Beaucoup auraient préféré qu’il se taise. Robert Dulas a choisi de se mettre à table. Pas pour balancer, pour évoquer…
Dans «Mort pour la françafrique» paru chez Stock, Robert Dulas évoque sa longue carrière d’homme de l’ombre brutalement interrompue le 12 mai 2011. Ce jour-là, son associé Pierre Marziali, cofondateur de la SECOPEX, l’une des toutes premières
sociétés militaires privées (SMP) françaises, est abattu d’une balle dans le dos à Benghazi. Robert Dulas, alias «bob», souvent présenté comme une barbouze à la réputation sulfureuse ne s’est jamais remis de la mort de son ami. Aidé de deux journalistes d’investigation, il livre aujourd’hui sa version des faits et surtout ses doutes. Officiellement, Pierre Marziali a été abattu au cours
d’un contrôle qui aurait mal tourné. Mais Robert Dulas révèle que son associé avait transmis, avant son départ pour la Libye, une note de renseignement aux autorités françaises. Son contenu est explosif. Alors que tout le monde applaudit à la mise en place d’un Conseil national de transition, lui alerte sur la présence au sein du nouveau pouvoir d’islamistes radicaux extrêmement dangereux et d’anciens khadafistes.
Ce livre vous vaut-il des ennuis?
Les Libyens ont déposé une plainte. Mais cela ne m’inquiète pas. Tout ce qui est dit dans le livre est prouvé. Avant de commencer l’écriture, j’ai déposé une partie des documents chez un avocat en Suisse et une autre chez un avocat en France pour que cessent les pressions visant à me faire taire. Ils avaient pour consigne de les envoyer aux médias s’il m’arrivait quelque chose. Je pense que d’autres personnes finiront par s’épancher sur ce qui s’est passé à Tripoli lorsqu’elles auront la certitude de ne plus être exposées à des représailles.
Vous êtes venu plusieurs fois en Suisse ces dernières années…
Oui, j’ai aidé les Touaregs du MNLA à nouer des contacts avec les autorités. J’avais ouvert une boîte aux lettres morte pour communiquer avec les services suisses. Mais cette initiative a déplu. La police m’a convoqué à Montpellier. Là, on m’a dit que je devais tout arrêter. J’ai été écarté.
Pourquoi?
J’avais proposé mes services pour aider à la libération du couple de Zurichois enlevé au Mali. Mais en haut lieu, on a considéré que je parasitais les négociations en cours. Pourtant, aujourd’hui encore, je suis sûr qu’avec les informations et les contacts que j’avais, ils auraient pu être libérés beaucoup plus rapidement.
Même vos détracteurs reconnaissant que vous être l’un de ceux qui connaissent le mieux la région du Sahel. Dites-nous un peu ce que vous pensez de l’opération menée au Mali pour venir à bout des groupes islamistes qui sèment la terreur.
C’est comme si on tapait le pied dans une flaque d’eau. Dans un premier temps, ça fait partir la flotte un peu partout mais quand tu enlèves le pied, elle revient au même endroit. L’intervention dans l’Azawad ne règle rien. Les gars se sont barrés un peu partout mais ils sont toujours là avec des bases de replis dans le Niger. Selon mes contacts sur place, des équipes d’AQMI et du Mujao seraient en train de descendre un peu plus bas sur le Mali, bien en dessous de l’Azawad.
Ces groupes disposent-ils encore de ressources?
Ils ont été affaiblis pendant un moment. Les revenus qu’ils tiraient du trafic de drogue ont baissé un peu mais ils ont toujours des aides financières qui proviennent des Emirats.
Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour rétablir la sécurité dans la région?
L’idéal serait de rétablir les unités méharistes, c’est-à-dire des unités composées de Touaregs, avec l’équipement adéquat. Les Touaregs ont la connaissance parfaite du désert et des indicateurs qui pourraient leur indiquer les endroits où se trouvent les groupes islamistes. Les drones pourraient venir ensuite en appui. Je pense que c’est en train de se mettre en place au sein de l’opération Barkhane, mais cela prendra du temps. Il n’y a pas d’autres solutions tant l’étendue est immense.
Quelle est la répartition entre vrais djihadistes et brigands?
