Coup d’Etat, Touaregs, salafistes : la crise au Mali pour les nuls
Deux semaines après son coup d’Etat, la junte militaire malienne a rendu les armes. Le président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, doit prendre la tête du pays le 12 avril et organiser un scrutin présidentiel dans les quarante jours. Sa tâche sera ardue : le pays est toujours coupé en deux.
Le 22 mars dernier, une junte militaire menée par Amadou Aya Sanogo, un lieutenant, a renversé le Président du pays Amadou Toumani Touré (ATT) ; les putchistes reprochaient au Président son laxisme dans le règlement de la crise qui secoue le Nord du Mali depuis la mi-janvier.
Depuis le 17 janvier, le Mouvement national de lutte pour la libération de l’Azawad (MNLA), un groupe armé de Touaregs, a en effet entrepris de conquérir le Nord du pays. Les Touaregs, peuple nomade implanté dans cette région avant l’arrivée des Français en Afrique de l’Ouest, ont toujours regretté que leur territoire ait été intégré au Mali lors de sa création en 1960. Ils rêvent de créer un nouveau pays. Le but du MNLA était donc de contrôler les garnisons et villes du Nord du pays, qui réunit les villes de Gao, Tombouctou et Kidal.
Face à cette offensive, les soldats maliens, mal équipés et peu soutenus par Bamako, ont fui leur position. C’est à cette débâcle que la junte militaire voulait mettre un terme en renversant ATT.
Elle l’a en fait encouragée. Le chaos qui suit la chute du président malien a permis au MNLA de maîtriser tout le Nord du pays une dizaine de jours plus tard.
Mais les rebelles touaregs ont été dépassés sur le terrain par un autre groupe de Touaregs : Ansar Dine. Ce dernier a contribué à la libération de certaines villes du Nord du pays depuis janvier.
Les vrais objectifs d’Ansar Dine, très différents de ceux du MNLA, ont fini par apparaître au grand jour. Ansar Dine, mouvement salafiste, veut instaurer la charia sur l’ensemble du Mali : il n’est pas question pour lui d’accepter la scission du pays en deux Etats indépendants.
Ansar Dine a depuis pris le contrôle de certaines villes du Nord, comme Tombouctou, délogeant le MNLA de ses positions. Les salafistes semblent depuis en position de force dans cette partie du pays : un groupe dissident d’Aqmi (Al Qaeda au Maghreb islamique), mouvement avec qui le chef d’Ansar Dine, Iyad ag-Ghali, a des liens, a enlevé le consul et sept membres consulaires algériens. Des membres de Boko Haram, groupe islamiste nigérian proche d’Al Qaeda, ont aussi été aperçus dans le Nord du Mali.
Coup d’Etat, révolte touarègue dans le Nord, coup de force des islamistes : la crise que traverse le Mali est complexe, ses acteurs nombreux. Rue89 vous aide à y voir plus clair.
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La junte militaire
Une prise de pouvoir éphémère
Lorsque, le 22 mars, le Mali attire l’attention des médias étrangers, il est trop tard : le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE), un groupe de militaires en colère, vient derenverser ATT.
Amadou Aya Sanogo, le lieutenant à la tête de cette junte, a pour premier réflexe de suspendre la Constitution « jusqu’à nouvel ordre », ainsi que toutes les institutions du pays.
L’ORTM, la télévision nationale, diffuse la déclaration de la junte, représentée par son porte-parole Amadou Konaré.
La principale raison de son opposition au chef de l’Etat se trouve au Nord du pays : depuis le 17 janvier, villes et garnisons sont attaquées par une rébellion touarègue, dont les membres cherchent à obtenir l’indépendance de la région.
Le CNRDE reproche au pouvoir en place à Bamako sa mauvaise gestion de la crise. Interviewé le 27 mars par un journal malien, Amadou Aya Sonago justifie son geste :
« Les militaires meurent et les attaques continuent, mais personne n’est informé à temps réel. [...] En plus, les troupes confrontées à l’ennemi n’ont pas souvent de secours. [...] Plus grave, nos hommes ne recevaient pas le matériel dont ils devaient disposer pour faire leur travail. »
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Le MNLA
Pour l’indépendance des Touaregs du Mali
L’armée malienne connaît en effet depuis le 17 janvier de grandes difficultés dans le Nord du pays. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), au sein duquel différents groupes armés touaregs ont fusionné, a entrepris la conquête de cette partie du pays.
Le mouvement, créé en octobre 2011, a profité des retombées de la révolution libyenne. Après la chute de Kadhafi, des milliers de Touaregs auparavant enrôlés dans l’armée libyenne depuis les années 1990 se sont réfugiés dans le Sahel.
Ils ne sont pas rentrés chez eux les mains vides : les armes et munitions dont ils disposent ont rendu possible une offensive de grande ampleur dans le Nord du pays.
