dimanche 15 décembre 2013

Centrafrique: «Si les Français restent, ce sera le génocide»

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AFP 
“Si les Français restent, ce sera le génocide”, lance, furieux, lecommandant Adam Ali Mahamat, un ex-rebelle de la Séléka, cantonné comme ses hommes depuis l’arrivée de soldats français qui ont ordre de les désarmer, il ne cache pas sa rancœur et sa colère. Les combattants de la Séléka, principalement musulmans, ont pris le pouvoir par les armes en mars 2013 dans un pays à majorité chrétien et animiste. Depuis, ils ont commis de graves exactions contre les civils chrétiens, qui, à leur tour, ont constitué des milices pour attaquer des musulmans. Ces violences ont provoqué l’intervention armée de la France, dont les soldats ont entamé lundi, 9 décembre, le désarmement des milices. Comme beaucoup d’éléments Séléka et de musulmans, le commandant fait part du malaise ressenti après l’intervention française. Il reproche aux Français d’avoir désarmé des Séléka, puis de les avoir ensuite laissés en pâture à la foule vengeresse.
De nombreux anciens Séléka ont ainsi été lynchés par des chrétiens peu de temps après avoir été désarmés, selon des témoignages. “La France est en train de commettre une grande erreur. Ils disent qu’ils sont là pour protéger les civils. Mais, un Séléka désarmé devient un civil. C’est un citoyen, pourquoi ne les protègent-t-ils pas? C’est injuste. L’armée française a pris la voie des chrétiens et laisse les musulmans en chemin. Elle n’est pas impartiale”, a dit le commandant Adam Ali Mahamat.
Ancien militaire de carrière qui a aidé François Bozizé à prendre le pouvoir en 2003, Adam Ali Mahamat a pris le maquis quatre ans plus tard pour rejoindre la CPJP, mouvement rebelle constituant l’épine dorsale de la Séléka. Il a fait partie de l’offensive victorieuse en mars. “On a été intégré à l’armée nationale il y a deux mois. On nous a dit de rester cantonnés. Je suis un soldat, j’obéis aux ordres”, explique-t-il. Il assure qu’il y a 2.000 éléments Séléka dans le camp, qui semble pourtant désert à l’exception de quelques soldats allongés. Un fusil mitrailleur est posté à l’entrée. Les hommes brandissent leurs Kalachnikov et même un Famas, fusil de l’armée française “pris à des anti-Balaka (milice chrétienne) à Bossangoa il y a deux mois sur le champ de bataille“. Il menace: “ici, les Français ne rentrent pas. S’ils viennent ce sera dangereux. Ici, c’est notre camp. Dehors, ils peuvent désarmer qui ils veulent. Ici, c’est chez nous. Ce sera dangereux“, insiste-t-il.
“Nous sommes prêts à combattre”
Selon de nombreux habitants, beaucoup de Séléka ont fui vers le nord avant l’arrivée des Français. Selon les militaires Séléka, très peu ont rejoint les casernes. Le Camp Kasai, un autre camp de la ville où sont regroupés des ex-rebelles, est lui aussi désert ou presque. Quelques dizaines de soldats à peine, livrés à eux-mêmes.
“Il n’y a rien à manger. On ne peut plus sortir pour chercher de la nourriture. On a faim“, explique le général Bakari Zacharia, également un ancien de la CPJP. Le discours est le même: “Les Français sont venus pour la paix pas pour nous combattre. Si on désarme les musulmans, il faut les protéger“. “Nous sommes prêts à combattre“, si les Français tentent de les déloger, affirme-t-il près d’un pick-up armé et de deux lance-roquettes. “C’est un pays laïc depuis Boganda (Barthélémy, père fondateur de la République centrafricaine). Quand les chrétiens gouvernaient, on a accepté. Pourquoi eux n’acceptent pas qu’on soit aux affaires?“. La mort du général Séléka Mahamat Saleh Mahamat, tué par les soldats français mardi soir selon eux, est dans tous les esprits. A la mosquée du PK-5, le quartier commerçant musulman du centre-ville, plusieurs centaines de personnes sont là pour assister à la levée du corps et de 15 autres musulmans tués ces derniers jours vers un cimetière de la périphérie.
“Mort pour la France”
Les habitants ont accroché une banderole sous la statue du héros national Georges Koudoukou,” mort pour la France pendant la deuxième guerre mondiale”: “Oui au désarmement, non à la discrimination des musulmans. Les militaires français sont responsables des massacres et pillages depuis le début du désarmement partial”. Certains habitants tiennent un discours apaisant: “Il n’y a pas de problème entre musulmans et chrétiens. La venue des Français est bonne mais ils doivent nous protéger. Nous ne cherchons pas la vengeance mais la paix”, affirme Hissene Fadoul, un étudiant. Mais d’autres sont plus vindicatifs: “Les anti-balakas sont des hommes de Bozizé qui cherche à reprendre le pouvoir. Ils tuent des innocents, détruisent les mosquées. Nous resterons pour défendre le quartier et on se battra jusqu’au dernier homme. Si ça continue ce sera la guerre”, ajoute un homme qui tait son nom. Au Camp Beal, Haroun Saleh, reste optimiste. Il a deux femmes, l’une est musulmane, l’autre chrétienne évangéliste. “Je vais à la mosquée, elle prie à l’église tous les jours. Il n’y a pas de problème”. A l’image de l’entière Centrafrique, où, jusque-là, chrétiens et musulmans vivaient en paix.

Rencontre au sommet entre djihadistes à Benghazi



Le Monde.fr avec AFP | 15.12.2013 à 13h01 • Mis à jour le 15.12.2013 à 14h55
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Des groupes djihadistes libyen, marocain, égyptien et tunisien ont rencontré des représentants algériens d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et du Front Al-Nosra syrien, en septembre à Benghazi, affirme dimanche le journal allemandWelt am Sonntag.

La conférence aurait duré trois jours et se serait tenue dans l'une des places fortes de l'organisation salafiste libyenne Ansar Asharia, précise Welt am Sonntag, sans citer de sources.

Parmi les principaux intervenants figurait Abou Iyadh, le responsable de l'organisation tunisienne Ansar Al-Charia – indépendante de la structure libyenne, même si elles portent le même nom –, recherché notamment pour l'attaque contre l'ambassade américaine à Tunis en septembre 2012, écrit encore le quotidien dominical.

DEMANDE DE LA BRANCHE TUNISIENNE D'ANSAR AL-CHARIA

« Au cours de cette rencontre, il aurait été question d'une nouvelle stratégie régionale, notamment de la lutte contre le gouvernement tunisien et du récent afflux de combattants djihadistes étrangers en Syrie », complète-t-il. Welt am Sonntag raconte qu'Abou Iyadh était venu demander de l'aide aux autres groupes salafistes, dans l'hypothèse où le conflit avec le gouvernement tunisien dégénérerait. Abou « Iyadh aurait demandé lors de la réunion à ne plus envoyer de Tunisiens en Syrie, car il avait un besoin urgent de combattants auprès de lui »,écrit le journal. Cette demande du dirigeant du groupe tunisien aurait été mal accueillie par les représentants du Front Al-Nosra, pour qui « l'afflux de combattants étrangers qui sont envoyés en Syrie par milliers en provenance de laLibye depuis plus d'un an » est capital, poursuit l'article.

Un compromis aurait toutefois été trouvé : les djihadistes tunisiens auraient été autorisés à rentrer combattre chez eux, mais en échange le Front Al-Nosra aurait obtenu des garanties sur le fait que tous les autres combattants qui iront en Syrie seront placés sous son commandement et non sous celui de l'Etat islamique enIrak et au levant, un autre groupe lié à Al-Qaida, qui concurrence le Front Al-Nosra.

VIDE SÉCURITAIRE

Profitant du vide sécuritaire après la chute de Mouammar Kadhafi, Ansar Al-Charia fait la loi, en particulier dans l'est de la Libye, où il contrôle des quartiers de Benghazi, Syrte et Derna, selon des sources locales. Les attaques dans l'Est libyen, comme celle du 11 septembre 2012 contre le consulat américain à Benghazi, qui a coûté la vie à l'ambassadeur Chris Stevens et à trois autres Américains, sont souvent attribuées à des groupes islamistes, dont Ansar Asharia, par des experts libyens et étrangers.

