L'œil de la rédaction
Ce samedi 1er juin 2013, deux gardiens de la prison de Niamey ont été tués lors d'une tentative d'évasion par des détenus inculpés de terrorisme. Après le double attentat qui, jeudi 23 mai, visait l’armée nigérienne et la compagnie française Areva à Arlit, des groupes de "jihadistes” menacent désormais de "déplacer la guerre” du Mali au Niger. Qui sont ces groupes et leur menace est-elle plausible ?
Débris du véhicule utilisé pour un attentat suicide, 23 mai 2013 à Agadez, dans le nord du Niger
02.06.2013Par Anna RavixC’est Mokhtar Belmokhtar, que le gouvernement nigérien croyait mort, qui aurait "supervisé lui-même” les deux attentats suicide commis jeudi 23 mai 2013 au Niger. Son groupe, les "Signataires par le sang”, aurait mené ces attaques conjointement avec le Mouvement pour l’Unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (Mujao) et menacent désormais de "déplacer la guerre {au Niger} si ce pays ne retire pas ses troupes de mercenaires” au Mali.
Les Signataires par le sang ont précisé que ces attentats étaient leur "première réponse à une déclaration du président du Niger {Mahamadou Issoufou} inspirée de ses maîtres à Paris, affirmant que les jihadistes ont été écrasés militairement” dans la région. La situation est en réalité plus complexe qu’une victoire nette, comme le résumait le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, qui affirmait début mai : "Au Mali, nous avons gagné la guerre, reste à gagner la paix.”
"Il y a deux choses”, explique Jean-François Daguzan, le directeur-adjoint à la Fondation pour la recherche stratégique. "L’opération Serval a détruit les moyens lourds, une très grande partie de la force de combat de l’Aqmi, sa logistique, et ses bases de repli. C’est donc un très grand résultat, une opération exceptionnelle. Néanmoins, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un combat conventionnel, les survivants s’éparpillent, comme dans toute guérilla, et vont s’installer dans des endroits plus favorables comme l’immensité du Niger qui est à côté, ou le sud Libyen que Tripoli n’a pas les moyens de contrôler”.
Les Signataires par le sang ont précisé que ces attentats étaient leur "première réponse à une déclaration du président du Niger {Mahamadou Issoufou} inspirée de ses maîtres à Paris, affirmant que les jihadistes ont été écrasés militairement” dans la région. La situation est en réalité plus complexe qu’une victoire nette, comme le résumait le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, qui affirmait début mai : "Au Mali, nous avons gagné la guerre, reste à gagner la paix.”
"Il y a deux choses”, explique Jean-François Daguzan, le directeur-adjoint à la Fondation pour la recherche stratégique. "L’opération Serval a détruit les moyens lourds, une très grande partie de la force de combat de l’Aqmi, sa logistique, et ses bases de repli. C’est donc un très grand résultat, une opération exceptionnelle. Néanmoins, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un combat conventionnel, les survivants s’éparpillent, comme dans toute guérilla, et vont s’installer dans des endroits plus favorables comme l’immensité du Niger qui est à côté, ou le sud Libyen que Tripoli n’a pas les moyens de contrôler”.
La guerre continue
De fait, la guerre continue, mais elle s’est déplacée. Au sud libyen notamment, où de nombreux djihadistes chassés du Mali ont trouvé refuge. "Le sud de la Libye est ce que le nord du Mali était hier,” résume ainsi un conseiller de Diouncounda Traoré, le président malien par intérim, auprès de l’agence Reuters. On y trouve le même désert immense, délaissé par un Etat faible et régulièrement secoué par des violences ethniques.
Ce qu’on trouve en plus en Libye, ce sont des armes : depuis le renversement de Mouammar Kadhafi en 2011, la frontière libyenne a servi à écouler les armes et les munitions pillées dans les arsenaux de l’armée loyaliste. "La France paye en ce moment la note d’une opération en Libye qui a été menée sans anticiper sur les conséquences en matière de sécurité régionale,” estime Pascal Le Pautremat, géopolitologue auprès de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
"Aujourd’hui il y a un vrai problème de sanctuarisation de ces groupes, autour de la ville de Sebah, dans le sud libyen,” explique Richard Labévière, le rédacteur en chef d’Esprit Corsaire, un observatoire de la défense et de la sécurité, spécialiste de la région. "Ces différents groupes prennent refuge dans cinq camps principaux d'entrainement qui sont cadrés par des djihadistes qui viennent d'Egypte, du Yemen, voir du Pakistan.” Pour les autorités nigériennes, c’est là qu’ont été formés les quatre kamikazes responsables des deux attentats qui ont fait 25 morts au Niger jeudi 23 mai dernier.