Le but du MNLA est de conquérir l’Azawad, un territoire qui réunit les régions maliennes de Gao, Kidal et Tombouctou. Masin Ferkal, de l’association Tamazgha en faveur de l’Azawad, précise :
« Avant la colonisation, l’Azawad était plus vaste, il recouvrait tout le territoire des Touaregs, au Mali, mais aussi au Niger et en Libye... Il comprenait aussi à l’Est le territoire des Toubous, un autre peuple autochtone. »
Une revendication vieille de plusieurs dizaines d’années
Le peuple nomade des Touaregs s’étend sur cinq pays du Sahel : Mali,Algérie, Libye, Niger et Burkina Faso. Il fait partie de la famille des Amazighs. Ces derniers sont les habitants du Nord de l’Afrique présents avant l’arrivée des Arabes au VIIe siècle.
Des îles Canaries à l’oasis de Siwa, en Egypte, il réunit Kabyles, Chaouis, Rifains ou encore Chleuhs, autant de peuples revendiquant leur différence culturelle en Afrique du Nord.
Amadou Aya Sonago ne s’attendait pas à ce que son coup d’état donne un coup de pouce à la rébellion touarègue qu’il souhaitait combattre. Et pourtant, il est tombé à pic pour le MNLA. L’attaque lancée en janvier s’est accélérée début avril. En trois jours, les principales villes du Nord, Gao, Tombouctou et Kidal sont tombées entre ses mains, parfois sans grande résistance.
Le 6 avril, le MNLA a déclaré l’indépendance de l’Azawad. Mosa ag-Attaher, porte-parole du MNLA, explique à Rue89 :
« Ce n’est pas une rébellion, c’est une révolution qui s’inscrit dans un mouvement commencé dès 1958 lors de l’indépendance du Mali : nous avions demandé à la France de ne pas être rattaché à ce pays. »
Les revendications touarègues sur l’Azawad sont en effet anciennes. En 1958, lorsque le mouvement de décolonisation est amorcé, les Touaregs adressent une lettre à Charles de Gaulle, lui demandant que leur territoire ne soit ni divisé, ni intégré à des pays dans lesquels ils ne se reconnaissent pas.
La France, pendant un temps, avait envisagé la création d’un pays sahélien : en 1957 voit le jour l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), une entité politico-économique autonome allant de l’Algérie au Tchad, sur laquelle la souveraineté française était accentuée.
Le but de la France, qui venait de découvrir la présence de pétrole dans le Sud de l’Algérie, était de contrôler le Sahara, qu’elle considérait comme une zone riche en ressources naturelles. En 1963, le projet a été abandonné, en partie à cause de l’opposition du président Modibo Keita, premier président du mali indépendant.
Une rébellion touarègue plus solide que les précédentes
L’indépendance du Mali n’a cependant pas découragé les Touaregs, qui se sont soulevés à plusieurs reprises contre l’incorporation de leur territoire à ce nouveau pays. En 1963, 1990 et 2006, ils ont pris les armes, accusant le pouvoir central de marginaliser leur peuple.
Alors qu’ils militent pour l’amélioration de leurs conditions de vie, en-deçà de celles du Sud du pays, ils ne demandent pas l’indépendance du territoire où ils vivent. Apparue en 2012, cette velléité est une première : les moyens militaires et humains du MNLA lui permettent aujourd’hui de défendre une position qui lui était avant hors de portée.
Le rétablissement des institutions dissoutes par le coup d’Etat du 22 mars n’a pas amoindri les revendication du MNLA. Mosa ag-Attaher, affirme que toute arrivée de troupes dans l’Etat proclamé de l’Azawad sera considéré comme une agression, et que des combats ne sont pas à exclure.
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Ansar Dine
Un mouvement salafiste dirigé par un Touareg
La conquête des villes du Nord ne s’est cependant pas faite par les seuls membres du MNLA. Elles ont souvent été prises, en parallèle, par Ansar Dine, un groupuscule armé salafiste créé en décembre 2011.
Le MNLA explique que durant les premiers mois de la révolte touarègue, les deux mouvements « sans avoir d’alliance », libéraient simultanément les villes du pouvoir malien. Depuis, la « rupture » est consommée. Mosa ag-Attaher :
« En mars, nous avons rencontré les leaders d’Ansar Dine. Alors qu’avant ils proclamaient vouloir l’indépendance de l’Azawad, nous nous sommes rendu compte que leurs objectifs étaient très différents des nôtres. »
Si le MNLA veut un Etat indépendant à tendance laïque, Ansar Dine entend imposer les préceptes d’un islam dur sur l’intégralité du territoire malien. Interviewé par Jeune Afrique, l’intermédiaire d’Iyad ag-Ghali affirme :
« Il n’y a pas de problème entre nous et le MNLA, ils suivent leur chemin et nous suivons le nôtre. Ansar Dine ne connaît que le Mali et la charia. »
Le MNLA dépassé par Ansar Dine sur le terrain ?
Faute de nombreux journalistes présents dans le Nord du Mali depuis la rébellion, le rapport de force entre le MNLA et Ansar Dine est difficile à évaluer. Plusieurs sources rapportent que le groupe islamiste contrôle plusieurs villes du Nord.
