« De manière générale, nous sommes dans une impasse. » Cet aveu du chef d’état-major interarmées américain, Michael Mullen, sonne comme un sérieux avertissement pour la France, placée à la tête de la coalition militaire qui opère en Libye. Alors que nos forces aériennes poursuivent leur cinquième mois de bombardements au-dessus du pays, il est devenu évident que les insurgés, représentés par le Conseil national de transition de Benghazi (CNT), sont incapables de s’emparer de Tripoli ainsi que des régions libyennes restées sous le contrôle du colonel Kadhafi. La résistance inattendue qu’oppose le dictateur – au mois de mars, on disait que trois de semaines de frappes suffirait à abattre son régime – oblige donc Paris et ses alliés à revoir sérieusement leurs plans.
Cacophonie politique
Ce n’est pas chose simple. Alain Juppé qui, jusqu’à présent, déclarait que le départ du pays du « guide » était un préalable à toute négociation avec Tripoli, a fait savoir (le 20 juillet) que ce dernier pourrait s’y maintenir à condition « qu’il se mette à l’écart de la vie politique libyenne. »
Message apparemment bien reçu par le chef du CNT, Moustapha Abdeljalil, qui, trois jours plus tard, et pour la première fois, jugeait que, « sous certaines conditions », Kadhafi pouvait rester sur ses terres. « Nous déciderons où il résidera et qui le surveillera », précisait-il. Mais depuis lors, changement de ton. « Le délai pour cette proposition est dépassé », affirme aujourd’hui le même, sans autre explication. Délai dont personne ne connaissait l’existence et qui, en toute hypothèse, s’est révélé très court. Comment expliquer ces atermoiements ? Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, pour avoir évoqué une paisible retraite du dictateur dans sa Libye natale, s’était vu récemment tancer par l’Elysée et le Quai d’Orsay…
Une complexité tribale ignorée
« Nous en sommes là parce que nous avons surestimé la capacité militaire des insurgés tout en sous-estimant celle de Kadhafi à mobiliser une partie de la population autour de lui », avance l’ancien diplomate Patrick Haimzadeh (*) en poste à l’ambassade de France de Tripoli pendant plusieurs années. « Il y a cinq mois, poursuit-il, on demandait son départ. Force est de constater que ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Sur le plan intérieur, Kadhafi reprend confiance. Sa posture de résistant (« aux forces impérialistes », selon les médias du régime, NDLR) lui a permis de retrouver une stature auprès de certains Libyens. »
Jomode Elie Getty, représentant de l’ONG Tibesti, l’un des rares Toubou (ethnie majoritaire au sud de la Libye) à vivre en France, complète l’analyse : « Les Français n’ont pas perçu la complexité tribale du pays. Et ils se sont trompés sur le rapport de force. Kadhafi est entouré de nombreux officiers toubous et touaregs (ces derniers sont implantés à l’ouest) auxquels il a confié le contrôle de leur propre territoire. Ils n’ont aucun intérêt à lui faire la guerre », explique ce Libyen, à l’origine, en 2009, de la première plainte (classée sans suite) déposée contre le dictateur devant la Cour pénale internationale.
Dès les premiers jours de l’insurrection, le « guide » aurait envoyé des émissaires auprès des chefs de tribus afin de s’assurer de leur soutien ou, tout au moins, de leur neutralité. Argent, armes, territoires, les gages donnés seraient conséquents. « Je pense que Kadhafi sent encore bien son peuple. C’est un affrontement autant psychologique que militaire. A mon avis, il est plus fort qu’il y a quatre mois », affirme Patrick Haimzadeh.
Pouvoir de nuisance
Un Kadhafi plus fort aujourd’hui qu’au début de la crise, alors que tout le monde, y compris les pays membres de la Ligue arabe, s’accorde à dire que l’avenir de la Libye s’écrira désormais sans lui ? Les informations recueillies à Tripoli par France-Soir laissent en tout cas penser que le dictateur demeure offensif, peu disposé à céder son fauteuil. Patrick Haimzadeh, de son côté, observe même « un raidissement du régime ». Pour l’ancien officier de l’armée de l’air : « Les bombardements resserrent un certain nombre de Libyens autour de la personne de Kadhafi (des images de petites filles tuées sous les bombes passent en boucle à la télévision libyenne). Et puis, le fait qu’il ait su résister jusque-là commence à payer », estime-t-il.
(*) Au Cœur de la Libye de Kadhafi, par Patrick Haimzadeh, éd. JC Lattès (2011), 15 €.
(*) Au Cœur de la Libye de Kadhafi, par Patrick Haimzadeh, éd. JC Lattès (2011), 15 €.
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