Les autorités n'osent pas toutefois accuser directement ces groupes lourdementarmés, par crainte de représailles, selon ces experts. Récemment, Ansar Al-Charia a indiqué dans un communiqué qu'il ne reconnaissait pas les institutions de l'Etat ni ses services de sécurité, les qualifiant d'apostat et de «Taghout» (forces maléfiques au service de la tyrannie).

Al Qaïda plus forte et dangereuse que jamais, selon experts et officiels

Al Qaïda, à la faveur notamment de la guerre en Syrie, est aujourd’hui plus forte et dangereuse que jamais, estiment experts et officiels aux Etats-Unis.
Ses dirigeants historiques continuent à être traqués sans relâche dans la zone pakistano-afghane, et pourtant, le mouvement s’est renforcé. Al Qaïda, à la faveur notamment de la guerre en Syrie, est aujourd’hui plus forte et dangereuse que jamais, estiment experts et officiels aux Etats-Unis. Il a même fait des émules au Moyen-Orient et en Afrique et continue de menacer l’Europe et l’Amérique, assurent-ils.
Pour le général des Marines à la retraite James Mattis, qui a commandé de 2010 à 2013 le Commandement Central de l’US Army, en charge notamment du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est, « les félicitations qui avaient été échangées il y a deux ans à la suite de l’annonce de la mort d’Al Qaïda étaient prématurées et sont aujourd’hui discréditées ». Beaucoup de dirigeants ont survécu à la campagne d’élimination ciblée menée par Washington à coups de missiles tirés par des drones.

Pessimisme

Intervenant lors d’un colloque organisé par le groupe de réflexion Jamestown, James Mattis a ajouté: « Al Qaïda est résiliente, elle s’adapte. Ses dirigeants ont été frappés très dur mais le mouvement est toujours en expansion. Il profite d’un nombre croissant de sanctuaires ». En 2001, dans l’euphorie de l’élimination de ben Laden par un commando de Navy Seals au Pakistan, l’une des questions qui avaient été traitées lors du même séminaire était: quand et comment crier victoire contre Al Qaïda ? Aujourd’hui, officiels et spécialistes rivalisent de pessimisme.
Interrogée début décembre la sénatrice Diane Feinstein, présidente de la commission du Renseignement au Sénat, avait déclaré: « Le terrorisme est en hausse dans le monde. Les statistiques le montrent, le nombre de victimes augmente. Il y a plus de groupes, plus radicaux, davantage de jihadistes déterminés à tuer pour atteindre leurs objectifs ». Pour l’expert Bruce Hoffman, de l’université de Georgetown, « l’oxygène qui alimente Al Qaïda est son accès à des sanctuaires et des zones où elle peut opérer. Et malheureusement au cours des deux dernières années elle a été capable de s’installer dans de nombreux espaces non gouvernés, le long de frontières contestées ou dans des pays difficiles à contrôler ».

« Al Qaïda se renforce sur tous les fronts »

La guerre civile en cours en Syrie est pour le mouvement jihadiste international une aubaine comme il n’en avait pas bénéficié depuis l’insurrection anti-soviétique en Afghanistan, ont estimé les intervenants au colloque. « Les groupes affiliés à Al Qaïda ont créé en Syrie un alliance disposant d’au moins 45.000 combattants, soit le double du nombre de combattants taliban en Afghanistan » a affirmé l’Australien David Kilcullen, spécialiste des mouvements insurrectionnels, qui a notamment conseillé le commandement américain en Irak. « Al Qaïda se renforce sur tous les fronts. Sa direction a été affaiblie mais pas éliminée ».
La présence dans les rangs des islamistes radicaux en Syrie de centaines de volontaires venus d’Europe ou d’autres pays occidentaux, où certains vont retourner aguerris, est un sujet majeur d’inquiétude. »Avec l’entraînement qu’ils acquièrent en Syrie il y a une forte possibilité qu’au cours des deux prochaines années ils soient en mesure d’accomplir le dernier voeux d’Oussama ben Laden, qui était de monter une attaque du genre de celle de Mumbai en Europe » ajoute Bruce Hoffman.

Expansion « phénoménale »

Un autre facteur de renforcement du mouvement jihadiste est le tour récent qu’ont pris les événements dans les pays du printemps arabe. « Les thèses d’Al Qaïda avaient été mises en cause par le printemps arabe » explique Bruce Riedel, ancien membre influent de la CIA, aujourd’hui membre de la Brookings Institution. « Le changement n’avait pas été apporté par la terreur mais par Twitter. Mais aujourd’hui tout a changé. Les thèses d’Al Qaïda ont été validées en 2013, notamment en Egypte. La contre-révolution l’a emporté, l’armée a renversé le gouvernement élu (…) Pour ceux qui veulent rejoindre le mouvement jihadiste les événements au Caire et à Damas valident ce qu’ils ont toujours dit: seul le jihad est la solution aux problèmes du changement dans le monde arabe aujourd’hui ». L’expansion d’Al Qaïda à laquelle nous assistons dans le monde arabe est vraiment phénoménale, supérieure à ce que nous avons vu au cours de la première décennie de son existence » a-t-il conclu.
http://www.rtl.fr/actualites/info/international/article/al-qaida-plus-forte-et-dangereuse-que-jamais-selon-experts-et-officiels-7767898603#

MALI. Des élections, pour quoi faire ?

 -Nouvel Observateur
Ce dimanche, le deuxième tour des élections législatives doit sceller le retour à l’ordre constitutionnel. Mais sur le terrain, rien n’est réglé pour autant.
Quelque 6,5 millions d'électeurs sont appelés à voter pour le deuxième tour des législatives censées parachever le retour à l'ordre constitutionnel, interrompu par le coup d'Etat de mars 2012. (Jerome Delay/AP/SIPA)
Quelque 6,5 millions d’électeurs sont appelés à voter pour le deuxième tour des législatives censées parachever le retour à l’ordre constitutionnel, interrompu par le coup d’Etat de mars 2012. (Jerome Delay/AP/SIPA)
La parenthèse d’un an et demi de crise se referme. Le second tour des élections législatives, dernier épisode du retour à l’ordre constitutionnel après le scrutin présidentiel remporté en août par Ibrahim Boubacar Keita (dit IBK) et le premier tour législatif du 24 novembre, scelle ce dimanche 15 décembre la remise sur pieds du Mali. Pour François Hollande, c’est une bonne nouvelle au moment où il vient de lancer,en Centrafrique, la seconde opération militaire de son mandat. Le coup d’Etat de mars 2012 qui a fait s’écrouler comme un château de cartes une démocratie malienne déjà branlante, la rébellion touarègue qui a conquis les principales villes du Nord du pays, l’occupation de la moitié du territoire par des groupes armés islamistes… Tout cela appartient désormais au passé. Seule la menace terroriste justifie que la France conserve encore des troupes dans le désert malien. Du moins, c’est ce que la France croit – ou fait mine de croire.

Le retour des vieux démons

Pourtant, les faits lui donnent tort. Le processus électoral mené au pas de course semble n’avoir rien résolu sur le fond. Les attentats suicides répétés et l’assassinat de deux journalistes de RFI début novembre témoignent de la détermination des terroristes islamistes à ne pas lâcher ce qui fut leur sanctuaire pendant dix ans. La faible participation au premier tour des législatives, la réélection de notables corrompus et les alliances politiques opportunistes rappellent le temps où le pays était une démocratie de façade. Et l’absence de règlement à Kidal, cette région du Nord toujours aux mains des rebelles touaregs, menace de faire replonger le pays dans la guerre. Au point que le secrétaire général de l’Onu Ban Ki-moon s’en est lui-même inquiété jeudi, déplorant notamment que « le processus politique entre le gouvernement et les groupes armés connaisse des retards ». C’est un euphémisme.

Dialogue au point mort

Entre Bamako et les rebelles touaregs, le dialogue, avant même d’avoir réellement commencé, est déjà rompu. Depuis qu’une manifestation le 28 novembre à Kidal contre la venue du Premier ministre malien a été réprimée violemment par l’armée malienne, faisant un mort et cinq blessés selon les rebelles, les discussions ne sont plus d’actualité. Plus le temps passe, plus les adversaires se radicalisent. Pressés par leur base, les indépendantistes touaregs du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA) menacent désormais officiellement de reprendre la guerre. Poussé par une population viscéralement anti-MNLA, le président malien s’énerve ouvertement de ne pas pouvoir « rétablir l’autorité de l’Etat à Kidal ». Dans ce contexte, la dernière réunion du Comité de suivi, mis en place après l’accord provisoire signé le 18 juin entre les deux belligérants pour permettre l’élection présidentielle et jusqu’à présent leur seul point de contact officiel, n’a pas eu lieu.

