lundi 12 mars 2012


Violents combats, crise humanitaire et impasse politique au Nord-Mali

LEMONDE.FR | 12.03.12 | 13h45   •  Mis à jour le 12.03.12 | 15h09

Dans le Sahara, les hostilités opposant depuis le 17 janvier la guérilla du MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) à l'armée malienne s'intensifient ces derniers jours. Parallèlement, une crise humanitaire, provoquée par ces affrontements et aggravée par la sécheresse, touche les pays voisins, confrontés à l'afflux de réfugiés.

  • Quels sont les objectifs du MNLA ?
Né le 29 octobre de la fusion de différents mouvements touaregs, le MNLA revendique l'auto-détermination de l'Azawad, région saharienne plus vaste que la France, formée des trois gouvernorats du Nord-Mali que sont Tombouctou, Gao et Kidal. Pour le MNLA, cette zone, peuplée de Touaregs, de Songhaïs, de Maures et de Peuls, présente des différences structurelles avec le reste du Mali, démographiquement dominé par les Bambaras.
De fait, dès 1963, soit trois années après l'indépendance du pays, des rébellions, essentiellement menées par des Touaregs, se multiplient dans la région, la dernière s'éteignant en 2008. Pour le chef du bureau politique du MNLA, Mahmoud Ag Aghaly, cité par Jeune Afrique"les populations du nord et du sud du Mali sont trop différentes pour composer un état ensemble, comme le Mali et le Sénégal n'étaient pas faits pour être un seul pays [dans le cadre de la Fédération du Mali, dissoute en 1960]. C'est pour ça que nous en appelons à la communauté internationale, afin qu'ils convainquent le Mali de nous donner notre indépendance."
Pour Soumeylou Boubèye Maiga, ministre des affaires étrangères malien,"l'Azawad ne repose sur aucune réalité ni géographique, ni historique, ni sociale, ni géopolitique". Pourtant, l'histoire mentionne un empire Songhaï, des empires Peuls, ainsi que des confédérations touarègues indépendantes jusqu'à la fin du XIXesiècle.
  • Comment évolue la situation militaire ?
Carte de situation
Carte de situationDR
Dans cette "guerre des sables" sans front fixe, menée par de petites unités hautement mobiles montées sur des pickups, il est difficile d'établir des bilans définitifs. Ainsi, le MNLA affirme régulièrement "libérer" des villes qu'il abandonne quelques jours plus tard, tandis que l'armée malienne tend à qualifier de "replis tactiques" des retraites en bonne et due forme. Si l'on en croit les communiqués contradictoires de part et d'autre, le conflit aurait déjà fait plusieurs centaines de victimes.
Le MNLA a montré sa capacité à frapper en tous points du territoire dont il revendique l'indépendance : depuis Léré, à l'Ouest, à la frontière mauritanienne, jusqu'à Andéramboukane, localité frontalière du Niger, à l'Est. Le MNLA a même monté des escarmouches dans la région de Ségou, au sud du pays. Depuis plusieurs jours, les affrontements se sont cristallisés au Nord, autour de la ville de Tessalit, à moins de 100 km de la frontière algérienne.
Tessalit fut l'une des premières villes "libérées" par le MNLA, mais le camp militaire voisin d'Amashash a longtemps résisté. Au terme d'un siège d'une semaine et de combats violents, les rebelles touaregs ont finalement réussi à prendre le contrôle de cette base, dimanche 11 mars. De son côté, l'armée affirme avoir opéré "un retrait stratégique".
  • La crise humanitaire
Tente d'une famille déplacée ayant fuit les combats dans la région de Léré.
Tente d'une famille déplacée ayant fuit les combats dans la région de Léré.Moussa Ag Assarid

