Repenser l’espace sahélo-saharien
A la lumière des événements actuels survenus au Sahel, la communauté internationale prend peu à peu conscience de la nécessité d’une approche globale de la sécurité dans la sous-région. Nous devons donc lui rappeler avec insistance que cette approche doit nécessairement passer par le règlement définitif du conflit qui oppose depuis cinquante ans les populations des régions concernées aux Etats centraux du Mali et du Niger.
L’intervention massive concoctée l’année dernière et rendue effective dès le 11 janvier 2013 pour reconquérir l’Azawad et le remettre sous l’autorité du Mali est un acte politique fort qui place de fait la France au cœur des antagonismes qui secouent l’espace sahélo-saharien. Longtemps ignoré par la communauté internationale, le conflit qui oppose ces régions aux Etats centraux du Niger et du Mali commence à susciter un certain intérêt à la faveur de la guerre déclarée aux jihadistes installés dans la région depuis plus de dix ans. En effet, l’émergence opportuniste de ces groupes brouille la compréhension des tensions ordinaires qui hélas sont à l’origine de la situation actuelle au Mali.
Depuis la création par l’administration coloniale française du Niger et du territoire que Modibo Keita baptisé Mali, les populations qui habitent le nord de ces deux pays n’ont pas cessé de revendiquer leur droit à être véritablement associées à la gestion politique et économique de ces Etats. Cette revendication, qui a toujours été considérée comme totalement incongrue a permis au pouvoir central d’organiser régulièrement de terribles représailles sur les populations civiles. Cette situation n’a laissé aucun autre choix à ceux qui la portent depuis des décennies, que celui des armes pour se faire entendre.
Aujourd’hui, une reconfiguration géopolitique de cet espace paraît inévitable afin de tirer les leçons de l’échec des systèmes postcoloniaux et de faire face aux défis actuels de la sous-région. La stabilité et la sécurité au Sahel passent inévitablement par le règlement de la question touarègue au Mali et au Niger.
Les dernières évolutions
La France a donc décidé d’engager son armée au Sahel pour tenter de contenir la progression de l’idéologie jihadiste. Cette intervention est d’autant plus spectaculaire qu’elle a pour théâtre une région dont les souffrances ont été longtemps ignorées par la communauté internationale. La France, après avoir tracé les frontières actuelles du Niger et de l’actuel Mali, avait mis en place, au moment où elle renonçait à ses prétentions coloniales, des systèmes politiques auxquels elle a transféré tous les pouvoirs. Ces nouvelles administrations ont ainsi été construites autour de certains corps constitués, en particulier l’armée, qui se sont ainsi accaparés les institutions des nouveaux Etats, excluant totalement des communautés dont les territoires traditionnels avaient été pourtant arbitrairement intégrés à ces nouveaux pays. Nous avons dû admettre au fil du temps que la France n’avait pas cru bon, et n’avait nullement l’intention de le faire, d’organiser un suivi et de se soucier ainsi des intérêts des populations et des peuples dont elle a de ce fait et pour longtemps hypothéqué l’avenir. L’administration coloniale laissait derrière elle des Etats à construire dont les populations n’avaient pas choisi librement de partager un projet national commun.
Situation piégée, que les nouvelles élites nigériennes et maliennes — créées de toutes pièces au moment de ces indépendances, donc souvent pas du tout ou à peine enracinées dans le terroir même des sociétés qui allaient composer ces Etats — n’ont jamais été capables de désamorcer. Les différentes rébellions touarègues ont été des signes forts de ce malaise. La mal-gouvernance qui a caractérisé ces Etats a également largement empêché qu’une prise de conscience de ces élites politiques, semble-t-il toujours en cours d’apprentissage, voit le jour. Le parapluie français a permis au Niger et au Mali d’étouffer les revendications touarègues en les couvrant, notamment sur la scène internationale, même quand des violations massives des droits de l’homme étaient commises par les armées de ces pays sur des populations civiles. Aujourd’hui, la naissance d’un nouveau jihadisme international et son arrivée dans la sous-région ont changé la donne et perturbent par leurs conséquences — que l’on ne peut plus cacher tellement elles sont tragiques —les schémas très primaires, donc très confortables afin de n’avoir pas à intervenir, élaborés par la communauté internationale officielle. L’idéologie jihadiste reste cependant un phénomène opportuniste qui couvre difficilement les problèmes politiques qui résultent de l’incapacité du Mali à faire, notamment, coexister de manière équitable et apaisée ses communautés ethnoculturelles.