La France sur le banc des accusés

S’il est un point, en revanche, sur lequel ils s’accordent, c’est pour accuser la communauté internationale, France en tête. « La communauté internationale nous tord le bras depuis le début pour que l’on fasse des concessions », regrette Moussa ag Acharatouman, un membre de la direction du MNLA, qui reproche à la France d’avoir pris parti pour Bamako. Et de lister : « On a renoncé à l’indépendance pour ne demander qu’une autonomie, on a accepté que l’élection présidentielle se tienne, on a rétrocédé les locaux du gouvernorat et de la radio de  Kidal… On n’a rien eu en échange. »
Ibrahim Boubacar Keita n’est pas plus tendre avec Paris, auquel il reproche, à l’inverse, de protéger les rebelles. « L’Etat malien est contraint de négocier avec un groupe armé qui s’en vante, dans quelle comedia dell’arte sommes-nous ? », s’insurgeait le président malien dans une interview au Monde la semaine dernière. Accusant les troupes françaises de l’opération Serval d’avoir « empêché le Mali de rétablir l’autorité de l’Etat à Kidal », il concluait : « J’assiste avec beaucoup de dépit à un reflux de l’enthousiasme envers la France dans la population malienne ».

Dénégations à Paris

A Paris, on botte en touche. « Maintenant c’est aux Maliens et singulièrement au président IBK d’agir. La France n’a pas à se mêler de cela », a riposté le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. Le risque de retomber dans un conflit ? « Ça va se stabiliser petit à petit », promet un diplomate. La colère qui gronde à Bamako où des manifestants ont scandé « A bas la France » le 27 novembre ? « Quelle manifestation ? », rétorque-t-il. Officiellement, on ne s’occupe plus que de terrorisme. « La menace terroriste n’est pas écartée. Il y aura d’autres opérations de ratissage », prévient ce responsable politique, comme celle que les troupes françaises conduisent depuis quelques jours dans la région de Tombouctou. Et l’on compte ne plus avoir que 1.000 hommes sur place au lieu des 2.800 actuels « en février, quand les renforts prévus pour l’opération de stabilisation de l’Onu, la Minusma, seront arrivés. »
Pourtant, en coulisse, la France s’inquiète. « Le Quai d’Orsay continue de nous demander de négocier tout en étant agacé par l’attitude de Bamako », confie Moussa ag Acharatouman. « Les Français et la communauté internationale savent qu’ils sont en train d’échouer mais ils ne veulent pas le dire », constate le Touareg. « La France se rend compte qu’elle ne peut compter sur la Minusma, qui ne sert à rien, et qu’elle ne pourra imposer ni la décentralisation aux Touaregs ni le fédéralisme à IBK ». Or, il en est sûr : « Sans accord politique, il n’y aura pas de sécurité. Pour nous, le Mali est plus dangereux que les terroristes d’Aqmi« . Paris aura été averti.
Sarah Halifa-Legrand – Le Nouvel Observateur,http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20131213.OBS9494/mali-des-elections-pour-quoi-faire.html

Attentat à Kidal: «l’un des plus forts que je n’aie jamais connus»

 RFI
L’attentat contre les casques bleus à Kidal, ce samedi 14 décembre, a été revendiqué par un islamiste malien, Sultan Ould Badi, au nom de tous les jihadistes du nord du Mali. L’attentat-suicide à la voiture piégée qui s’est produit devant la seule banque de Kidal a fait au moins deux morts, deux casques bleus sénégalais de la Minusma. À Kidal, on n’hésite pas à dire qu’il s’agit de l’attentat le plus violent qu’ait connu la ville.
Lorsque l’explosion a retenti ce samedi matin, les habitants du quartier étaient encore chez eux. La Banque malienne de solidarité était fermée. Le bâtiment n’était occupé que par quelques soldats maliens chargés de sa sécurité. À l’extérieur, des casques bleus sénégalais montaient aussi la garde.
L’attaque visait la Minusma, à en croire le jihadiste qui l’a revendiquée, Sultan Ould Badi. L’homme a déjà été à l’origine d’un attentat similaire qui a coûté la vie à deux soldats tchadiens à Tessalit fin octobre.
Vers 6h45 ce samedi matin, toute la ville a tremblé quand le pick-up bourré d’explosifs a sauté. La déflagration a emporté la façade de la banque, ainsi que les murs de plusieurs bâtiments attenants, comme l’école fondamentale, située de l’autre côté de la rue. Les portes et les fenêtres se trouvant dans un rayon de plus de 500 mètres ont été soufflées.
Des soldats de la Minusma montent la garde devant le gouvernorat de Kidal, le 15 novembre 2013.
Des soldats de la Minusma montent la garde devant le gouvernorat de Kidal, le 15 novembre 2013.
REUTERS
« Ce matin, c’est l’explosion qui m’a réveillé. Ça a été terrible. Je crois que c’est l’un des plus forts attentats que j’aie jamais connus. Vers 6h50, quand je suis sorti de la maison, on a vu de la poussière en pagaille et un véhicule de la Minusma en flammes », raconte Assilakane ag Interewit, qui habite à 1 kilomètre du lieu de l’explosion.
Pendant la journée, quelques curieux ont bien tenté de s’approcher des lieux de l’explosion pour mesurer l’étendue des dégâts. Mais ils se sont heurtés aux barrages de l’opération Serval et de la Minusma. La plupart des habitants sont restés chez eux, comme après les derniers attentats qui ont frappé Kidal.
http://www.rfi.fr/afrique/20131215-mali-attentat-kidal-minusma-plus-forts-je-aie-jamais-connus

vendredi 13 décembre 2013

The Associated Press a mené l’enquête durant 6 mois: Les corps d’Arabes et de Touaregs tués à Tombouctou retrouvés

Maliactu.net
Attentat contre le camp militaire de Tombouctou : LES TERRORISTES N’ONT PAS DIT LEUR DERNIER MOT
Après six mois d’enquête, The Associated Press, la plus grande agence d’information américaine, a retrouvé les corps de six Arabes et Touaregs tués à Tombouctou en janvier et février 2013. Toutes les victimes avaient été embarquées dans des camions par des soldats maliens. Parmi les cadavres, celui d’Ali Ould Kabbad, devenu le symbole des représailles contre les Arabes à Tombouctou après l’intervention franco-alienne, et qui a fait l’objet d’un documentaire de France 24. Extraits de l’article de nos confrères.
 «À travers le désert, le vent étend le sable en lisses rides, qui se déploient de manière égale sur de larges étendues. Dans cet immense désert, dès qu’un trou est creusé, on peut l’apercevoir immédiatement, car le sable paraît agité, troublé. C’est ainsi que vous savez qu’il y a des cadavres enterrés dans un endroit.
Selon des Associations de défense des droits de l’homme, l’armée du pays a tué ou causé la disparition d’au moins une trentaine de personnes cette année. Les victimes ont été prises au piège durant une chasse aux Arabes et aux Touaregs, des habitants du désert qui constituent une petite minorité ethnique dont la taille régresse au fil du temps  au Mali.
En ma qualité de Chef de bureau d’Associated Press en Afrique de l’Ouest, il m’était indispensable de savoir quel avait été le sort de ces personnes. Pendant six mois, j’ai poursuivi mes recherches et dépisté des traces, même si j’aurais bien voulu ne pas avoir abouti à ce que j’ai découvert: Six corps dans le désert, y compris un grand-père de 70 ans, qui est devenu un symbole de ces meurtres.
Dans chacun des cas, les victimes ont été vues pour la dernière fois emportées par l’armée malienne. Dans au moins quatre cas, l’armée malienne a été désignée comme coupable dans un rapport interne, dont le contenu m’a été montré mais qui n’a jamais été diffusé en public.
Ces cadavres sont une preuve concrète des meurtres commis et jusqu’ici niés en public par le gouvernement malien. Si le gouvernement avoue le décès de ces personnes, il pourra mener les meurtriers devant la justice et éventuellement remettre les corps des décédés à leurs familles éprouvées, qui ne savent pas où leurs proches ont été enterrés ou ont été dissuadées de tenter de les récupérer.
Le gouvernement malien, qui a eu la promesse de recevoir 4,2 milliards de dollars d’aide de la communauté internationale, refuse de commenter notre information. L’armée, quant à elle, réagit avec colère. «Vous n’avez pas de preuves. Montrez-moi les preuves!” dit le Colonel Diarran Koné, chargé de communication du ministère de la Défense du Mali. Et, après avoir appris qu’Associated Press avait retrouvé les corps, il ajoutera: «nous n’avons aucune réaction par rapport à ça».
Rukmini Callimachi, AP
Source: 22 Septembre du 12 déc 2013,http://maliactu.net/the-associated-press-a-mene-lenquete-durant-6-mois-les-corps-darabes-et-de-touaregs-tues-a-tombouctou-retrouves/

mercredi 11 décembre 2013

mis à jour le 
 Un soldat malien à Tombouctou. REUTERS/Joe Penney
Un soldat malien à Tombouctou. REUTERS/Joe Penney

Les cadavres du placard malien

Le portail Maliactu, qui soupçonne l'armée malienne d'avoir perpétré des exécutions sommaires, déclare subir la censure de Bamako.

