mercredi 11 janvier 2012

Le Point.fr - Publié le 08/01/2012 à 09:44

La famille de Vincent Delory, tué en janvier 2011, accuse les militaires français d'être responsables de sa mort. Officiellement, l'armée est muette. En privé, beaucoup moins...

Antoine de Léocour et Vincent Delory sont morts en janvier 2011 au Niger.
Antoine de Léocour et Vincent Delory sont morts en janvier 2011 au Niger. © Denis Charlet / AFP

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Les questions qui s'étaient posées voici un an après la mort des deux otages français, Vincent Delory et Antoine de Léocour, tués à l'intérieur du territoire malien après avoir été enlevés au Niger par l'Aqmi, rebondissent. Des éléments de l'interrogatoire d'un membre du groupe se revendiquant d'al-Qaida ont été publiés vendredi dernier par Libération, qui relate une version indirecte mais détaillée, à défaut d'être vérifiable, des conditions de la mort des deux otages français. 
Selon la version de Mohamed al-Amine ould Mohamedou ould M'Balle, alias Mouawiya, 22 ans, recueillie par la justice française, Antoine de Léocour aurait été tué par ses ravisseurs, mais Vincent Delory aurait péri brûlé dans le 4x4 chargé d'essence, à la suite des tirs qui l'ont touché. Avocat de la famille Delory, Frank Berton estime que ces déclarations confortent "l'idée qu'(ils) sav(aient) que c'étaient les tirs de l'armée française qui avaient mis le feu au 4x4". Il demandera la semaine prochaine l'ouverture d'une enquête pour "homicide involontaire", afin que les militaires français ayant participé à ces combats soient entendus par les magistrats instructeurs. 
Selon l'article 221-6 du Code pénal, l'homicide involontaire est "le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement la mort d'autrui".

Absence de gilets pare-balles ?

France Inter a par ailleurs diffusé, le 6 janvier, une interview d'Annabelle Delory, soeur de Vincent Delory, reprochant aux parachutistes d'être intervenus sans porter de gilet pare-balles : "Les militaires étaient à une cinquantaine de mètres à peine du véhicule dans lequel se trouvait mon frère. Ils ont eu un blessé parmi eux et l'ensemble du groupe s'est replié. Personne ne va vers le véhicule pour récupérer mon frère. Alors que, pour nous, il était encore vivant à ce moment-là." 
Selon la famille, qui se réfère à un entretien avec un colonel du COS (Commandement des opérations spéciales) organisé par le ministère de la Défense le 11 juillet dernier, le militaire victime d'un tir direct au thorax n'aurait pas été blessé s'il avait porté son gilet pare-balles. L'opération aurait pu se poursuivre jusqu'à son terme. Selon le témoignage de Mme Delory, il faudra trente minutes pour que d'autres parachutistes parviennent sur la zone, qui découvriront le corps du jeune homme à un mètre du 4x4, qui avait explosé entre-temps. 
Citée par l'AFP, la soeur de Vincent Delory accentue ses accusations : "Quand des hommes au sol ne sont pas protégés, ils ne vont pas aller se faire fusiller s'ils ne sont pas équipés pour. C'est aussi ce qui nous fait dire que le but n'était pas de protéger la vie des otages." 

"Échec tactique, pas stratégique"

Son avocat demande que l'enregistrement filmé de l'opération, réalisé par un avion de surveillance, soit transmis à la justice dans son intégralité. Le film a fait l'objet d'une coupe d'une minute, celle au cours de laquelle le 4x4 prend feu. Le ministère de la Défense a indiqué que cette coupe avait été faite afin de "ne pas révéler (...) certains détails opérationnels". Selon nos informations, ce film a en fait été tourné par une équipe de la DGSE, embarquée sur un avion du service, l'un des deux appareils français qui survolaient la scène des combats.
Du côté du ministère de la Défense, on ne commente pas ces développements. Mais en privé, des cadres militaires contestent généralement l'attitude de la famille Delory. Ils soulignent que l'opération a été ordonnée à bon escient par Nicolas Sarkozy, qui se trouvait alors en voyage officiel aux Antilles mais disposait de tous les éléments pour analyser les événements et la réponse à apporter avec son chef d'état-major particulier, le général Benoît Puga, ancien chef du commandement des opérations spéciales avant de devenir sous-chef opérations à l'état-major des armées. 
Un officier général interrogé par Le Point est très net : "Il fallait tenter cette opération. Le pour et le contre ont été discutés. Je ne parle pas la langue de bois et vous le dis nettement : si n'importe quel groupuscule peut enlever des compatriotes vivant tranquillement dans une capitale africaine, il faut marquer un coup d'arrêt. Dès lors qu'on avait la capacité de réagir, il fallait le faire ! Bien sûr, les sortir vivants eût été un triomphe absolu. Mais c'est l'honneur des politiques d'agir de la sorte : leur responsabilité globale peut conduire à privilégier l'intérêt national. Nous avons connu, dans cette affaire, un échec tactique, mais je n'en dis pas autant au plan stratégique." 

"Confusion perverse"

Pour cet autre officier général, la réaction de la famille Delory "introduit une confusion perverse" dans l'analyse d'une opération de vive force "qui relève de l'action militaire, pas de l'opération de police". "Or une action militaire demeurera toujours singulière, hors norme. Elle ne sera jamais comparable à un événement de la vie courante !" 
Quant aux conditions techniques de l'intervention, elles ne sont pas discutées par nos interlocuteurs, observant généralement que les forces spéciales agissent dans des conditions particulières, sans se conformer toujours aux règles de sécurité en vigueur dans les unités classiques. Le port, ou non, du gilet pare-balles relevait d'une décision du commandement, qui a pu privilégier l'allègement maximal des parachutistes, pour les rendre plus mobiles ou pour favoriser l'emport d'autres équipements, de munitions ou de carburant à bord des hélicoptères. 
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas du côté de Nicolas Sarkozy qu'il faut attendre une critique des modes d'intervention de ces forces qui n'ont jamais été aussi sollicitées que sous son quinquennat. Lors de ses voeux aux militaires, le 3 janvier, et alors qu'il était de toute évidence informé de la polémique que la famille Delory s'apprêtait à lancer, le chef des armées a rendu un hommage appuyé aux forces spéciales : "Nos engagements militaires ne peuvent se faire sans elles dans les crises d'aujourd'hui. Elles arrivent en premier, partent en dernier, opèrent vite et savent durer. On ne peut se passer de leur mobilité, de leur discrétion, de leur expertise. Je veux donc ici féliciter nos soldats des forces spéciales de l'armée de terre, de l'air et de marine. Leurs actions ont été déterminantes, nos alliés l'ont bien compris et en ont été impressionnés."

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