Aujourd’hui, le retour de la France dans ses anciennes colonies et la dimension que prend son engagement au Sahel constituent un événement majeur qui ne manquera pas de reposer la question non seulement de sa responsabilité historique, mais aussi de son rôle en tant que puissance de tutelle sur le Mali et le Niger.
L’intervention française risque cependant d’aggraver la situation si elle n’est pas menée avec discernement et respect des populations locales. En effet, une présence militaire dirigée contre les revendications légitimes des populations de l’Azawad risque de précipiter toute la sous-région dans un conflit généralisé, du Tchad à la Mauritanie. Les exactions commises par l’armée malienne sur les populations civiles touarègues, maures et peuhles sous les yeux de l’armée française risquent de faire naître une certaine méfiance de ces populations à l’encontre de la politique française dans la sous-région.
La preuve est faite que les armées malienne et nigérienne sont structurellement incapables de sécuriser l’espace sahélo-saharien. Cela est dû à la nature même de leur recrutement et au décalage entre ces armées et les populations qui habitent les régions concernées. L’expérience des deux dernières décennies a montré des armées habituées à se comporter en armées d’occupation et les populations gardent encore en mémoire les massacres massifs des années 90 perpétrés au Mali et au Niger.
Incertitudes politiques
Si l’Etat malien a échoué dans sa mission première, qui est celle de faire cohabiter dans la justice et l’équité les différents peuples qui composent sa population, on voit mal comment il peut légitimement s’appuyer sur cet échec pour imposer une quelconque solution à l’Azawad
Par conséquent, le succès de l’intervention française ne peut être effectif que si les problèmes politiques qui ont favorisé l’émergence de groupes armés dans cette région sont réellement pris en compte. Les trafiquants en tout genre savent que seules les communautés locales touarègues, maures, arabes, kountas, touboues peuvent les empêcher de s’adonner à leurs activités illicites. Et, dans la partie centrale de cet espace sahélo-saharien, la communauté touarègue est incontournable pour faire face à ces menaces qui déstabilisent la sous-région.
Les perspectives
Aujourd’hui, le Mali et le Niger doivent se rendre à l’évidence et accepter de remettre en question ce qui n’a pas fonctionné pendant cinquante ans et de créer les conditions d’un nouveau départ dans leur système de gouvernance. Cela permettrait de mettre un terme aux cycles de violences et augmenterait leur capacité à faire face aux nouveaux défis en termes de démocratie, de développement et de sécurité.
Il est tout de même curieux de se féliciter du réveil des peuples à travers ce qu’il est convenu d’appeler « les printemps arabes » et de bloquer l’expression des peuples du Sahel, qui aspirent à une meilleure gouvernance et au respect de leurs droits.
La communauté internationale serait bien inspirée d’accompagner les voix de plus en plus nombreuses qui se font entendre pour placer les droits des peuples au centre d’une reconfiguration géopolitique incontournable dans cette région. Il serait illusoire de vouloir stabiliser l’espace sahélo- saharien sans prendre en compte les aspirations légitimes des peuples qui y vivent. L’Azawad n’échappe pas à la règle.
La refondation de l’Etat malien constitue un impératif absolu pour mettre un terme à l’instabilité qui favorise l’insécurité et la prolifération de groupes armés plus ou moins mafieux. L’objectif de cette refondation étant la mise en place d’institutions adaptées aux réalités socioculturelles du pays. Chaque communauté devrait se sentir chez elle sur son territoire traditionnel dans un système fédéral ou une autonomie aussi large que possible. Cette autonomie reprendrait les acquis du Pacte national pour expliciter le statut particulier et consacrer ainsi le fédéralisme au Mali ou l’autonomie de l’Azawad.