La mer de sable qui s’étend au nord de Tombouctou est encore agitée. A travers les dunes du désert malien, les rafales de l’armée française poursuivent leur percée en direction des derniers sanctuaires djihadistes. A en croire Paris, les éléments rebelles qui refusent encore toute reddition, sont promis à une fin certaine. Mardi 11 décembre 2013, 19 d’entre eux ont été abattus, fait savoir l’AFP. Au sol, leurs corps sont venus en recouvrir d’autres.
Enfouis à quelques centimètres de la surface, Ali Ould Kabbad et Mohamed Lamine, n’ont pas été tués arme au poing. Ces membres de la communauté arabe du nord du Mali furent victimes d’une campagne de lynchage orchestrée, selon toute vraisemblance, en raison de leur couleur de peau. Ceux qui les ont vus pour la dernière fois racontent des histoires similaires: avant d’être retrouvés enterrés, M. Kabbad et M.Lamine étaient escortés, à leur corps défendant, par l’armée malienne.
Interrogé par Associated Press, le ministère malien de la Défense rejette toute responsabilité: 
«Vous n’avez aucune preuve, montrez-moi les preuves», se défend son porte-parole, le Colonel Diarran Kone. A l’évocation des corps exhumé aux abords de Tombouctou, M. Kone se réfugie dans le silence: «Nous n’avons rien d’autre à dire à ce sujet.»
Certains membres de l’armée sont plus loquaces:
«Dirige toi vers le nord, et après le monument en ciment, tourne à gauche. En te promenant dans les dunes, tu verras les corps», avait expliqué l’un d’eux à Rukmini Callimachi, responsable de l’Afrique de l’Ouest pour Associated Press. Sur place, la journaliste avait constaté que d’autres cadavres gisaient à moitié ensevelis.

Exactions extrajudiciaires

Depuis janvier 2013 et le lancement de l’opération Serval, vingt-quatre meurtres de civils et onze disparitions ont été dénombrés par Human Rights Watch et Amnesty International. Il y a peu de doutes que bien d’autres ont été enfouis trop profondément pour figurer sur les chiffres officiels.
En avril déjà, L’Express faisait état d’exécutions extrajudiciaires à Sévaré, dans la banlieue est de Mopti. La parution de l’article avait valu à son auteure, Dorothée Thiénot, d’être expulsée de Gao. Une mesure qui s’apparente aux nombreuses tentatives d’intimidations dont les médias sont victimes au Mali.
Mardi 10 décembre 2013, les menaces ont pris la direction de Paris. Basé dans la capitale française, le portail Maliactu, qui avait repris l'enquête de l'agence Associated press montrant l'implication de l'armée malienne dans des exécutions sommaires, déclare subir la censure de Bamako.
Selon son responsable éditorial, Segah Diarra, il aurait subi des pressions de la part du ministère malien de la Défense et de la Communication. Alors qu’il relayait l’enquête d’Associated Press sur les morts retrouvés au nord de Tombouctou, M. Diarra se serait vu intimer l’ordre de retirer l’article sous peine de voir son site bloqué.
«J’ai été contraint de retirer l’article», s’est plaint M. Diarra au Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Contactés par le CPJ, le colonel Diarran Koné et le colonel Souleyman Maïga ont tous deux affirmé ne pas être au courant.
«Personnellement je n’ai jamais demandé à qui que ce soit de retirer une information d’un site Internet», a déclaré M.Maïga.

mardi 10 décembre 2013

Hommage a Mano Dayak 1945-15/12/1995


Feu Dayak Mano au centre/http://img15.hostingpics.net/pics/430729CCF0605201200000.jpg

(p.16)
-  Mano, me répétait ma mère, la mort est la plus près de la paupière que l’oeil et la plus grande richesse peut être une larme. Ton avenir sera celui que tu maîtriseras... On ne peut rien y faire et il faut accepter. Bientôt, tu seras un homme.
(p.40) Il ne faut pas penser à ceux qui ont disparu. L’amour, c’est pendant la vie qu’il se donne. A la tombe, on ne peut apporter que des pierres et du gravier.
(p.46) Le désert ne s’apprend pas, brave homme. Il se vit... Il se vit et il tue ceux qui ne le respectent pas.
(p.47) Un donneur de leçons est quelqu’un qui veut refaire les choses. Les choses ne se refont jamais.
(p.48) L’amour, le vrai, doir rester un mystère.
-  Mano, c’est dans l’éloignement que mon coeur tendra le plus vers toi.
(p.55)
-  Le Sahara exalte les mérites et aggrave les vices. Y voyagent seulement les chercheurs de lumière. Cette fleur avait trouvé ici son épanouissement et toi, tu l’as tuée. Repens-toi, mon fils, de l’avoir ramassée. Tu as volée un parfum au désert.
(p.57)
-  Les Touaregs ne doivent pas être dupes des mirages me dit alors mon père. Sur une terre où tout est à gagner, l’illusion n’a pas sa place. Seule compte la pensée lucide car elle exige l’oubli de soi et la prudence.
(p.62)
-  Mano, plus que des Européens, méfie-toi de leurs livres ! Si tu veux rester un homme libre, ne les ouvre jamais.
(p.67)
-  Nu il est entré dans ta vie et nu il en est sorti. C’est le plus grand cadeau qu’un jour, tu feras à Allah.
-  Ne t’accroche pas à ce qui a été, à ce qui sera peut-être. Ce genre de questions t’empêche de vivre l’instant présent et, par là-même, de voir dans cet insecte un message du ciel.
(p.73) Les Touaregs n’aiment pas compter. Compter c’est épargner, tromper, valoriser, juger. C’est exalter les fausses valeurs.
(p.112) Un touareg ne montre pas ses larmes. La plus terrible des souffrances, celle que l’on vit dans sa solitude pour l’honneur et par dignité...
(p.127) Pour nous tenir éveillés, nous buvons des verres et des verres de thé. "Le premier amer comme la vie, le deuxième fort comme l’amour, le troisième suave comme la mort", dit le proverbe.
(p.161) Tous les prétextes me sont bons pour me lier aux gens. Je connais le marchand de journaux de la rue de Rennes, la fleuriste au coin de la rue Pierre-Charron, le bougnat de la rue Saint-Louis-en-l’Ile, le clochard du quai de la Rapée. Ceux-là, oui acceptent d’échanger quelques mots à la hâte : "Fais pas chaud aujourd’hui", "Les temps sont durs, monsieur", "vous prendrez bien quelque chose ?". Ce ne sont pas de grandes conversations, mais au moins on existe entre nous. Les autres, ceux qu’on croise dans les gares, dans les squares, sur les grands boulevards ou sur les Champs-Elysées, se dérobent, fuient toute discussion. Ils n’ont jamais le temps. Ils n’ont que du mépris et de l’indifférence. Ils ne savent pas que le véritable bonheur est de rencontrer une autre vie et de la serrer dans ses bras. Leur désert me fait peur. Il faut dire qu’ils n’ont pas de repères. Les étoiles brillent si rarement dans le ciel de Paris. Ils sont sourds et aveugles.
(p.200) Mais rien ni personne ne vient à bout de ceux qui défendent une cause juste.
(p.215) Je pensais à nouveau qu’un homme ne peut s’épanouir dans une peau culturelle qui ne serait pas la sienne et qu’on chercherait à lui imposer. Que c’est de la différence que naissent la richesse et la force.
(p.232) Le désert ne se raconte pas. Il se vit. A l’image de la terre qu’il habite, le Touareg a su se faire humble pour survivre mais aussi austère et fort pour se défendre.
(p.235) Qu’est-ce qu’un homme peut désirer de plus lorsqu’il a le privilège de s’endormir chaque soir sous un ciel protecteur, un ciel semé de plusieurs millions d’étoiles qui se sont allumées pour illuminer ses rêves ? Le désert semble éternel à celui qui l’habite et il offre cette éternité à l’homme qui saura s’y attacher.
« QUE REGNE LA LIBERTE. CAR JAMAIS LE SOLEIL NE S’EST COUCHE SUR REALISATION HUMAINE PLUS GLORIEUSE. »
Nelson MANDELA
mandela

