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Pourquoi l'armée malienne ne parvient pas à combattre les TouaregsLa partition du Mali est chose faite: la chute de Kidal, Gao et Tombouctou en trois jours sera difficilement réversible, s’il ne faut compter que sur l’armée malienne, partie en débandade.
l'auteur Sabine Cessou
L’armée malienne, forte de 7.350 hommes, 33 blindés et 16 avions de combat, a déserté ses bases et littéralement fui face à l’avancée des rebelles touaregs, qui seraient entre 2.000 et 3.000 hommes selon les sources.
Des déroutes que le régime d’Amadou Toumani Touré a voulu faire passer pour des «replis stratégiques». Bel euphémisme. Plus franche, la nouvelle junte au pouvoir depuis le 22 mars admet avoir donné la consigne de «ne pas prolonger les combats», comme à Gao.
Cette ville importante de 90.000 habitants abritait l’état-major de l’armée malienne pour toute la région nord. Le bilan des morts et des soldats faits prisonniers reste imprécis. Seule certitude: deux bases aériennes sont tombées aux mains du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), à Tessalit et Gao. L’armée, qui draine 13 % du budget de l’Etat, a aussi perdu plusieurs blindés dans la bataille.
«Les Touaregs sont prêts à mourir pour la libération de l’Azawad, mais les soldats maliens ne sont pas prêts au même sacrifice pour défendre le Nord-Mali». C’est ce qu’affirme Moussa Ag Assarid, porte-parole du MNLA à Paris.
Le ralliement au MNLA du chef d’état-major adjoint de l’armée malienne, le colonel-major El Hadj Ag Gamou, un Touareg qui a changé de camp le 31 mars, lui donne raison.
«J’en appelle à l’ensemble des Azawadiens à rejoindre et renforcer le MNLA dans sa lutte pour l’indépendance, car il reste aujourd’hui la seule organisation capable de faire sortir notre peuple du gouffre dans lequel l’a entretenu le Mali depuis plus de 50 ans. Nous dénonçons la mauvaise gestion et la politique de l’autruche de l’Etat malien dans l’Azawad, et nous déclarons à tous notre démission de toutes ses instances.»
A Bamako, cette défection spectaculaire du seul officier de haut rang touareg n’a pas paru très surprenante: «Avant d’être Maliens, les Touaregs sont d’abord des Touaregs, solidaires entre eux et loyaux à leur communauté», affirme un diplomate africain à Bamako.
Entre 1,5 et 3 millions de Touaregs dans tout le Sahel
Difficile de dire combien les Touaregs sont au Nord-Mali, les chiffres émanant de diverses sources ne concordant pas. Ils seraient entre 1,5 et 3 millions dans tout le Sahel… Ils pourraient être beaucoup plus: jusqu’à 3 millions en Algérie, 1,5 million au Nord-Mali, 1 million en Libye et 200.000 au Burkina Faso, assure-t-on dans certaines ambassades.
Quoi qu’il en soit, seules quelques localités du Nord-Mali sont majoritairement peuplées de Touaregs, comme Kidal et Tessalit. A Gao et Tombouctou, ils ne représentent qu’une minorité.
Les ethnies songhaï et peules sont plus nombreuses, et les civils n’ont pas fui ces derniers jours, loin s’en faut. A Gao et Tombouctou, seule l’armée serait partie en débandade, face à l’avancée du MNLA, qui devrait stopper là sa progression. Pris de panique, des jeunes de Mopti auraient même demandé à l’armée de leur passer des armes pour qu’ils puissent défendre la ville, avant que les militaires ne décampent.
La troupe est démotivée depuis longtemps, face à la faiblesse de ses moyens, la corruption des gradés, la désorganisation des services logistiques, sans parler des dangers encourus dans le Nord ou de la politique louvoyante poursuivie ces dernières années face à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi).
Depuis 2003, ce groupe terroriste panafricain qui recrute des jeunes en Mauritanie, en Algérie, mais aussi au Mali et dans toute la sous-région, a fait du Nord-Mali un territoire où il règne en maître. Kidal, avant de tomber aux mains des rebelles et de Ansar Dine, était déjà considéré comme une zone de non droit et une place forte d’Aqmi.
L’armée malienne a vécu de nombreuses humiliations face à Aqmi, qui n’a été véritablement combattu que par l’armée mauritanienne. Cette dernière a pratiqué des incursions en territoire malien, au nom d’un droit de poursuite de convois suspects. Un droit de poursuite qui n’a jamais été réciproque, l’armée malienne n’ayant jamais poursuivi aucun terroriste en territoire mauritanien.
