Que s’est-il passé lundi 18 avril à Kidal, dans le nord du Mali ? Qu’est-ce qui a poussé des femmes et des enfants à sortir de chez eux pour protester contre les forces étrangères et particulièrement contre la force antiterroriste française Barkhane ? Dans quelles circonstances deux manifestants ont-ils été tués et plusieurs autres blessés ? Qui a tiré ?
Autant de questions sur lesquelles la presse africaine s’est penchée. Les titres maliens en particulier préviennent d’emblée de la complexité de l’affaire : «
L’équation Kidal », «
Le boomerang kidalois », «
Kidal, la spirale du mal », disent-ils. Et puis il y a la sidération face à « l’impensable », selon le terme de l’éditorialiste du quotidien malien
Le Républicain Adam Thiam. « Le pays se réveille sur les cendres fumantes d’un jour pas comme les autres », écrit-il au lendemain de ce lundi où « Kidal la frondeuse » s’est « enflammée ». « Qu’il s’agisse de Barkhane ou des forces tchadiennes comme cela a été diffusé sur les réseaux sociaux, un constat est net : ce sont des soldats de la paix qui auront tiré sur les populations qu’ils ont vocation à protéger. Et cela est grave », estime le journaliste bamakois.
Kidal contre Barkhane
Au départ, rapporte la rédaction de
Maliweb, qui a collecté des témoignages de manifestants, il s’agissait de « protester contre les arrestations et perquisitions arbitraires menées par Barkhane ». Mais la situation dégénère lorsque les manifestants se dirigent vers l’aéroport de Kidal, où est stationnée la mission de l’ONU au Mali (Minusma). « Des agents de la Minusma ont fait des tirs de sommation », explique un habitant de Kidal dans le récit que déroule Maliweb. Les protestataires répondent alors « par des jets de pierres » et commencent « à saccager les installations » ; la Minusma réplique : « C’est à ce moment qu’elle a tiré dans notre direction », témoigne un manifestant. Interrogé par la radio malienne
Studio Tamani, un représentant de la Minusma précise, quant à lui, que les protestataires ont « mis le feu aux installations sécuritaires à l’aide de cocktails Molotov ». Il ajoute que la mission onusienne « a diligenté une enquête et prendra ses responsabilités ».
Des interpellations qui mettent le feu aux poudres
En attendant d’y voir plus clair, quels sont les motifs de cette mobilisation qui intervient peu après
l’interpellation de combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) pour trafic d’armes, dans le cadre de l’enquête sur les causes de la mort de trois soldats français le 12 avril ? Certes, ironise
Le Républicain, la « présomption de trafic d’armes » contre ces combattants est une accusation « surréaliste » dans une zone « où la kalach est plus courante que les denrées de première nécessité », et pose question. Cependant, « tenter de détruire l’aéroport, c’est vouloir organiser l’isolement de Kidal, donc le renvoi de la communauté internationale. Pourquoi ? Des ressentiments réels de la population contre des troupes qui se comporteraient en forces d’occupation ? Des gesticulations irrédentistes contre l’accord de paix ? Ou le plan B d’Iyad Ag Ghaly contre toute présence étrangère dans l’Adrar ? » se demande le quotidien malien. Pour de nombreux titres de la presse africaine, difficile de démêler l’écheveau de cette affaire sans envisager une instrumentalisation des manifestants.
La main des groupes radicaux armés
Cette crise n’est « aucunement spontanée », nous dit
Guinée Conakry Infos. Le site guinéen évoque « la signature de
petits malins aux intérêts inassouvis, à l’idéologie douteuse, au prosélytisme tenace et à l’arme vorace ». Et de décrire une paix fragile à Kidal, où, depuis 2012, « il suffit d’une flammèche pour rallumer le baril des rancunes accumulées, des frustrations contenues et des velléités autonomistes ravalées », et où « les islamistes tiennent encore les secrets de la mécanique sociale ».
Certains voient derrière l’élan protestataire de Kidal la main de l’ancien chef rebelle Iyad Ag Ghaly, devenu chef du groupe djihadiste Ansar Dine, et régulièrement taxé d’« ennemi public numéro un ». Il « n’a jamais accepté l’accord » d’Alger pour la paix au Mali de juin 2015 et « promettait à travers diverses manifestations de mener le djihad contre les forces étrangères », note Maliweb dans un article intitulé «
La CMA et la Minusma au bord de la rupture ?». Jusqu’à cette arrestation des combattants du MNLA, rappelle le site malien, « tout se passait bien », dans un « semblant d’entente tacite » entre les forces étrangères (Barkhane et Minusma) et les groupes armés réunis au sein de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad). D’ailleurs, précise-t-il, « on a pratiquement déroulé le tapis rouge » aux soldats étrangers à partir de 2013, quand les forces maliennes (Fama) étaient « mises à l’index » à Kidal. Aussi, cet événement tombe mal, car, conclut Maliweb, « tous les regards sont tournés actuellement vers la démobilisation et l’intégration et/ou insertion des ex-combattants de groupes armés », soit un des volets de l’accord d’Alger.