La frontière est impalpable mais je dirais que les vrais fondamentalistes représentent 20%. Un Touareg m’a expliqué que son frère avait été embauché par AQMI. En fait, c’est le seul employeur de la région. Donc, sur place, c’est considéré comme quelque chose de tout à fait naturel et normal. AQMI aide les gens en leur apportant des vivres ou en les aidant à scolariser leurs enfants. La perception de cette organisation terroriste n’est pas la même qu’ici.
Des Touaregs du MNLA ont-ils été récupérés par les groupes radicaux?
Oui mais c’est plus une affaire de besoins que de convictions. Les gens disposent de cinq euros par mois pour faire vivre leur famille. Lorsque quelqu’un leur en propose quinze, ils le suivent. On ne peut pas leur jeter la pierre.
Parlons des Sociétés militaires privées (SMP) comme celle qui était la vôtre. Elles ont mauvaise réputation. Ici à Genève, l’ONU essaie de réglementer leurs activités. Qu’en pensez-vous?
J’y suis totalement favorable. Secopex était la seule société française à s’afficher officiellement en tant que SMP. Avec Pierre Marziali nous avions fait les démarches auprès de l’Assemblée nationale, du Ministère de la défense, du Ministère de l’intérieur et des Affaires étrangères pour que l’activité de ces sociétés soit encadrée. A plusieurs reprises, j’ai vu débarquer des gens avec des valises pleines d’argent. Ils nous demandaient de monter des opérations qui n’étaient pas très propres. Nous avons toujours refusé mais d’autres ne se sont pas embarrassés de scrupules. Et pour être bien clair, je considère que ces sociétés n’ont pas à s’exonérer des règles posées par le droit international lorsqu’elles opèrent sur le terrain. Je tiens tout de même à rappeler que c’est un énorme marché contrôlé essentiellement par des sociétés anglo-saxonnes.
A voir votre parcours, on peut s’interroger: la françafrique est-elle vraiment disparue?
Les méthodes ont changé mais la françafrique perdure. D’après moi, elle est loin de mourir. Certes, la France a beaucoup moins d’influence économique. Elle est moins visible. On voit plus de voitures japonaises que de Peugeot mais en dessous, les gros marchés se traitent toujours sans appel d’offres et la France est toujours favorisée. Chaque contrat donne lieu à des retours.
Les règles du jeu ont-elles changé?
Oui. Et c’est une bonne chose. On a vu jusqu’à quel point Blaise Compaoré a été soutenu. La France est juste un petit peu plus frileuse qu’autrefois. Aujourd’hui, c’est Denis Sassou-Nguesso (NDLR: président du Congo) qui craint d’être renversé. Il va sans doute venir à Paris pour prendre la température s’il n’est pas délogé entre-temps… Il y a un effet domino qui est amplifié par les réseaux sociaux. Au Burkina Faso, la couverture internet était faible mais elle a tout même permis de relayer les informations très vite dans tout le pays. Ce sont des guerres et des coups d’Etat d’un nouveau genre où l’ancienne puissance coloniale aura du mal à peser.
Vous n’ignorez pas que voter image est celle d’une barbouze, d’un aventurier. Vous reconnaissez-vous dans ce portrait?
Je préfère le qualificatif de diplomate souterrain. Toute ma vie, j’ai essayé d’ouvrir des portes à des rebelles qui portaient des valeurs proches des miennes. Si on entre dans le détail, c’est vrai que j’ai été parfois proche de chef d’Etats qui peuvent être considérés comme des dictateurs. Je pars du principe que lorsque tu vois passer un train dans lequel tout le monde est tourné vers l’avant, tu peux le laisser passer ou bien rentrer dedans en te tournant vers l’arrière. Avant le terminal, il est possible que dix ou quinze personnes se soient tournées avec toi dans l’autre sens.
Terminons avec une question un peu plus taboue. Votre appartenance à la franc-maçonnerie… A-t-elle joué un rôle dans votre parcours? Est-ce compatible de se réclamer de valeurs humanistes tout en côtoyant des dictateurs?
J’ai écrit qu’il était pour moi inconcevable et incompatible d’être à la fois chef d’Etat et grand maître d’une obédience. C’est pourtant souvent le cas en Afrique. Les grandes obédiences ont cette propension à mettre en place des opposants qui une fois au pouvoir nomment des francs-maçons à des postes importants. Ce n’est pas une bonne pratique mais je n’ai pas voulu me couper de la franc-maçonnerie pour autant. Elle est seulement un amplificateur. Le gars qui est bon va devenir meilleur. Celui qui est mauvais deviendra encore plus mauvais.
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