La donne est complexe dans le désert: les rebelles touaregs du MLNA disent ne pas poursuivre les mêmes objectifs qu’Aqmi. Ils ne se battent pas pour une République islamique de l’Azawad, mais pour la création d’un Etat laïc. Ils démentent avoir passé une alliance quelconque avec Aqmi, qui se serait tout de même battu à leurs côtés, de même qu’un autre groupuscule, Ansar Dine («les défenseurs de la religion» en arabe). Ce mouvement armé qui préconise la sharia a été fondé par un ancien chef rebelled, Iyad Ag Ghali. Un homme qu’Amadou Toumani Touré, le président destitué, avait commis l’erreur de nommer consul en Arabie Saoudite...
Le MNLA dispose d’armes lourdes
Pour compliquer le tout, des mercenaires mauritaniens et des membres de Boko Haram, une secte islamiste du Nigeria seraient venus renforcer Aqmi et le MNLA, tandis qu'une dissidence d’Aqmi est apparue ces derniers jours, sous le nom de Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao). Dirigée par des Maliens et des Mauritaniens, cette mouvance revendique sa participation à l’offensive et contrôle l’un des deux camps militaires de Gao.
Le MNLA dispose d’armes lourdes depuis le retour des ex-rebelles touaregs enrôlés par Kadhafi dans l’armée libyenne. Il pourrait très bien avoir passé une alliance tactique avec Aqmi, qui dispose aussi d’un petit arsenal, mais aussi et surtout de ressources plus durables que celles de la rébellion. Aqmi prélève en effet un droit de passage sur les cargaisons de drogue qui viennent par la route africaine d’Amérique latine, via le Mali, la Libye pour ensuite rejoindre l’Europe.
Le groupe terroriste touche aussi – dans une moindre mesure, «à hauteur de 30 % seulement de ses revenus substantiels, surtout tirés du trafic de drogue » selon une source diplomatique - des rançons payées cash en millions d’euros. Une somme faramineuse de 100 millions d’euros a notamment été demandée pour la libération de quatre otages français employés d’Areva, enlevés en septembre 2010 au Niger.
Des tractations sont toujours en cours. Aujourd’hui, douze otages sont entre les mains d’Aqmi, dont six Français. Ce qui rend une intervention de la France d’autant moins plausible au Mali qu’il n’y a pas d’accord de défense avec ce pays, et que le calendrier électoral français ne s’y prête pas.
Du côté américain, des forces spéciales sont bien présentes, à Tombouctou notamment, mais pour des programmes d’instruction dans la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélienne. Certains se demandent si les Etats-Unis pourraient intervenir, mais pas question pour Washington de le faire hors mandat des Nations unies, et plus du tout en Afrique depuis la cuisante débâcle de Restore Hope, une opération militaire lancée tambour battant en 1993 en Somalie, où elle avait échoué.
Seul geste fait par les Américains pour l’instant: des vivres ont été larguées par un de leurs avions militaires sur la piste d’atterrissage de la base de Tessalit, avant la chute de la ville.
Qu’attendre de l’Ecomog, les Casques blancs de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), jadis intervenus dans les guerres civiles du Libéria et de Sierra Leone?
A priori, pas grand chose. Alassane Ouattara, chef de l’Etat ivoirien et président en exercice de la Cédéao, a certes demandé à ce que 2.000 hommes soient mis «en alerte» en vue d’une intervention pour restaurer l’ordre constitutionnel – une mission qui s'est beaucoup transformée au cours du week-end, et qui va désormais consister à reprendre le Nord du Mali aux rebelles et aux islamistes. Une autre paire de manches...
L’Ecomog a perdu le 1er avril toute raison d’intervenir ailleurs qu'au Nord-Mali: Amadou Sanogo, le chef de la junte au pouvoir à Bamako, a accepté de rétablir la Constitution et les institutions et promis d’organiser des élections – sans donner de date et sans dire s'il allait participer ou pas. L’essentiel, à court terme, était d’éviter l’étranglement économique du pays, dont menaçait la Cédéao. Au Mali, où la réforme de l’armée est devenue une priorité nationale en pleine guerre civile, c’est une très longue crise qui s’installe.
Sabine Cessou
Lu sur Slate Afrique