La dimension qu’incarne le MNLA (Mouvement National de Libération de L’Azawad) aujourd’hui est incontournable pour une stabilisation et une sécurisation durables de l’espace sahélo-saharien. En effet, la légitimité et la réalité des revendications portées par le MNLA ne sauraient être amoindries par les insuffisances et les problèmes d’organisation que rencontre aujourd’hui ce Mouvement. Même si ce dernier venait à disparaître comme d’autres avant lui, cette question demeurera ; d’autres Touaregs et Azawadiens reprendront le flambeau tant que les populations de cet espace sahélo-saharien ne seront pas reconnues dans leurs identités et dans leurs droits sur les territoires de leurs ancêtres. Le MNLA est plus représentatif de l’ensemble du peuple touareg que ne l’est le gouvernement malien de l’ensemble des communautés qui composent la population de l’Azawad !
Pour le mouvement touareg, il s agit avant tout de se défaire de la domination du système politique en vigueur depuis plus de cinquante ans au Mali et au Niger et qui n’a pas su prendre en compte la diversité et les aspirations des populations concernées.
Si les Touaregs continuent à être marginalisés et massacrés dans l’indifférence générale de la communauté internationale, ils finiront par pactiser avec le diable pour exister et combattre ceux qu’ils auront identifiés comme leurs véritables ennemis. Le mouvement touareg est en mesure de peser dans la sous-région et d’assumer un rôle majeur dans la stabilisation et la sécurisation de cet espace. Le mouvement touareg n’a pas pour vocation première de combattre l’islamisme, mais, si ce courant politique devait se fondre dans des organisations violentes qui veulent imposer par la force un ordre contraire aux intérêts du peuple touareg, alors, il devra être combattu.
Le peuple touareg, à travers sa jeunesse émergente, commence à prendre conscience de ses intérêts et à porter un regard plus pragmatique sur les évolutions géopolitiques de la sous-région. La France, qui avait permis au moment de la décolonisation, sans doute plus par indifférence, synonyme à ce niveau d’irresponsabilité, que par machiavélisme d’écarter les Touaregs de la gestion politique des nouveaux Etats auxquels elle avait intégré leurs territoires, se doit aujourd’hui de contribuer à la réparation de cette injustice. Si elle devait persister à vouloir seulement se contenter de réimposer par la force les schémas qu’elle avait déjà mis en place au lendemain des indépendances, elle se verrait placée en porte-à-faux par rapport à la marche du temps et celle que les Touaregs ne veulent pas abandonner : leur avenir !
Les violations des droits de l’homme
L’Etat malien et les dirigeants qui prétendent actuellement illégitimement vouloir le prendre en charge doivent répondre devant la CPI des crimes commis contre les populations touarègues, maures et peules depuis cinquante ans. Il s’agit d’une des conditions majeures à toute réconciliation entre l’Azawad et le Mali. Tout arrangement qui ferait abstraction de cette exigence est voué à l’échec.
Les tenants du « Mali un et indivisible » ne se rendent pas compte de l’absurdité de leur slogan, alors qu’ils démontrent jour par jour leur incapacité à dénoncer les massacres de populations civiles touarègues, maures et peules. L’incapacité de la classe politique malienne ne se limite même pas à ce qui précède, ce qui est déjà énorme, elle se montre aussi incapable d’imaginer, même sur le papier, une sortie de crise qui serait le fruit d’une concertation entre les différentes communautés du pays. A défaut d’institutions et d’Etat clairement identifiés, la communauté internationale se doit de prendre ses responsabilités et mettre en place une administration provisoire neutre capable d’organiser la refondation de l’Etat et de ses institutions.
Rappelons que l’utilisation de quelques personnalités touarègues par le système politique malien ne constitue pas un élément significatif en soi. Cette méthode a déjà beaucoup servi dans un contexte classique de clientélisme, d’opportunisme et de fatalisme inhérent à tout conflit de ce type. Ces Touaregs avaient choisi d’épauler aveuglément une politique qui a été essentiellement dirigée contre leur communauté et dont ils seront à la longue eux-mêmes les grands perdants.
En réalité, l’acharnement contre le MNLA est une manière de combattre la communauté touarègue dans son aspiration à refuser toute domination ethnocentriste que le système politique malien actuel cherche à perpétuer.
Abdoulahi ATTAYOUB
Président de l’ODTE (Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe)