dimanche 12 février 2012


Le combat des Amazighs de Libye pour leur reconnaissance

Entre les chars et les guitares

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte
le 11.02.12 | 01h00 10 réactions
 
 L’identité culturelle au bout du fusil.
zoom | © D. R.
L’identité culturelle au bout du fusil.



«Nous sommes les enfants de la Kabylie, ceux de Ferhat, Matoub, Idir, Oulahlou, Mammeri et tous les autres», nous disent en chœur les jeunes de Zouara, première ville berbère à 60 km du poste frontalier de Ras Jdir. Nous sommes chez les Ath Willoul, gens de la mer.


Libye
De notre envoyé spécial

Dans ce café enfumé, où la musique kabyle se mélange au son des boules de billard qui s’entrechoquent, un portrait géant de Matoub Lounès orne un mur. Les jeunes et les moins jeunes sont visiblement enchantés de recevoir Oulahlou, venu s’enquérir de la situation de ses frères libyens. La chanson a été le premier trait d’union entre les montagnes kabyles et la Libye berbère. Le premier sillon de fraternité a été sans doute tracé par Ferhat Imazighen Imoula qui a chanté un texte du militant amazigh Saïd Amehrouq en berbère libyen, Awine yellan d’amusnaw.

Pendant 42 ans, les Amazighs ont doublement souffert de la dictature qui étouffait leur pays et de l’ostracisme qui frappait leur culture. Ils représentent près d’un dixième de la population globale du pays, et ils ont massivement pris les armes et versé leur sang pour libérer leur pays, lorsque la révolution du 17 février a éclaté. Aujourd’hui, ils relèvent fièrement la tête. Ils ont reconquis leur liberté et le droit d’afficher leurs origines et leur culture. Ce double combat est symbolisé par Syphaw, qui portait la double casquette de révolutionnaire et de chanteur. Pendant la révolution, quand il posait son fusil après le combat pour la libération du pays, il prenait sa guitare pour défendre sa culture. Cette légitimité historique et révolutionnaire, ils jurent de ne laisser personne la remettre en cause. «Pour nous, c’est une chance historique qu’il faut saisir», s’accordent à dire les militants que nous avons rencontrés.

Ce qui frappe en premier lieu le visiteur qui arrive en Libye par Ras Jdir, c’est cette omniprésence du drapeau amazigh aux côtés du nouveau drapeau de la Libye. L’emblème frappé du Z en tifinagh flotte sur les maisons, les édifices et les fameux «larbaâtache ounoss», les pick-up dotés d’armes lourdes. Il est peint sur les murs et les voitures. Sur les places publiques, il côtoie celui de la France, des Etats-Unis, du Qatar, de l’Europe et de la Tunisie.

«Nous refusons d’être des citoyens de seconde catégorie. Nous demandons le statut de langue officielle pour tamazight ainsi que les moyens qu’il faut pour sa promotion. En attendant, nous allons bientôt lancer une télévision amazighe ainsi qu’une radio», dit Youcef Maâmoua, du Congrès amazigh libyen. «Nous avons besoin de créer nos propres institutions de l’amazighité. Forcément, nous devons demander l’avis de conseillers renommés dans le domaine en Algérie et au Maroc», affirme le porte-parole du Congrès.
Ces militants soutiennent également avoir rejeté l’idée d’un référendum sur le statut qui sera accordé à la langue amazighe. «Nous ne pouvons pas soumettre notre droit légitime à un référendum quel qu’il soit. Pour le moment, nos revendications sont claires et notre combat pacifique, même si nous avons des armes», disent-ils. Ils ont déjà arraché un acquis : le pays sera nommé simplement Libye, «Libya», en arabe, sans autre référence idéologique ou raciale. Aucune option n’est pour l’heure écartée en ce qui concerne le modèle politique du futur Etat libyen, depuis l’Etat fédéral jusqu’au système de régionalisation en passant par la République.

Nous sommes rentrés en Libye quasi clandestinement. En tout cas sans visa, mais sur invitation du Congrès amazigh libyen. Le chanteur kabyle Oulahlou doit animer un gala à l’occasion de Yennayer, le nouvel an berbère et il est accompagné du journaliste d’El Watan. Les conseils civils et militaires des régions berbérophones ont donné leur aval et les «thouwar» de Zouara et Djado, qui contrôlent les postes frontières avec la Tunisie, ont pour mission de nous faire passer les frontières. Si nous venions à faire l’objet d’un contrôle à un check-point, en dehors des régions berbérophones, nous avions consigne de nous faire passer pour des Amazighs de Djado, pour ne pas nous faire trahir par un accent algérien.

Quand ils ont levé l’étendard de la révolte et qu’El Gueddafi promettait de ne laisser aucun Amazigh debout, les Berbères de Libye ont longtemps attendu et espéré un soutien moral de leurs frères kabyles. Une marche, un sit-in, un geste. Il n’est jamais venu. Ce regret, cet espoir déçu, ils ne se privent pas de l’exprimer ouvertement face à ceux qu’ils perçoivent comme des représentants de cette Kabylie aînée. Izem Leghwiri, journaliste travaillant pour une chaîne de télévision le dit mieux que quiconque : «Nous avons toujours perçu cette Kabylie qui nous a tracé le chemin comme le frère aîné. Nous sommes le frère cadet qui a besoin de soutien», dit-il. Le réveil du fait amazigh ne touche pas seulement les régions berbérophones.

Du fait que beaucoup de tribus reconnaissent ouvertement qu’elles se sont arabisées avec le temps, elles se montrent aujourd’hui prêtes à intégrer ce pan écroulé de leur identité. C’est ainsi que le jeudi 12 janvier 2012 a eu lieu, à Zaouïa, un rassemblement de près de 500 représentants des tribus Houara et Ourfella, comprenant Sabrata, Zanzour, Sarmane, Zaouïa, El Maya, Tarhouna, Gharyane, Bendjoual, et Misrata. Ce congrès est placé sous le slogan du retour aux sources. Ces Amazighs arabisés revendiquent ouvertement leurs origines berbères.

Notre présence à Djado, le jeudi 19 janvier, a coïncidé avec la venue de la ministre des Affaires sociales que nous avons croisée dans l’enceinte d’un musée consacrée à la culture amazighe. Un très beau et très riche musée qui met en valeur le patrimoine culturel de la région.Il y a quelques mois encore, cela était inimaginable qu’un ministre se retrouve dans un endroit consacré à une culture proscrite. Partout, dans toutes les localités amazighes où nous sommes passés, à Zouara, Tripoli, Djado et ses 16 villages, Yefren, El Qalaa, Nalut et Kabao, l’accueil est plus que chaleureux. Nous avons rencontré des Amazighs libyens attachés à leur pays et à leur culture millénaire. Ils nous ont ouvert les bras, leurs cœurs et leurs maisons et se sont fait un plaisir de nous faire visiter leurs monuments et nous faire connaître leurs coutumes, leur culture et leur histoire.

Les extraordinaires châteaux greniers de Nalut et Kabao, les habitations troglodytes de Yefren, les villages souterrains millénaires de Djado, la magnifique citadelle bâtie sur un roc haut perché d’Itermissen et tant d’autres hauts lieux chargés d’histoire. A Kabao, nous avons eu à visiter un lieu de culte qui réunit, les unes à côté des autres, une synagogue, une église et une mosquée selon l’ordre d’arrivée de ces trois religions en Afrique du Nord. Un bel exemple de coexistence pacifique à travers les siècles, dont les Libyens, arabes et berbères, sunnites ou ibadites, voudraient peut-être s’inspirer pour bâtir un pays fraternel et juste où personne n’aura à souffrir d’exclusion.

Djamel Alilat

Aucun commentaire: