eux, tout comme elles avaient été bien accueillies à l'Assemblée nationale et au Sénat. Mais ce consensus se heurte à l'inertie ou à la mauvaise volonté des bureaucraties. Un parlementaire m'a même dit : « Il est plus facile de partir en guerre contre les djihadistes que contre Bercy ».
Selon vous, que faudrait-il mettre en œuvre en matière d'aide au développement dans les régions sahéliennes touchées par l'insécurité ?
Deux problèmes majeurs se posent. Il y a d'abord une stagnation de l'économie rurale, qui est censée occuper 80 % de la population, et qui, aujourd'hui, ne peut plus offrir suffisamment de travail et de nourriture à une population de plus en plus nombreuse. Le deuxième problème est lié à la disparition de l'État et à la montée de l'insécurité dans des zones immenses du territoire malien. Il y a une nécessité de reconstruire des appareils d'État, qu'il s'agisse de l'armée, de la gendarmerie ou du système judiciaire, et cela pose des problèmes techniques, politiques et financiers.
Vous dites qu'il faut notamment relancer l'économie rurale… Quelles sont les aides, aujourd'hui, en matière de soutien à l'agriculture au Mali, pays dont l'économie dépend fortement du secteur agricole, et où le monde paysan concentre environ 70 % de la population ?
En octobre 2015, lors de la conférence de Paris sur le Mali, les donateurs ont promis 3,4 milliards de dollars. Mais sur ce montant, seulement 3,7 % sont affectés à l'agriculture et à l'élevage, ce qui est absurde. Ce secteur est dédaigné par la plupart des donateurs internationaux alors que le potentiel d'amélioration agricole au Sahel est considérable, en particulier par la restauration des sols et la généralisation de l'agro-écologie.
Concernant l'aide publique au développement française, qui se situe entre 8 et 10 milliards d'euros par an, entre 80 à 100 millions d'euros de dons sont affectés à des projets concrets au Sahel, dans le cadre de l'aide bilatérale. Et sur ce montant, moins d'une trentaine de millions d'euros sont destinés à l'aide au développement rural, ce qui représente moins de trois pour mille de l'aide française. C'est à pleurer de bêtise !

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