mercredi 30 octobre 2013

Otages d’Arlit : les dessous d’une libération

Otages d’Arlit : les dessous d’une libération

LE MONDE |  • Jacques Follorou


Le président nigérien, Mahamadou Issoufou (au centre), Laurent Fabius (à droite) et Jean-Yves Le Drian, aux côtés des quatre ex-otages français, mardi 29 octobre à Niamey. [CREDIT]ECPAD/REUTERS

Pour mettre un terme aux trois ans de détention des quatre derniers otages français d’Arlit, Pierre Legrand, Daniel Larribe, Thierry Dol et Marc Féret, il aura fallu une opération de récupération de huit jours, le versement d’une rançon et des mois de négociations. Les quatre hommes ont recouvré la liberté, mardi 29 octobre, et sont arrivés, mercredi peu avant midi, à Paris.
Apparemment en bonne santé, ils ont été accueillis à Niamey, la capitale du Niger, par les ministres français de la défense et des affaires étrangères, Jean-Yves le Drian et Laurent Fabius.
Lire aussi le récit de leur détention : Les otages français enlevés au Niger ont été libérés
Les dix-huit hommes, des Français et des touaregs, qui les ont récupérés à l’extrême nord-ouest du Mali, près des frontières mauritanienne et algérienne, ont quitté, le 21 octobre, la petite ville de Kidal, au coeur du Sahel, à bord de plusieurs véhicules. Ils ont laissé derrière eux tous leurs outils de communications.
« PLUS D’UNE VINGTAINE DE MILLIONS D’EUROS » 
Totalement coupés du monde, ils veulent éviter d’être traqués par les grandes oreilles américaines mais également françaises et protéger les ravisseurs de tirs de drones dès que les otages seront entre leurs mains. Pour l’aller comme pour le retour, le convoi évite les voies directes. On ne saura s’ils ont réussi leur mission qu’à leur retour à Kidal. Le plan initial prévoit un retour entre les vendredi 25 et dimanche 27 au soir.
Le trajet dans l’extrême nord désertique du Mali promet d’être tendu. Le 20 octobre, l’armée française a lancé une vaste opération de ratissage, bien plus au sud. Au nord, la zone grouille de petits groupes djihadistes incontrôlables. Selon une source française connaissant les détails de cette opération, des membres de la DGSE ont remis aux membres du convoi, la veille de leur départ de Kidal, la « contrepartie » à la libération des otages, « plus d’une vingtaine de millions d’euros ».
Il a été convenu à l’avance que les ravisseurs devaient d’abord regrouper les quatre otages qui avaient été séparés au mois de juillet. Puis de les laisser, seuls, deux ou trois jours, dans un endroit sécurisé avec de l’eau et de la nourriture. A un autre endroit, les preneurs d’otages devaient ensuite échanger l’argent contre les coordonnées GPS permettant de localiser les quatre Français. Le convoi est revenu à Kidal le mardi 29 octobre d’où les ex-otages s’envolent pour Niamey.
LUTTES ENTRE DES RÉSEAUX FRANCO-FRANÇAIS 
C’est l’épilogue de six mois de tractations ponctuées de négociations parallèles, de luttes entre des réseaux franco-français et d’une volte-face du président Hollande.
Cette issue heureuse trouve son origine au mois de décembre 2012. L’Elysée ordonne alors à Erard Corbin de Mangoux, le directeur de la DGSE, de « débrancher » un négociateur français qui tient alors encore le haut du pavé après avoir fait libérer, en février 2011, les trois premiers otages d’Arlit. Jean-Marc Gadoullet, ex-DGSE reconverti dans la sécurité au Niger et au Mali, met en avant ses contacts avec le groupe de ravisseurs dirigé par l’émir Abou Zeid. Mais l’absence de résultats et le déficit croissant de confiance signent sa mise hors jeu.
Le conseil restreint de défense, à l’Elysée, le 29 décembre 2012, lui accorde un répit jusqu’au 10 janvier, la veille du lancement de l’opération militaire française « Serval » contre les groupes djihadistes au Mali qui va tout geler.
LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE PREND LA MAIN 
Il faut attendre le mois de mai pour que des négociations soient relancées. L’opération Serval a baissé en intensité, la France compte un nouveau directeur de la DGSE, le diplomate Bernard Bajolet. Jean-Marc Gadoullet est officiellement écarté du dispositif, tout comme les entreprises qui employaient les otages.