Bilan de l’accord pour la paix au Mali d’Alger
« La paix définitive et irréversible aura-t-elle droit de cité un jour dans le Nord-Mali et plus précisément à Kidal ? » se demande enfin
L’Observateur Paalga, qui titre : « Manifestation à Kidal : encore un coup de canif dans l’accord de paix ». En effet, en dépit d’un « timide redéploiement de l’administration et de l’armée » à Kidal, « on en est toujours à une insupportable situation de ni guerre ni paix », résume le quotidien burkinabé. « L’accord de paix a presque un an : peu de progrès significatifs », dit dans son titre le site d’infos malien L’Informateur. Le quotidien ouagalais déplore un processus sapé à la base, car certains groupes armés se sont « assis à la table des négociations à contrecœur ». Soucieuse de ne pas laisser la situation dégénérer, la Minusma à Gao innove dans ses méthodes d’apaisement. Son argument bien affûté sonne comme un slogan : « Le thé dans le grin, un contact direct entre la Minusma et les communautés. »Du thé pour contrer les dissensions et aborder les projets de la mission de l’ONU… L’initiative est relatée par le quotidien malien L’Indicateur du renouveau. « Incapable d’avoir la caution des communautés dans le nord du Mali, la Minusma table sur une des valeurs propres aux peuples du Sahel », nous dit-il.
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Disparition de militaires au Tchad
Cette semaine, un autre pays sahélien a fait la une de l’actualité : le Tchad. Certes, il y a eu la réélection d’Idriss Déby Itno. Il rempile pour un cinquième mandat. Mais un autre événement s’est imposé dans la presse ouest-africaine. «
Tchad : une disparition peut en cacher une autre », titre le site guinéen Le Djely à propos d’une information rapportée par l’opposition : « Quelque soixante soldats n’ayant pas voté pour le président sortant (le 10 avril) auraient disparu. » Sur
LeFaso.net, un fonctionnaire de police raconte : « Tous ceux qui n’ont pas coché le candidat n° 2, Idriss Déby Itno, ont été emmenés. Nous étions treize. C’est le porte-parole de la police qui est venu nous libérer. Nous sommes aujourd’hui surveillés de près. » L’opposition, qui dit avoir été saisie par les familles des militaires, annonce également que « certains corps de militaires disparus ont été retrouvés, charriés par le fleuve », rapporte le site burkinabé. Ce à quoi le président Déby répond : « Si un militaire est parti en mission et qu’il n’a pas l’audace ou la gentillesse d’informer sa famille, c’est son problème. »
Une commission d’enquête indépendante
« Faut-il croire l’opposition ? » se demande
Le Pays. « Certes, Déby est capable du pire, mais de là à dire qu’il a fait disparaître 47 soldats parce que ces derniers ne lui auraient pas accordé leurs voix est une accusation gravissime », argue le quotidien du Burkina Faso, qui préconise « l’ouverture d’une enquête indépendante internationale ».
Le Djely renchérit dans ce sens. « Si, selon une certaine géopolitique, Idriss Déby Itno a une importance telle qu’on peut le laisser tripatouiller des élections et s’offrir autant de mandats qu’il voudrait s’en attribuer, rien ne devrait cependant justifier que le monde bouche les oreilles face à une telle accusation. […] Pour une fois, l’argument classique de la souveraineté du Tchad n’a pas sa place », estime le site d’info de Conakry. Et de rappeler « la disparition jamais élucidée de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, en 2008 ». Reste que le chef de l’État, s’il dit vrai, peut encore prouver que les militaires sont en vie. « Déby connaît le peuple tchadien, pour savoir jusqu’où il peut aller, et quelle sera la ligne de trop à ne pas franchir. Le cas de ces militaires est sérieux, et lui et lui seul peut y mettre fin, en apportant simplement toute la lumière », conclut le site burkinabé
Aujourd’hui au Faso. À bon entendeur…
http://afrique.lepoint.fr/actualites/le-point-afrique-actu-de-kidal-a-n-djamena-entre-tension-et-suspicion-24-04-2016-2034602_2365.php
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