Libye: les hommes de la transition
L'EXPRESS.fr
Par Dominique Lagarde, publié le 19/09/2011 à 12:27
Mustapha Abdeljalil, président du CNT; Mahmoud Jibril, n°2 du CNT, dirige le comité exécutif de l'insurrection libyenne; Ali Abdelaziz al-Issaoui, responsable des Affaires étrangères.
Reuters
Voici les dirigeants qui devront reconstruire la paix sur le champ de ruines laissé par le Guide, Mouammar Kadhafi. Au premier plan, Mustapha Abdeljalil, le présidentdu CNT, Mahmoud Jibril, n°2 du Conseil qui dirige le comité exécutif de l'insurrection libyenne et Ali Abdelaziz al-Issaoui, responsable des Affaires étrangères.
Le Conseil national de transition (CNT) libyen bénéficie de la reconnaissance de la communauté internationale depuis que le "groupe de contact" sur la Libye - l'ensemble des pays qui participent aux interventions militaires de l'Otan - l'a désigné, en juillet, comme l'"autorité gouvernementale légitime". Cet adoubement lui a permis d'obtenir dès le 25 août un accord du comité des sanctions de l'ONU pour le déblocage d'une partie des avoirs libyens gelés dans le cadre des résolutions prises contre le régime de Kadhafi.
Qui sont ces nouveaux maîtres de la Libye? Les membres du CNT viennent d'horizons culturels très divers. Universitaires, traditionalistes ou réformateurs y côtoient militants des droits de l'homme et islamistes. Certains ont autrefois bénéficié de l'appui du fils le plus en vue du colonel, Seïf al-Islam, qui prétendait alors vouloir moderniser le pays.
Voici quelques-uns de ceux qui joueront sans doute un rôle clef dans l'après-Kadhafi. Seuls trois d'entre eux ont acquis une véritable visibilité sur la scène internationale. Les autres sont surtout des représentants de la région de Benghazi, la première à avoir été libérée. Ils devraient être rapidement rejoints par des personnalités des régions de l'Ouest et de Tripoli.
Mustapha Abdeljalil
En 2007, le fils du Guide libyen Seïf al-Islam l'avait convaincu d'entrer au gouvernement et fait nommer à la tête du ministère de la Justice. Il y est resté jusqu'à sa démission, en février de cette année, et son ralliement à l'insurrection. Président du CNT depuis sa création, le 27 février, Mustapha Abdeljalil est un ancien magistrat. Il est né en 1952 à Al-Bayda, une ville de l'Est du pays qui est aussi le siège historique de la dynastie des Senoussi. Après des études en droit islamique à l'université de Tripoli et un début de carrière dans le football, il a occupé plusieurs postes dans sa ville natale, puis présidé la Cour suprême du pays, de 2002 à 2007. Il se fait alors remarquer pour son indépendance d'esprit, qui le conduit parfois à se démarquer des ordres reçus. Mais c'est aussi à ce poste qu'il confirmera la peine de mort des infirmières bulgares emprisonnées en Libye entre 1999 et 2007, accusées à tort d'avoir injecté à plus de 450 enfants libyens le virus du sida.
