Serge Lazarevic: les dessous d'une libération
Par RFI
Serge Lazarevic et le président Issoufou, le 9 décembre, à Niamey.RFI/Moussa Kaka
Serge Lazarevic est arrivé à Niamey en début de soirée, mardi 9 décembre. Il est attendu ce mercredi matin en France, à l'aéroport de Villacoublay. Dans la dernière vidéo, diffusée en novembre dernier par al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), le désormais ex-otage français disait craindre pour sa vie et appelait François Hollande à tout faire pour le libérer. C'est chose faite. Mais on sait peu de choses sur les conditions de cette libération. Une rançon a-t-elle notamment été versée ? L'heureux dénouement n'est, quoi qu'il en soit, pas survenu sans contrepartie. Il implique la libération de deux hommes.
Serge Lazarevic est arrivé à la présidence de Niamey vers 20h30. Il s’est entretenu pendant un quart d’heure environ avec le président Issoufou dans son bureau. L'ancien otage est apparu amaigri. Il s’est dit très content d’avoir retrouvé la liberté, il a remercié tous ceux qui ont participé à sa libération. « Je voudrais remercier le président et je voudrais remercier aussi le peuple du Niger qui a collaboré avec la France pour me faire libérer, a déclaré Serge Lazarevic. J’ai perdu une vingtaine de kilos, mais ça va, je suis encore bien. » Il a ensuite rejoint l’ambassade de France. Ce soir, la fille de Serge Lazarevic est dans l’avion pour ramener son père en France. Il est attendu mercredi matin vers 7h30 à Villacoublay, selon l'Elysée.
Comme l'affirme le président nigérien, les acteurs de cette libération sont les mêmes que dans le cas des otages d'Arlit. Depuis maintenant deux semaines, le Touareg nigérien Mohamed Akotey, qui s’était déjà occupé de la libération des quatre derniers otages français détenus au Niger, était à la manœuvre. Il s’est rendu dans la région de Kidal pour rencontrer des membres de la communauté touarègue de l'Adrar des Ifoghas, puis il est revenu, il y a quelques jours. Et tout s’est précipité.
C'était juste après la publication de la dernière preuve de vie de Serge Lazarevic. Là, d’après les informations de notre correspondant à Bamako, il a rencontré Alghabass Ag Intalla, fils du chef traditionnel de la région de Kidal. C’est également l’un des responsables du Haut Conseil de l'unité de l'Azawad (HCUA). Ils se sont rendus lundi à Tin-Essako, dans la région de Kidal, où visiblement tout s’est dénoué. Toujours d’après les informations de notre correspondant, le médiateur Mohamed Akotey n’a pas eu de contact direct avec les ravisseurs. C’est un lieutenant de l’islamiste malien, Iyad Ag Ghali, qui a fait la navette entre le médiateur et les ravisseurs.
Un échange entre l'otage et ses ravisseurs
Y a-t-il eu des contreparties ? Impossible d'affirmer pour le moment si une éventuelle rançon a été payée ou non. Mais la libération de Serge Lazarevic a impliqué une libération de prisonniers. Sur ce point, la presse a beaucoup parlé de deux hommes en particulier, détenus dans une prison d'un pays du Sahel. Selon notre correspondant à Bamako, en effet, le chef des ravisseurs Abdelkrim Taleb qui dirige une katiba aurait exigé outre le paiement d’une rançon, la libération de prisonniers islamistes détenus au Mali et probablement dans un autre pays du Sahel.
Le 24 novembre 2011, les dénommés Mohamed Ali ag Wadoussène et Haïba Ag Achérif organisaient avec des complices l'enlèvement de deux Français à Hombori, à savoir Philippe Verdon et Serge Lazarevic. Et en décembre 2014, ces deux demi-frères originaires de Kidal recouvrent finalement la liberté... en échange de la libération du même Lazarevic, selon différentes sources au Mali et au Niger jointes par RFI. Ils auraient déjà rejoint leur famille et leur clan dans le nord de Kidal.
Trahi par leur puce de téléphone
En 2009, les demi-frères avaient été intégrés à la Garde nationale malienne. Leur vie a basculé le jour où ils sont devenus « livreurs » d'otages. Contre rémunération, ils ont répondu à la sollicitation d'un de leurs oncles, Sedane Ag Hita, passé chez Ansar Dine, la branche malienne d'Aqmi : enlever des Occidentaux et les revendre immédiatement à Aqmi. Le nom de cet homme est également cité dans l'enlèvement et l'assassinat de nos deux confrères Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal, le 2 novembre 2013.
Problème : le jour du rapt à Hombori, ils oublieront une puce de téléphone dans l'hôtel. Ils seront arrêtés quelques jours plus tard à Bamako par les services maliens, et se verront accusés de terrorisme, d'association de malfaiteurs, de prise d'otages et de séquestration.
Pressions exercées sur les Etats sahéliens
Mohamed Ali ag Wadoussène refait par la suite parler de lui, au printemps dernier, lors de son évasion de la maison centrale d’arrêt de Bamako. Grâce à des complicités, il s'enfuit de la prison, tuant au passage un surveillant. Quelques jours plus tard, il est repris par les forces spéciales maliennes. Sa compagne sera abattue durant l'intervention.
Ce n'est pas la première fois que des jihadistes sont libérés en échange d'otages au Sahel.On se souvient de la libération de Pierre Camatte en 2010 contre quatre4 gros bonnets d'Aqmi dont un Algérien et un Mauritanien. Alger et Nouakchott trés fâchés avaient rappelé leur ambassadeur à Bamako.
Sur les reseaux sociaux ces dernieres heures les Maliens n'hesitent pas à désapprouver vigoureusement ces échanges de terroristes ou apprentis terroristes contre des otages. Ces pratiques sont dénoncées par les sociétés civiles africaines, qui accusent les pays occidentaux de faire pression sur des Etats saheliens, trop faibles pour refuser.
J’ai perdu une vingtaine de kilos, mais ça va.