Le ministère de la défense prend la main et promeut la solution présentée par le président de la société de sécurité Amarante, Pierre-Antoine Lorenzi, un ancien des cabinets ministériels socialistes, proche de Cédric Lewandowski, le directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian.
Ce « plan B » passe par le Niger. M. Lorenzi travaille avec Mohamed Akotey, homme de confiance du président nigérien, Mahamadou Issoufou. Il est également président du conseil d’administration d’Imouraren SA, la filiale Niger d’Areva et neveu de Mano Dayak, un ex-chef rebelle touareg. Intermédiaire privilégié des groupes djihadistes de la région sahélienne, Mohamed Akotey avait le contact avec Abou Zeid jusqu’à la mort de ce dernier, en février, dans des affrontements pendant l’intervention française. Il a conservé le lien avec les lieutenants d’Abou Zeid.
AU MOIS DE MAI, JEAN-YVES LE DRIAN SE REND À NIAMEY
Mohamed Akotey dirigera le convoi qui récupérera les otages. Mais avant cela, il mène les pourparlers avec Choureb, le successeur d’Abou Zeid à la tête de la Katiba qui retient les Français. Selon un membre des services de renseignement français au Mali, il a aussi le contact avec Mokhtar Belmokhtar, l’un des chefs redoutés d’AQMI. Les relations avec les ravisseurs ne sont pas aisées. Les Français ont tué leur chef mais ils veulent être payés.
Au cours du mois de mai, Jean-Yves le Drian se rend à Niamey (il y retournera discrètement au moins deux fois) pour valider l’option Lorenzi-Akotey auprès du président Issoufou. François Hollande donne son feu vert. Mais, à partir de juin, le directeur de la DGSE, entame également ses négociations avec l’Etat nigérien.
Deux voies s’opposent sur des questions de personnes mais aussi sur des points de doctrine. Selon une source au sein du ministère de la défense, M. Bajolet, fidèle à la ligne fixée par le chef de l’Etat début 2013, défend une ligne de discussions sans versement de rançon pour la libération d’otages.
L’ARGENT A ÉTÉ PRÉLEVÉ SUR LES FONDS SECRETS
D’après plusieurs intervenants, la situation se tend fin juin entre le président nigérien et la DGSE. Visiblement contrarié par la volonté de M. Bajolet de contrôler le processus engagé, M. Issoufou décide de mettre ses moyens aériens au service du duo Lorenzi-Akotey pour poursuivre les négociations financières avec les ravisseurs.
Lorsque la partie nigérienne estime que la négociation est ficelée, le président Issoufou appelle son homologue français et lui présente les termes d’un accord. On peut les sortir mais il faut payer, dit-il en substance. François Hollande donne son accord, contredisant ses déclarations devant les familles des otages d’Arlit en janvier auxquelles il assurait que la France ne paierait plus.
Il reviendra au secrétaire général de l’Elysée, Pierre-René Lemas, de prévenir le directeur de la DGSE de la solution retenue. Selon nos informations, l’argent a été prélevé sur les fonds secrets alloués aux services de renseignement. La somme a été acheminée par la DGSE jusqu’à Kidal puis remise à Mohamed Akotey et aux hommes d’Amarante. Les services français apportent la logistique (voitures, armes, hélicoptères, avion). Amarante fournit les contacts locaux.
L’ELYSÉE A DÉMENTI TOUT VERSEMENT DE RANÇON
La gestion du dossier d’Arlit n’a pas été exempte de sous-entendus. Le ministère de la défense – qui regrette, en privé, que le nouveau patron de la DGSE privilégie sa relation avec l’Elysée plutôt qu’avec son ministère de tutelle – a soutenu sans faille le duo Lorenzi-Akotey. Pour sa part, le président nigérien a rappelé, lors d’un entretien avec M. Hollande, que son aide pourrait lui valoir, en retour, un coup de pouce dans ses négociations avec Areva. L’entreprise publique française refuse en effet les termes financiers proposés par Niamey pour renouveler sa concession d’exploitation d’uranium avant la fin de l’année.
Sollicité par Le Monde, MM. Bajolet et Lewandowski ont refusé de s’exprimer sur cette affaire. L’Elysée a démenti tout versement de rançon.

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