Nelson Mandela, une ligne morale

J’avais 21 ans lorsque j’ai entendu le nom de Nelson Mandela pour la première fois. A l’époque, j’avais obtenu mon diplôme de fin d’études secondaires dans un lycée afrikaner, avec l’histoire parmi les matières principales. J’avais participé fièrement, en tant que soldat, à la guerre menée par l’Afrique du Sud en Angola, et je m’apprêtais à infiltrer le Congrès national africain (ANC) pour le compte du gouvernement.
Nous étions en 1984 et je visitais l’une des universités sud-africaines connues pour son progressisme. A l’autre bout du campus, des voix puissantes chantaient : « Nelson Mandela, un jour il nous libérera, du pays de l’apartheid. » Je m’étonnai : « En l’honneur de qui, ce chant ? » Ce à quoi mon compagnon anglophone répondit : « D’un quelconque terroriste emprisonné à Robben Island. »
« HISTOIRE PAR OMISSION »
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le nom de Nelson Mandela n’apparaissait dans aucun de nos manuels d’histoire au lycée. La plupart des traditions de dissidence et d’opposition au colonialisme européen étaient soigneusement omises de l’enseignement. Cette « histoire par omission », au service du pouvoir et de la nécessité de promouvoir une lecture unique des événements pour maintenir le statu quo, rappelait celle en vigueur dans l’enseignement soviétique de l’époque. Après l’effondrement de l’URSS, comme en Afrique du Sud après l’abolition de l’apartheid, il fallut réécrire les manuels d’histoire. Un processus similaire s’amorça aux Etats-Unis, grâce aux mouvements pour les droits civiques, féministes, puis des gays et lesbiennes.
Un roman de Toni Morrison, Beloved (Christian Bourgois, 1989), figure au programme du cours de littérature que je dispense dans une université américaine. Ce livre est dédié« Aux 60 millions et plus ». Quand je demande aux étudiants à quoi ou à qui fait allusion cette dédicace, il est rare que quelqu’un connaisse la réponse.
Le chiffre mentionné représente une estimation du nombre d’Africains enlevés, achetés, puis revendus, qui moururent au temps du commerce transatlantique des esclaves. Savoir que 60 millions d’individus ont été effacés de l’historiographie américaine permet de comprendre à quel point il fut aisé de faire subir le même sort à un seul homme en Afrique du Sud.
Si Nelson Mandela était considéré comme un terroriste par l’Afrique du Sud blanche, d’autres en faisaient autant. Trois ans avant sa libération, après vingt-sept années d’enfermement, Margaret Thatcher, première ministre britannique, parlait encore de l’ANC, dont il était le leader, comme d’un « exemple typique d’organisation terroriste ». Il fallut attendre 2008, bien après la fin de sa présidence, pour que les Etats-Unis enlèvent Nelson Mandela et l’ANC de leur liste de suspects à l’intention des services d’immigration.
SITUATION DE SERVITUDE LÉGALE
Maintenant que le nom de Mandela est universellement célébré, il est gênant de se rappeler que, il y a peu, c’était nous, les gens prétendument civilisés, qui utilisions ce langage pour justifier notre politique et nos guerres ; nous, dont les privilèges, le silence et les actes ont maintenu des gens comme Nelson Mandela en prison, et la majorité des Noirs d’Afrique en situation d’infériorité et de servitude légale. Nous étions des racistes. C’était même sans doute nous, les Blancs – moi compris –, les vrais terroristes.
A la naissance de Mandela, en 1918, l’Europe contrôlait environ 80 % de la planète. La situation évolua après 1945 avec l’indépendance de nombreux pays. Le combat pour mettre fin à l’apartheid devint une bataille pour débarrasser le monde de l’une des dernières manifestations d’un système international de discrimination et d’exploitation. Sa disparition, en 1994, conclut de manière symbolique cinq siècles de colonisation européenne.
Après trois décennies en prison, et alors que le pays de l’apartheid se retrouvait dans un isolement croissant à la fin des années 1980, Nelson Mandela adopta envers ses oppresseurs une attitude caractérisée par « le respect des ennemis ». A-t-il agi ainsi par principe, par stratégie, par pragmatisme ou par un mélange des trois ? On peut en discuter, mais sa magnanimité et son insistance pour nous amener à nous voir dans et à travers les yeux de nos ennemis sont devenues une part essentielle de son héritage.
Résistant à l’instinct de vengeance et aux ambitions personnelles, il a suggéré l’idée d’une réconciliation nationale comme pierre angulaire de la transformation sociale : faute de pouvoir faire table rase du passé, il allait falloir trouver un moyen d’intégrer le passé dans le présent afin de garantir un avenir plus stable et plus juste.
VOLONTÉ D’HUMANISER L’ADVERSAIRE
Sa volonté d’humaniser l’adversaire et tous ceux qui s’opposaient encore à l’égalité raciale et à la démocratie a changé la nature du discours politique à tout jamais. Cet héritage place les anciennes et les nouvelles élites, qui jouissent du pouvoir et des privilèges, face à un défi : étendre les réformes pour améliorer l’existence des pauvres, des déshérités, de tous ceux dont le travail facilite notre vie quotidienne.
Par ses paroles et ses actes, Nelson Mandela suggère que l’imagination et la responsabilité morales sont au coeur de toute démarche vertueuse.
Chez Nelson Mandela, comme chaque jour dans ce pays, nous avons assisté à une libération du potentiel humain sous des formes qui obligent à se demander, parfois avec remords, honte et un sentiment nouveau de responsabilité, ce qu’aurait pu être l’Afrique du Sud – et le monde aussi, d’ailleurs – si l’on n’avait pas laissé le fléau du racisme souiller l’histoire de l’humanité pendant cinq siècles.
Nelson Mandela a toujours pris soin de souligner que ce n’était pas lui qui avait apporté le changement dans le pays. Sa contribution est intervenue après de longs et puissants combats à tous les niveaux, menés par des centaines de milliers de gens ordinaires au fil des siècles. Et partout où règne l’oppression, ces combats continuent.
Il n’a pas été et ne sera jamais au-dessus de toute critique : beaucoup condamnent la magnanimité dont il a fait preuve envers les Blancs, car elle aurait permis aux anciennes et aux nouvelles élites de se couper du reste de la société et à l’exploitation de se poursuivre sans que l’économie sud-africaine soit réformée.
Certains évoquent sa considérable fortune personnelle, dont l’origine n’a jamais été suffisamment expliquée. D’autres soulignent le fait qu’il laisse derrière lui une famille déchirée, des enfants qui se disputent son argent au lieu d’honorer l’héritage de leur père.
FLÉAU DU SIDA ET DE LA SÉROPOSITIVITÉ
On lui a reproché de ne pas s’être suffisamment attaqué au fléau du sida et de la séropositivité durant sa présidence. Ses défenseurs répliquent que, à partir du moment où il s’est exprimé publiquement sur la question, il a pris sans ambiguïté le parti de ceux qui luttent de front contre l’épidémie.
Comme pour le mahatma Gandhi et Martin Luther King, deux autres icônes des mouvements en faveur de la justice sociale au XXe siècle, les divers aspects de l’héritage de Mandela feront l’objet de débats et de contestations, d’autant que nous avons tous tendance à projeter nos espoirs, nos désirs et nos travers sur les personnalités publiques.
Le discours démocratique exige en outre de ne laisser aucun héritage individuel ou national se fossiliser pour devenir une vérité immuable. La démocratie ne peut s’épanouir qu’au sein de civilisations ne fuyant pas le dialogue : un dialogue ancré dans le présent, mais qui cherche néanmoins à saisir les rapports entre passé et présent.
Dans Beloved, de Toni Morrison, les voix des esclaves qui ont été oubliées, tues et caricaturées par l’histoire officielle, ou bien refoulées et niées, reviennent hanter et troubler les vivants.
Mais, en fin de compte, c’est la capacité à affronter un passé encore terriblement vivant qui aide à suturer les plaies d’une communauté fracturée et traumatisée. Ce qu’une ignorance naïve ou délibérée a réduit au silence devient finalement ce qui parle le plus fort dans le roman – autant sur le plan personnel que politique.
Ainsi en a-t-il été et en ira-t-il de l’Afrique du Sud : le nom de l’homme que l’on a tenté de rayer de l’Histoire est désormais sur toutes les lèvres, des ruelles du plus petit village sud-africain aux plus larges avenues des métropoles du monde entier.
UNE FORME D’EMPATHIE ABSOLUE
De même, les défis auxquels nous tournons le dos en Afrique du Sud aujourd’hui deviendront les événements qui nous définiront ou nous détruiront demain. Le titre et l’épigraphe du roman de Toni Morrison sont tirés de l’Epître aux Romains (9) du Nouveau Testament : « J’appellerai mon peuple celui qui n’était pas mon peuple, et bien-aimée celle qui n’était pas la bien-aimée. »
Nelson Mandela nous lègue la certitude que, sans cette forme d’empathie absolue – cet effort d’imagination pour se mettre à la place des autres, les marginaux, les pauvres, ceux qui n’ont toujours pas voix au chapitre, qui possèdent le moins –, il ne pourra y avoir aucun changement personnel, social ou politique, et, à coup sûr, aucune justice. Cette partie de l’héritage de Nelson Mandela continuera d’inciter et d’aider les générations futures à ouvrir leur horizon moral, à développer leur sens des responsabilités envers la société.
Où que soit maintenant Nelson Mandela, il s’agit d’un lieu qui se situe au-delà de la gloire et des prix, de la solennité des cérémonies honorifiques, des couloirs de la politique internationale. Loin des nombreuses salves de vingt et un coups de canon et des avions de chasse s’élevant vers le ciel lors de son entrée en fonctions comme premier président élu de l’Afrique du Sud démocratique.
Pour l’heure, je préfère imaginer que son esprit a trouvé le repos. Que sa mémoire s’arrête quelques instants sur une image de lui, un enfant parmi d’autres. En hiver, au milieu des collines dominant le village de Qunu, par-delà le fleuve Kei, à l’intérieur des terres bordées de bleu par l’océan Indien. Avec ses copains, il surveille le bétail et joue dans la douce chaleur du soleil d’hiver. Tout autour d’eux, des aloès illuminent le veld, comme autant de torches enflammées se détachant sur les étendues d’herbe décolorée.
(Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon)

L’interventionnisme militaire occidental est un échec permanent

LE MONDE |  | Denis MacShane (Ancien ministre des affaires européennes du gouvernement de Tony Blair)
Des soldats français dans les rues de Bangui en Centrafrique, le 6 décembre.
Assumez le fardeau de l’homme blanc », écrit Rudyard Kipling, le poète de l’impérialisme anglais à la fin du XIXe siècle. Il lançait ainsi un appel aux Etats-Unis afin qu’ils viennent soutenir l’Angleterre et la France dans leurs missions « civilisatrices » en Afrique et en Asie. Aujourd’hui, c’est au tour du président François Hollande d’assumer ce fardeau afin d’apporter un brin de stabilité en Afrique centrale.
On ne peut que souhaiter le plus grand succès aux soldats français dépêchés en Centrafrique, mais le palmarès des anciennes puissances impériales qui ont cherché à imposer leur vision à des régimes qui font fi de nos valeurs « civilisées » n’est guère encourageant. Depuis l’expédition de Suez en 1956, aucune intervention militaire menée par les forces européennes en dehors de l’Europe n’a obtenu les résultats espérés. Dans tous les pays où elles ont établi une présence, elles laissent derrière elles plus de problèmes que de solutions.
Les Russes ont envahi l’Afghanistan en 1979 dans le but d’asseoir un gouvernement non islamiste et de protéger leur flanc sud. Quel fut le résultat ? Un Afghanistan pris en otage par les Talibans et une base pour Al-Qaida.
« FOURNIR ASSISTANCE ET PROTECTION AU PEUPLE »
En 2006, le ministre de la défense, John Reid, affirmait que le but de la présence militaire britannique en Afghanistan était « de fournir assistance et protection au peuple afghan pour qu’il reconstruise l’économie et rétablisse la démocratie dans son pays. Nous serions très heureux de quitter l’Afghanistan dans trois ans sans avoir tiré un seul coup de fusil ».
Depuis que ces paroles ont été tenues, 445 soldats britanniques ont perdu la vie ; 86 soldats français, 156 soldats canadiens et 2 287 soldats américains ont été tués. C’est moins que les 15 000 soldats russes qui ont payé de leur vie la présence de leur pays en Afghanistan. Mais tout comme les Russes, les armées des pays occidentaux vont quitter l’Afghanistan en laissant le pays dans une situation bien pire que celle qui prévalait en 1979, en 1989 ou en 2009.
Le droit d’ingérence et la doctrine de l’intervention sont des concepts qui remontent à l’ère de Francis Fukayama et sa thèse sur la fin de l’histoire. Bernard Kouchner à Paris, Michael Ignatieff à Harvard et Tony Blair à Londres ont lancé l’idée selon laquelle il est possible et nécessaire d’avoir recours à la puissance militaire pour changer le régime, voire le gouvernement des pays qui rejettent les normes prévues par les conventions des Nations unies.
Au Kosovo, cette thèse a donné des résultats, mais pas au Rwanda ni au Soudan. Comme François Hollande aujourd’hui en République Centrafricaine, Tony Blair a envoyé, en 2000, un petit contingent en Sierra Leone pour protéger les expatriés britanniques. Ces militaires avaient également pour mission de protéger les intérêts économiques des entreprises minières qui exportent l’or et les diamants.
La guerre civile en Sierra Leone s’est poursuivie jusqu’en 2002. La courte intervention des 1 200 parachutistes anglais a été applaudie par les médias et la classe politique à Londres, sans aboutir à un véritable changement en Sierra Leone, qui, douze ans plus tard, reste un des pays les plus pauvres et les plus corrompus de la planète.
VOTE EN FAVEUR DE LA GUERRE
Le succès apparent de l’intervention militaire au Kosovo et en Sierra Leone a conduit Tony Blair en Irak. Un des multiples mensonges colportés à propos de l’invasion de l’Irak est que ce fut une décision ultra-personnelle de Tony Blair, le petit caniche de George W. Bush. Rappelons cependant que 419 députés de gauche comme de droite ont voté en faveur de cette guerre.
William Hague, aujourd’hui ministre des affaires étrangères, avait affirmé en 2002 devant la Chambre des communes que « 400 sites et installations nucléaires étaient dissimulés dans des fermes et même dans des écoles en Irak ». Plus de dix ans plus tard, tout le monde outre-Manche admet que l’invasion de l’Irak fut pire qu’un crime et que ce fut une erreur.
En tant que député et ministre, j’ai moi-même voté en faveur de l’invasion en Irak. Renverser un dictateur inspiré par les idéologies phalango-fascistes et libérer le peuple Irakien de la torture et de l’oppression de Saddam Hussein semblait correspondre à mes valeurs progressistes et interventionnistes. Dix ans plus tard, je préfère dire comme Benjamin Franklin que « la pire des paix vaut mieux que n’importe quelle guerre ».
INTERVENTIONS PARFOIS MORALEMENT JUSTIFIÉES
Le Parti travailliste lui aussi a changé. Alors que David Cameron, François Hollande et les faucons de Washington étaient prêts à faire la guerre en Syrie au profit des djihadistes et d’Al-Qaida, le jeune et nouveau leader inexpérimenté de la gauche britannique, Ed Miliband, a refusé de plier sous la pression exercée par le magnat de la presse Rupert Murdoch et de ses camarades du Parti socialiste français. Il a décliné l’invitation de David Cameron à rejoindre l’union sacrée avec les djihadistes syriens. Son leadership de jeune chef travailliste a inspiré d’autres députés, tous partis confondus, qui ont voté contre le chef du gouvernement, David Cameron.
Le Parlement britannique a corrigé l’erreur commise en 2003, encourageant ainsi le Congrès américain à dire non à une nouvelle intervention occidentale dans un pays arabe. Ensuite, il y a eu l’accord de Genève avec l’Iran. Comme a dit Churchill : « Jaw jaw is better than war war », « faire parler les gens vaut mieux que faire la guerre ».
Les Britanniques estiment que l’intervention de Nicolas Sarkozy et de David Cameron en Libye a été un désastre – même si elle fut applaudie par les journalistes à l’époque. La Libye est maintenant sous le contrôle des milices et des seigneurs de guerre salafistes, qui exportent des armes, et des guerriers dans toute la région.
Le bilan des interventions en Afghanistan, dans les pays arabes et en Afrique depuis 1979 est donc globalement négatif. Ces interventions sont parfois moralement justifiées, légalement souvent discutables et stratégiquement toujours désastreuses. Après le succès de l’intervention en Sierre Leone, Tony Blair n’a pas annoncé que c’était le plus beau jour de sa vie.
Tout pays qui se respecte doit soutenir son armée. Mais l’Histoire ne plébiscite les interventions militaires qu’à de rares exceptions. Ce n’est pas la fin de l’Histoire qui doit nous troubler, mais plutôt le fait que l’on n’en tire plus aucun enseignement, surtout lorsqu’il s’agit d’événements récents.

Les opérations militaires à l’usage des médias

Michel Goya,la Voie de l’Epée
Ceux qui ont lu la France et la guerre depuis 1962 peuvent tout de suite aller au dernier paragraphe…
 
Imaginons que Le magazine de la santé ne soit pas présenté par des médecins et ne fasse même intervenir aucun d’entre eux sur leur plateau. Pire, imaginons que lorsque se posent de graves problèmes sanitaires en France, on ne fasse jamais appel à des médecins mais simplement à des représentants politiques, des experts « non-pratiquants » ou, au mieux, au porte-parole du Conseil de l’ordre.
C’est exactement ce qui se passe pour les questions militaires et c’est ainsi que l’on raconte souvent n’importe quoi en la matière sur les plateaux de télévision. Après cinquante années et 115 opérations militaires, on continue à demander si c’est la guerre à chaque fois que l’on tire un coup de feu, à s’étonner qu’un soldat tombe au combat ou à parler d’enlisement dès qu’une opération dure plus d’une semaine.
Il est donc pas inutile de rappeler les principales caractéristiques des opérations militaires modernes.
1. La France est en guerre depuis 1962…presque exclusivement contre des organisations non étatiques
 
Les forces armées françaises ont été engagées depuis 1962 dans environ 400 opérations dont 115 ont engendré des affrontements, soit une moyenne de deux par an. Ces opérations ayant toutes le même but et presque toutes le même type d’adversaire, même si celui-ci a eu des visages différents, on peut considérer que la France est de fait engagée dans une forme fragmentée de guerre mondiale pour la défense de ses intérêts et la stabilité du monde face à des organisations armées non étatiques. Près de 400 de ses soldats sont « morts pour la France » dans ses opérations et des milliers d’autres y ont été blessés.
Cette idée ne s’est pas imposée avec évidence car la guerre reste, malgré la lutte contre le Vietminh et le FLN, encore largement associée dans les esprits à la guerre interétatique avec sa déclaration et son traité de paix.
En réalité, sur 155 opérations militaires, 5 seulement relèvent d’un conflit interétatique : contre l’Irak en 1990-91, la république bosno-serbe en 1995, la Serbieen 1999, l’Etat taliban en 2001 et le régime de Kadhafi en 2011. Dans tous les autres cas nos ennemis se sont appelés Frolinat, Tigres kantagais, Polisario, Hezbollah, Amal, FPR, Taliban, HIG, AQMI, MUJAO, etc. Ce sont eux qui ont provoqué 99 % de nos pertes et tout semble indiquer que cela va continuer.
C’est le caractère politique de nos adversaires qui fait de l’affrontement une guerre, sinon il s’agit de lutte ou au moins de protection contre du banditisme. Cette distinction est essentielle pour définir le cadre juridique, psychologique et politique de l’emploi des forces. C’est avec des ennemis que l’on fait la paix, pas avec des délinquants dont la répression est sans fin.  Cette vision est brouillée par le fait que ces organisations se greffent souvent sur l’économie illégale pour trouver des ressources et que les Etats hôtes n’aiment généralement pas qualifier ces organisations de politiques, qui induit un statut équivalent, leur associant plutôt les qualificatifs de criminelles ou terroristes.
Après les embarras afghans, la qualification immédiate de guerre pour l’opération Serval au Mali témoigne d’une prise en compte de cette réalité par l’échelon politique.
On notera également que ces cinq conflits interétatiques ont eu lieu dans une phase stratégique de vingt ans où la puissance américaine a pu s’exercer avec une grande liberté. La « fatigue américaine », la réduction de ses moyens, les contraintes diplomatiques accrues en particulier au Conseil de sécurité laissent présager une fermeture de cette fenêtre. La possibilité d’un conflit interétatique dans les dix-quinze ans à venir ne peut être exclue, sa probabilité est faible et il est presque certain qu’il faudra agir de manière différente, c’est-à-dire sans bénéficier de la puissance aérienne américaine.
2. Les tentatives de substitution au duel clausewitzien ont échoué
 
Pour Clausewitz, la guerre c’est la confrontation de deux trinités : un Etat (ou une direction politique)-une force armée-un peuple. L’affrontement est d’abord un duel entre les deux forces armées antagonistes. L’Etat dont l’armée a perdu le duel se soumet et impose la paix à son peuple.
L’acceptation de ce duel induit une prise de risques et donc généralement des pertes humaines, très peu populaires politiquement. On a donc essayé de résoudre les nécessaires confrontations en évitant ce duel.
 
La première tentative a consisté se déclarer comme neutre et à se placer au milieu des organisations combattantes, comme si l’empêchement des combats signifiait la paix. Cela n’a en réalité jamais fonctionné, les adversaires se nourrissant ou instrumentalisant la force d’interposition pour continuer le combat. La liste des missions d’interpositions se confond avec celle des humiliations.
Une autre approche à consisté à profiter de la suprématie aérienne des forces occidentales (en fait américaines) pour considérer l’ennemi comme un système dont on pouvait obtenir l’effondrement par une campagne de frappes. Dans cette conception, plus les frappes sont éloignées du contact et en profondeur et plus elles sont considérées comme efficaces (les premières sont qualifiés de tactique, les secondes de stratégiques). Dans les faits, seule de la campagne contre la Serbie en 1999 peut être mis au crédit de cette vision mais en sachant que l’action diplomatique et surtout la présence d’une puissante force terrestre en Macédoine sur le point d’intervenir. Tous les autres exemples prouvent que l’emploi seul des frappes à distance (y compris avec l’artillerie, des hélicoptères d’attaque ou même des raids d’infanterie légère) s’avère impuissant à obtenir une soumission de l’autre, surtout les organisations non étatiques dès lors qu’elles ont un minimum d’implantation populaire. On n’a jamais vu personne se constituer prisonnier devant un chasseur-bombardier ou un drone.
La décision ne s’obtient finalement et toujours que par l’occupation ou la destruction des centres de gravité adverses (capitale, base, leader) et cela passe nécessairement pas des opérations au sol, rendues évidemment beaucoup plus puissantes lorsqu’elles sont appuyées par des systèmes de feux à distance dont est dépourvu l’adversaire.
3. la principale difficulté s’est toujours située après le « duel »
 
La supériorité sur le champ de bataille n’amène pas forcément la paix, du moins au sens classique du terme synonyme de dépôt des armes.
 