L'homme serait avant tout un traditionaliste, proche des islamo-conservateurs et des tribus. En janvier 2010, il avait publiquement dénoncé le maintien sous les verrous de 300 prisonniers politiques, anciens membres d'une organisation islamiste, qui avaient pourtant purgé leur peine. Alors qu'il menaçait de démissionner, Seïf al-Islam l'en avait dissuadé. A la mi-février 2011, c'est mandaté par le gouvernement - qui espère encore pouvoir négocier avec les rebelles - qu'il arrive à Benghazi. Mais il prend vite la mesure de la répression qui s'est exercée sur les manifestants et décide de changer de camp. Le 27 février, il est porté à la tête du CNT. Le 9 mars, Kadhafi met sa tête à prix pour 400 000 dollars (276 000 euros)
Mahmoud Jibril
A 59 ans, ce diplômé en sciences politiques de l'université de Pittsburgh, aux Etats-Unis, est sans aucun doute le plus connu des chefs de l'insurrection libyenne. Il préside l'instance exécutive du CNT qui fait office de gouvernement et il est à ce titre le principal interlocuteur des puissances occidentales. Auteur d'une thèse sur la politique américaine libyenne, Mahmoud Jibril a d'abord enseigné aux Etats-Unis avant de rentrer à Benghazi, où il a créé Gebril for Training and Consultancy, une société de consulting dont les activités s'étendent rapidement à toute la région. En 2007, Seïf al-Islam fait appel à lui et le place à la tête du Bureau national pour le développement économique, qui a pour mission de libéraliser l'économie du pays. En 2009, dans un télégramme révélé depuis par le site WikiLeaks, l'ambassadeur américain alors en poste à Tripoli, Gene Cretz, le décrit comme un homme qui "comprend le point de vue américain". Confronté à l'immobilisme de la vieille garde au sein des instances dirigeantes libyennes, il décide de jeter l'éponge et quitte le gouvernement en 2010. Il rallie l'insurrection dès les premiers jours et multiplie les déplacements dans les capitales occidentales, afin de convaincre les dirigeants européens et américains de soutenir la révolte libyenne. Il est l'un des principaux instigateurs, avec Nicolas Sarkozy, de la résolution 1973 de l'ONU, qui fonde l'intervention des armées de l'Otan.
Ali Abdelaziz al-Issaoui
Né en 1966 à Benghazi, il a fait des études d'économie à l'université de Bucarest, en Roumanie, avant de devenir directeur général, en 2005, de l'instance alors chargée de conduire un programme de privatisations. Ministre de l'Economie entre 2007 et 2009, il est ensuite écarté sans que l'on sache vraiment pourquoi - désaccords récurrents avec le Premier ministre, accusations de corruption - malgré sa proximité avec Seïf al-Islam. Nommé ambassadeur en Inde, il démissionne de ce poste le 21 février 2011, après avoir publiquement condamné l'"usage de la violence contre des citoyens", ainsi que le recrutement de "mercenaires étrangers". Il s'est vu confier les affaires étrangères, avec le titre de vice-président, au sein de l'équipe exécutive du CNT. A ce titre, il a multiplié les tournées à l'étranger en compagnie de Mahmoud Jibril.
Abdel Hafiz Ghoga
Né à Benghazi il y a cinquante ans, cet avocat fut au début des années 1990 l'un des premiers à défendre, au nom des droits de l'homme, les islamistes torturés dans la prison d'Abou Salim. Arrêté au tout début de la rébellion, le 19 février, puis libéré quelques jours plus tard, il avait d'abord tenté de créer, dans sa ville, son propre comité de libération, avant de rallier le CNT.
Zubeir Ahmed el-Sharif
Accusé d'avoir participé à une tentative de coup d'état contre Kadhafi en 1973, il n'a été libéré qu'en août 2004 après trente et un ans d'emprisonnement. Il est, de loin, le dissident libyen qui a effectué le plus long séjour dans les geôles de la Jamahiriya.
Fatih Turbel Salwa
Ce jeune avocat de Benghazi, militant des droits de l'homme, est de ceux qui ont organisé la toute première manifestation des familles de prisonniers politiques, à Benghazi, le 15 février. Son arrestation, ce jour-là, est le point de départ de l'insurrection.
Salwa al-Deghali
Avocate, membre du barreau de Benghazi, elle est l'une des rares femmes au sein du CNT et appartient à une famille importante de Cyrénaïque, traditionnellement opposée à Kadhafi. L'un de ses oncles a fait plusieurs années de prison.
Omar al-Hariri
Exclu du CNT lors du remaniement du 9 août, après l'assassinat du général Younès, il pourrait cependant jouer un rôle dans l'après-Kadhafi. S'il avait participé en 1969 au coup d'Etat contre le roi Idris, qui a permis l'accession de Kadhafi au pouvoir, il est passé très vite dans l'opposition, ce qui lui vaudra quinze ans de prison à la suite de la "découverte", en 1975, d'un complot contre le Guide.