Selon Al Jazeera, il a par exemple délogé le MNLA du centre de Tombouctou.
Soucieux de ne pas voir son mouvement assimilé aux islamistes, le MNLA a envoyé début avril un ultimatum aux combattants d’Ansar Dine. Ceux-ci devaient avoir quitté la ville avant le 6 avril s’ils ne voulaient pas être attaqués. Les menaces n’ont jusqu’à présent pas été mises à exécution.
Le MNLA déclare que la lutte contre Ansar Dine n’est « pas une priorité », qui est davantage la défense des nouvelles frontières de l’Azawad (non reconnues par la communauté internationale).
Iyad ag-Ghali, un chef historique de la lutte touarègue
Il est surtout difficile pour le MNLA d’attaquer Iyad ag-Ghali. Le chef d’Ansar Dine est lui aussi touareg, proche de la chefferie des Ifoghas, tribu dont une partie des membres du MNLA est issue.
Une attaque contre ce chef serait d’autant plus mal acceptée d’une partie des Touaregs qu’Iyad ag-Ghali est encore respecté parmi ces derniers : c’est lui qui a mené la révolte touarègue de 1990 et signé les accords de Tamanrasset avec le gouvernement en 1991. Il demeure un symbole de la lutte touarègue, même si le sentiment de la population est partagé à son égard depuis qu’il a adhéré au salafisme dans les années 1990.
Son discours a en effet mué au fil des ans. Envoyé en Arabie saoudite en 2007 pour y être conseiller consulaire, il sera expulsé du pays en 2010, accusé d’entretenir des liens avec Al Qaeda.
Les Occidentaux ont depuis fait appel à lui à diverses reprises lors des prises d’otages afin qu’il serve d’intermédiaire avec Aqmi.
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Aqmi
Une idéologie proche d’Ansa Dine
La présence d’Aqmi dans le Nord du pays est un autre défi qui attend le MNLA et le Mali. La branche africaine d’Al Qaeda, implantée dans cette zone depuis 2003, n’a jamais été combattue avec acharnement par le Mali, ni les pays alentours, comme l’Algérie, dont sont originaires la plupart de ses membres.
Sa mission est la même que celle d’Ansar Dine, mais ses moyens divergent : le groupe islamiste malien ne capture pas d’otage, ne décapite pas ses prisonniers.
Bien que la présence d’Aqmi soit à relativiser, elle doit être observée avec attention. Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), groupe dissident d’Aqmi, a revendiqué l’enlèvement du consul d’Algérie et de six membres de sa mission enlevés à Gao le 5 avril.
RFI relate également la présence de combattants de Boko Haram, mouvement islamiste du Nigeria auteur de plusieurs attentats ces dernières années :
« Boko Haram-Aqmi, les relations se renforcent chaque jour. Certes, contrairement à Aqmi, Boko Haram n’a toujours pas fait allégeance à Al Qaeda, mais une branche de cette secte séjourne aisément sur les terres des islamistes dans le Sahel. Ils reçoivent une formation militaire dans le maniement des explosifs. Ils reçoivent aussi une formation idéologique. »
Ses liens avaient avec Al Qaeda avaient déjà été évoqués en juin 2011, lors de l’attaque d’une église au Nigeria revendiquée par Boko Haram.
Le MNLA, repoussoir d’Aqmi dans le Nord du Mali
Le MNLA réfute tout lien avec ces différents groupes. Les Touaregs avaient en effet combattu Aqmi en 2006, après qu’Ibrahim Ag-Bahanga, leader d’une petite rébellion touarègue à la frontière algérienne, a demandé à l’organisation islamiste de quitter le Nord du Mali.
Mokhtar ben Mokhtar, un des leaders d’Aqmi, avait été déclaré mort, bien qu’il ait en réalité survécu.
Aqmi a rencontré des difficultés pour s’étendre dans le nord du Mali : les Touaregs qui y vivent ont une pratique de l’Islam beaucoup plus modérée et voient d’un mauvais œil l’arrivée de ses combattants qui sèment le trouble et font fuire les touristes.
Le MNLA refuse de devoir porter la responsabilité du coup de force des islamistes survenu après le coup d’Etat. Mosa ag-Attaher souligne :
« Aqmi existait avant la proclamation de l’Etat de l’Azawad. Le Mali a laissé tous ces groupes terroristes, narcotrafiquants s’installer dans cette région. On ne va pas réussir à les chasser du jour au lendemain. »
Le MNLA souhaite être intégré à la lutte antiterroriste menée par les différents pays de la région. Une proposition qui n’a pas intéressé ces derniers. Dans un communiqué publié le 6 avril, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a sous-entendu ne pas faire de différence entre le MNLA et les autres groupes armés présents dans l’Azawad :
« La Commission rappelle à tous les groupes armés du Nord du Mali que le Mali est “un et indivisible” et qu’elle usera de tous les moyens, y compris le recours à la force, pour assurer l’intégrité territoriale du pays. »
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