Libération des otages sahariens
ou comment 11 sardines baignent dans l’huile
Tufuk, adu ed fad. Durant trois ans, trois longues années, le quotidien des quatre otages français enlevés au Niger en 2010 était fait de soleil, de vent et de soif. Capturés sur le site de leur employeur AREVA, ces expatriés, au cours de leur détention, ont été achetés, vendus, revendus, échangés, troqués plusieurs fois par leurs ravisseurs au gré des changements politique, stratégique et diplomatiques. Car capturer un otage, c’est avoir, et pour longtemps, un moyen de pression réel et efficace sur l’adversaire et surtout un moyen d’obtenir de très grosses sommes d’argent.
Si les conditions de détentions des otages ont été mouvementées, comme toujours en pareil cas, il reste d’inquiétantes permanences dans ce monde réputé versatile. Ce n’est pas la première fois que des otages sont capturés dans la bande saharo-sahélienne, loin s’en faut. Certains sont morts, d’autres ont été libérés, toujours contre rançon.
Au fil des ans, un nom a filtré dans l’omerta qui entoure les négociations : Iyad ag Aghaly, un Touareg originaire de la région de Kidal. Employé par la France, ce renard a su s’imposer comme l’incontournable interlocuteur entre les groupes salafistes ravisseurs et un gouvernement français largement sous-informé de la situation qui prévaut dans son ancienne colonie. Ce « bon touareg » a eu, voici quelques mois, ce que l’on pourrait désigner par la litote « son moment de faiblesse ». Voici qu’à force de négocier, le négociateur a finalement tourné sa veste et a rejoint le clan des ravisseurs, sans doute contre des millions (de dollars, pas de CFA). Avec le soutien de nombreux gouvernements arabes dont l’Algérie et le Qatar, il a acquis la certitude de pouvoir, à terme, contrôler sa propre portion de Sahara et d’implanter sa Kitaba dans sa région natale. Or donc, grâce à son carnet d’adresse bien rempli et des poches qui ne le sont pas moins, il a créé sa Katiba : Ansar eddin (que j’aime par calembour appeler les 11 sardines) et s’est rebaptisé dans la foulée Abou Fadil. Pour la France, c’est un gant, un camouflet, une gifle, un bourre-pif envoyé en pleine figure. Comment Iyad, notre ami, notre agent, notre homme celui que nous avons formé, choyé et acheté à coup de millions (d’euros, pas de CFA), a-t-il pu rejoindre aussi lestement l’esprit du mal ?
Décidé à s’imposer à tous prix, Iyad Abou Aghaly Fadil a su, par une intelligence stratégique remarquable, devenir un homme incontournable dans la scène qui se joue actuellement dans la frange saharo-sahélienne. Intermédiaire entre ceux qui incarnent respectivement le bien et mal, selon les points de vue, il ne peut y avoir aujourd’hui de libération d’otage sans passer par sa personne. Même passé dans le camp des djihadistes, il reste le négociateur centrale de la libération des otages, mais cette fois pour le compte des Kitaba islamistes, pas pour le compte de ce beau pays aux mille fromages.
Allez ! Le petit moment de surprise passé et toute honte bue, la France a finalement considéré qu’un petit retournement de veste n’était au fond pas si grave, du moment qu’elle pouvait conserver un interlocuteur privilégié dans la zone. Parti frayer dans des horizons plus lucratifs, il a fallu combler la place laissée vacante par Iyad. C’est là qu’un parent éloigné de ce dernier entre en scène. Issu de la même tribu qu’Iyad, Mohamed Akotey présente aux yeux des Français de multiples avantages : il est nigérien, c’est un intellectuel qui connaît les arcanes du pouvoir pour avoir exercer de multiples fonctions au sein des gouvernements nigériens de ces dix dernières années. Il est posé et réfléchi et a la difficile réputation aux royaumes des corrompus d’être un fonctionnaire dévoué, voire incorruptible. Ce qu’il fait, il le fait par conviction et pas pour de l’argent. Une vraie surprise que des hommes comme ça existe ! Son rôle a été déterminent dans la libération des quatre otages. C’est sûr ! C’est lui qui depuis des mois et des mois négocie avec Iyad pour leur libération.
Hasard du calendrier ou pas, ils sont libérés à un moment où vont s’ouvrir des négociations pour le retour de la stabilité au Mali. C’est comme ça que ça s’appelle. Ces négociations sont sensées mettre d’accord le gouvernement malien et partant français, le MNLA, la branche laïque des indépendantistes touaregs (souvenez-vous, ils ont fait parler d’eux il y a quelques mois), le HCUA, qui n’est autre qu’une refonte d’Ansar eddin, mais avec un nom à consonance moins djihadiste et le MAA qui regroupe différences obédiences arabes. En fait, cette rencontre n’a de négociation que le nom car il n’y a en fait plus rien à négocier ; tout a déjà été vendu en juin 2013 à Ouagadougou. « On siffle la fin de la récréation », a dit la France, « les laïcs, on s’en fout, autant commencer à négocier tout de suite avec les djihadistes car ils sont tout puissants et durablement enracinés dans la zone. Même après leur avoir envoyé notre arme secrète, notre chat sauvage, le serval, ils n’ont pas perdu en puissance ». Et puis, la France a ses traditions (qu’elle appelle d’ailleurs à tors des valeurs). Depuis la période bénie de la colonisation, où la France était toute puissante, elle a pour habitude de négocier avec la tribu d’Iyad, les Ifoghas. A de multiples reprises, pour calmer les velléités touarègues d’indépendances, les ancêtres d’Iyad se sont imposés comme des intermédiaires. La France aime avoir des fondamentaux, ça la rassure. Mais ça la met aussi en retard, car les contextes changent et qu’elle se contente de répéter toujours les mêmes logiques, sans discernement.
En somme, à qui profite cette libération ? A Iyad en premier chef, qui fait décidément la pluie et le beau temps au Sahara sans même perdre son temps dans des négociations.
Tadimit n Akall