Qui sont ces groupes armés ?
Qui sont ces groupes armés qui se diffusent dans le Nord du Mali, le Sud Libyen ou le Nord du Niger ? Pour Adamou Idé, célèbre écrivain nigérien, "ils n’ont rien de musulman. Le Jihad n’a rien à voir avec des pratiques de suicide ou d’attentat. Ils ont avancé la religion islamique pour justifier leurs actes, mais c’est un mensonge pur et simple pour s’emparer de l’espace sahélien pour leur commerce barbare”.
"Au départ, il y a effectivement deux logiques qui ne se rejoignent pas, explique Jean-François Daguzan Il y a celle des jihadistes issue du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), devenu Aqmi (Al-Quaïda Maghreb islamique), qui ont une approche morale du conflit et défendent un certain comportement. L’autre logique, c’est celle des trafics de cigarettes, de drogue, d’armes et d’hommes qui traversent la région. Tout ça s’imbrique dans un schéma assez traditionnel de mariages locaux et d’alliances claniques, si bien que si des jihadistes n’ont pas à proprement parler trempé dans ces trafics, ils peuvent les protéger et en toucher les dividendes.”
Mokthar Belmokthar, l’homme qui a revendiqué l’organisation du double attentat au Niger, "s’est imposé comme la synthèse des deux logiques : le Jihad, et le trafic,” explique J-F Daguzan. Surnommé "mister marlboro”, il a quitté Aqmi en 2012 pour fonder son mouvement : les "Signataires par le sang”. Il s’est allié au Mujao pour attaquer le Niger, un groupe qui est lui aussi sorti du giron d’Aqmi, même si Richard Labévière rappelle que "l’allégeance à Aqmi est de toute façon purement formelle, symbolique,” à l’instar de Pascal Le Pautremat qui parle d’une "franchise Al-Qaïda”.
Avant d’attaquer le Mali, le Mujao distribuait aux jeunes nigériens de la région du fleuve entre 100 et 150 dollars, ainsi qu’une arme à chaque nouvelle recrue. Une aubaine dans ce pays très pauvre classé parmi les "moins avancés”. Rentrés au Niger après l’opération Serval, ils constituent une menace intérieure pour le gouvernement nigérien. Les journaux locaux évoquent d’ailleurs la possibilité qu’ils aient aidé à la réalisation du double attentat commis jeudi 23 mai. Interrogé sur TV5 monde en février, le président nigérien Mahamadou Issoufou affirmait déjà que "la crise malienne constitue un problème de sécurité intérieur pour le Niger”.
A Niamey (photo AFP)
La question Touareg
Les attaques des "Jihadistes” trouvent aussi un écho dans les revendications des populations qui habitent le désert nigérien, comme les Touaregs. En effet, depuis les années 1990, ils se soulèvent contre les gouvernements de Bamako et de Niamey pour dénoncer leur mise à l’écart politique, mais aussi économique, car les ressources sont très mal distribuées. Des accords ont été votés, "mais ils ont systématiquement été violés” constate Richard Labévière.
Ce n’est pas l’avis d’Adamou Idé, qui estime que le Niger a su "proposer un cadre démocratique dans lequel tout le monde est intéressé, et nous vivons, tant bien que mal, la paix avec la population touareg”. Des élections communales et régionales ont en effet été organisées début 2011, à l'issue desquelles d’anciens rebelles ont été élus. Nommé la même année, le Premier ministre, Brigi Rafini, est un Touareg.
En paix relative avec le gouvernement nigérien, les Touaregs continuent de dénoncer une mauvaise redistribution des ressources engendrées par l’exploitation d’uranium, les mines exploitées par Areva près d’Arlit se trouvant justement sur leur territoire. De nombreux Touaregs y travaillent depuis l’installation du groupe français, il y a quarante ans, dans des conditions régulièrement dénoncées par les ONG.
La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) et l’ONG Sherpa ont mené des enquêtes sur place de 2003 à 2005 et ont prouvé l’existence d’une importante pollution radioactive des eaux : en zone urbaine, l’eau dépasse dix fois la norme admise. "Toutes les zones Touaregs sont contaminées, dénonce Pascal Le Pautremat. L’uranium a pollué toutes les sources et les gens meurent de cancer dans un silence odieux.” Révolté par ce "déni de la réalité humanitaire”, il précise que "le facteur sécuritaire n’est pas le seul à prendre en compte. La logique d’exploitation-confiscation menée par l’occident a contribué à faire de cette région une poudrière.”