Cette paix classique est plus facile à obtenir dans le cadre d’un conflit interétatique et à condition de ne pas détruire l’Etat adverse car c’est lui qui va gérer la paix en interne. Cela à été le cas de la République de Palé, de la Serbie et de Saddam Hussein en 1991 et cela a permis une normalisation de la situation. Cela n’a pas empêché la mise en place d’importantes forces de stabilisation en Bosnie et au Kosovo.
Lorsque Saddam Hussein ou les Talibans ont été chassés, il a fallu les remplacer et la situation politique locale a évolué débouchant sur une nouvelle guerre beaucoup plus difficile que la première. La destruction, non souhaitée initialement, du régime de Kadhafi a abouti également à un désordre local aux répercussions régionales.
Les choses sont encore plus difficiles à conclure avec des organisations non étatiques. Lorsque nous intervenons contre ces organisations, c’est que le plus souvent que la situation locale est déjà grave et qu’elles ont déjà constitué des forces armées. Contrairement à la période des guerres de décolonisation, la guérilla ne précède pas l’affrontement sur le champ de bataille mais tend à lui succéder.
Les batailles ont été rares contre les organisations armées (Kolowezi et Tacaud en 1978, Adrar des Ifhoghas en 2013) et nous les avons toujours gagnées, du fait de la supériorité qualitative de nos soldats, de la variété de nos moyens et parce que nous avons toujours combiné la recherche du combat rapproché et les feux.
Nous n’avons pas encore été confrontés à des adversaires « hybrides », c’est-à-dire disposant d’armements antichars et antiaériens modernes, comme le Hezbollah, maisa priori les moyens et méthodes employées jusque-là paraissent adaptées contre eux.
Ces batailles peuvent être décisives si l’adversaire n’a pas d’implantation populaire locale, comme les Tigres katangais par exemple à Kolwezi ou même dans une moindre mesure AQMI au Mali. La force n’a pas besoin de rester sur place dans ce cas.
La vraie difficulté réside lorsque l’organisation que nous affrontons bénéficie d’un soutien local qui peut la cacher, la nourrir, la renseigner et surtout lui fournir des recrues. La difficulté est bien sûr accrue si l’organisation est également aidée par l’étranger et peut s’y réfugier. Dans ce cas, le combat continue normalement sous forme de guérilla et/ou d’attaques terroristes. Cette forme de combat est beaucoup plus complexe à mener. Il peut l’être de deux manières.
On peut s’engager dans la voie de la contre-insurrection, c’est-à-dire mener une opération globale visant non seulement à combattre les forces ennemies mais aussi à s’attaquer aux causes du soutien populaire à l’organisation. Cela peut réussir, provisoirement, comme au Tchad de 1969 à 1972, mais cela demande généralement un engagement long et couteux.
On peut décider au contraire de ne pas s’engager dans cette voie de contre-insurrection, de se retirer du théâtre ou de se placer tout de suite en deuxième échelon de la force locale, qui dans tous les cas de figure doit forcément prendre à son compte la mission de sécurité. Cette approche impose parfois de revenir « gagner » des duels.
4. On peut aussi engager la force dans des opérations qui ne relèvent pas de la guerre
 
On l’a déjà dit, s’il n’y pas ou plus d’opposition politique, il n’y a pas de guerre. sans parler des opérations d’aide humanitaire, la force peut aussi être employée pour sécuriser une population. On parle alors de mission de stabilisation. Il n’y a pas ou plus d’ennemi et les forces locales ne sont pas capables d’assurer la sécurité de leur territoire soit qu’elles ont failli, soit qu’elles n’existent pas encore.
Ces missions de stabilisation, qui ne doivent pas être confondues avec des missions de contre-insurrection, peuvent prolonger des missions de guerre, comme au Kosovo, ou non. L’engagement actuel en république centrafricaine relève clairement de cette dernière logique.
Ce type de mission impose une présence physique sur le territoire et donc des effectifs relativement importants au regard de la population locale. Or, les effectifs des armées professionnelles occidentales ayant tendance à diminuer aussi vite que les populations à sécuriser ont tendance à augmenter, le risque premier est celui de l’insuffisance. On compense ce phénomène par l’engagement en coalition, ce qui augmente les délais d’intervention alors que la situation impose souvent l’urgence, et une complexité organisationnelle accrue.
Ces forces de stabilisation ont pour vocation là-encore à être relevé par des forces de sécurité locales, ce qui suppose l’existence d’un Etat viable et légitime, généralement la principale difficulté de la mission. De fait, les opérations de stabilisation sont presque obligatoirement longues, ce qui ne doit pas confondu avec un enlisement.

La France, pays occidental le plus interventionniste en 2013

 La Voix du Nord
En première ligne au Mali et en Centrafrique, velléitaire en Syrie, pugnace dans le dossier iranien: la France a acquis cette année le statut, réservé de coutume aux Etats-Unis, de pays occidental le plus interventionniste.
Des soldats français patrouillant dans les rues de Bangui, capitale de la Centrafrique. PHOTO AFPAFP
La France, gendarme du monde? Cela y ressemble, et c’est un paradoxe: la France adopte une position «guerrière» inhabituelle sur la scène internationale au moment où elle semble sur le déclin, entre difficultés à boucler son budget militaire, perte d’influence économique et apparition de nouveaux acteurs à l’instar du Qatar, de l’Inde ou du Brésil.
«La France a montré qu’elle était devenue ces dernières années le plus faucon des pays occidentaux sur les dossiers au Proche-Orient et dans la région», résume Hussein Ibish, analyste à Washington du groupe de réflexion American Task force on Palestine.
Et en Afrique, sa toute dernière intervention — l’opération « Sangaris » en Centrafrique— a définitivement posé la question du retour de l’ancienne puissance coloniale en « gendarme de l’Afrique ».
Hussein Ibish rappelle que la France a « poussé pour une intervention en Libye » en mars 2011, a «envahi et sauvé le Mali» au début de l’année, «était la plus enthousiaste à l’idée de frappes contre les sites d’armes chimiques en Syrie » en août. Et sur l’Iran, elle a ferraillé pour empêcher un « jeu de dupes » sur le programme nucléaire iranien, pesant de tout son poids pour convaincre Européens et Américains de demander plus de concessions à Téhéran.
« Qu’on s’en félicite ou le déplore, la France ne joue plus le même rôle qu’hier sur la scène internationale », résumait alors l’éditorialiste Bernard Guetta dans Libération. Elle est devenue sous les présidences de Nicolas Sarkozy et François Hollande « le plus attaché des pays de l’Alliance atlantique à défendre la sécurité, les principes et les intérêts du monde occidental ».
Le lancement jeudi de l’opération « Sangaris » après le feu vert de l’Onu pour rétablir l’ordre dans une Centrafrique sombrant dans le chaos est le dernier épisode de cet activisme de Paris dans le monde. «La Côte d’Ivoire en 2011, le Mali début 2013 et aujourd’hui la Centrafrique: jamais, sans doute, la France n’a fait preuve d’un tel activisme militaire sur un temps aussi court pendant que d’autres pays — la Chine, l’Inde, la Turquie — investissent à tout va », a constaté Libération à l’instar de l’ensemble de la presse française.

«Ambitions mais moyens limités»

Pendant près de 50 ans, la politique étrangère de la France avait suivi la doctrine instaurée par le général Charles de Gaulle visant à placer à bonne distance les géants soviétique et américain, et Israël. Ce non-alignement a perduré sous le président socialiste François Mitterrand et culminé en 2003 lors du « non » de Jacques Chirac à l’invasion de l’Irak de Saddam Hussein.
Il y a dix ans, les Républicains américains criaient au boycott de la France et qualifiaient les Français de « singes capitulards bouffeurs de fromage ». Aujourd’hui, l’influent sénateur américain John McCain tweete « Vive la France » à propos du bras de fer mené avec l’Iran. Que s’est-il passé entre-temps?
La gestion offensive — similaire — de Nicolas Sarkozy et François Hollande a accompagné un renouvellement de générations aux Affaires étrangères, dans l’armée et les services secrets. La nouvelle a grandi dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 à New York et fait ses armes dans la lutte antiterroriste, notamment en Afghanistan et au Sahel.
Paris a aussi profité en partie du « vide » relatif laissé par les Etats-Unis au Moyen-Orient. Après une décennie de guerres en Afghanistan et Irak, Washington a rapatrié ses GI’s, réorientant son action sur l’Asie.
« Les pays comme la France connaissent très bien l’équilibre des pouvoirs au Proche-Orient et ils veulent protéger leurs intérêts », souligne Alireza Nader, expert du centre de réflexion RAND. « Il ne s’agit pas seulement du programme nucléaire (iranien) mais également de calculs de pouvoir et d’équilibre. La France protège la sécurité d’Israël mais a aussi des liens étroits avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe », dit-il.
En août, la Syrie a toutefois brutalement ramené les Français au principe de réalité. Après la mort de 1500 personnes tuées par des armes chimiques près de Damas, la France pensait avoir convaincu les Etats-Unis de lancer des frappes sur les installations militaires syriennes. Mais une reculade à la dernière minute de Barack Obama a laissé François Hollande seul en première ligne, l’obligeant à baisser pavillon.
Cruel constat de l’analyste arabe Mustapha Al-Ani du Gulf Research Centre: la France «n’a pas les moyens de sa politique» au Proche-Orient car sa diplomatie « reste tributaire de la politique des Etats-Unis ».
Directeur de l’institut politique Issam Fares, Ramy Khory, tempère ce jugement: « La France ne pourra pas jouer un rôle aussi important que les Etats-Unis au Proche-Orient, mais elle peut très certainement (y) jouer un rôle dynamique, efficace et constructif ».
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