Dans une région déjà fragilisée par une sécheresse récurrente et par l'envahissante présence de trafiquants de drogue et d'AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique), la situation guerrière qui prévaut depuis janvier précarise encore davantage les populations.
D'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, les réfugiés des derniers combats – essentiellement des Touaregs noirs - seraient près de 20 000 au Burkina Faso, 800 personnes supplémentaires franchissant chaque jour la frontière. On en dénombre également 30 000 au Niger, ce qui menace l'équilibre alimentaire du Nord-Niger, déjà en proie à la disette. Quelques milliers auraient également fui en Mauritanie et en Algérie.
A l'intérieur du Mali, 70 000 personnes déplacées souffrent d'un manque d'accès à l'eau potable (pour eux-mêmes) et à des pâturages (pour leurs troupeaux).
  • Terrorisme d'Etat ou du MNLA ?
Le conflit charrie son lot d'exactions. Médecins sans frontières a dénoncé le bombardement par hélicoptères, le 22 février, d'un campement de réfugiés près de Kidal, tuant une fillette et blessant neuf femmes et enfants. Pour Amnesty International"le gouvernement malien doit cesser de bombarder la population civile dans le nord du pays".
Plusieurs sites Internet de la communauté touareg évoquent des "mercenaires ukrainiens", particulièrement agressifs, utilisés par l'armée pour piloter ses hélicoptères. Un député de Kidal, qui a rejoint le MNLA, a dénoncé des brutalités et des arrestations abusives dans sa ville de la part de milices pro-Mali.
De son côté, le Mali pointe du doigt les événements du 24 janvier à Aguelhok. Selon une commission d'enquête, dans cette localité, plusieurs dizaines de soldats désarmés par le MNLA auraient été ligotés et exécutés d'une balle dans la nuque, marque de fabrique d'AQMI. Pour l'Etat malien cet événement prouve la sauvagerie des rebelles touaregs et leur alliance avec la franchise terroriste islamiste. Cependant, le MNLA dément ces accusions et récuse toute alliance avec Al-Qaida. Il affirme bien traiter ses prisonniers : le 29 février, trois d'entre eux ont été libérés et remis au Comité international de la Croix-Rouge.
Hommes du MNLA posant devant le drapeau de l'Azawad et un pick-up équipé d'un lanceur de missiles sol-air, issu des stocks militaires libyens.
Hommes du MNLA posant devant le drapeau de l'Azawad et un pick-up équipé d'un lanceur de missiles sol-air, issu des stocks militaires libyens.Moussa Ag Assarid
Selon Moussa Ag Assarid, président de la cellule Europe du MNLA et chargé de l'action humanitaire, qui est de retour de l'Azawad, "les photos des soi-disant cadavres d'Aguelhok qui ont circulé sur Internet et dans la presse malienne ont été identifiées : il s'agit de photos parues dans la presse nigériane il y a quelques années, suite à un massacre dans ce pays. Quant à Al-Qaida, j'en ai personnellement discuté avec un officier malien de gendarmerie, prisonnier du MNLA. Il m'a affirmé que des éléments d'AQMI venaient régulièrement seravitailler près de sa gendarmerie, mais qu'il avait reçu l'ordre de ne pas lesinquiéter. C'est l'Etat malien qui est complice des terroristes, pas le MNLA."
Une affirmation reprise par Mahmoud Ag Aghaly, qui ajoute : "Donnez-nous l'indépendance et vous verrez : ce sera la fin d'AQMI, des enlèvements d'Occidentaux et des trafics de drogue." Une vidéo mise en ligne sur YouTube le 20 février montre d'ailleurs des hommes du MNLA interpeller des passeurs de drogue lourdement armés.
  • Un contexte interne complexe
Véhicule de la Garde nationale malienne, conduit par un déserteur ayant rejoint le MNLA.
Véhicule de la Garde nationale malienne, conduit par un déserteur ayant rejoint le MNLA.Moussa Ag Assarid
Bien que Le MNLA soit généralement présenté par les autorités comme un résidu de déserteurs touaregs de l'ex-armée de Mouammar Kadhafi, la réalité paraît plus complexe. Certes, Mohammed Ag Najim, le chef d'état-major du MNLA, est un ancien officier de l'armée libyenne, qui commandait une unité basée à Sebha, spécialisée dans le combat en zone désertique.
De même, la plupart des armes lourdes en possession du MNLA semblent avoirété puisées dans les stocks libyens. Cependant, de nombreux cadres du MNLA ont d'autres parcours : vétérans des rébellions des années 1990 et 2006-2008 et, surtout, officiers touaregs de l'armée malienne passés à la dissidence, parfois avec hommes et matériel.
En face, les troupes maliennes déployées dans la région sont commandées par deux colonels-majors issus eux-mêmes de l'Azawad : le Maure AbderrahmaneOuld Meydou et le Touareg Elhaj Ag Gamou. Ce dernier est originaire du groupe des Imghad. Dans la société touarègue traditionnelle, les Imghad sont tributaires de la puissante fédération des Ifoghas, dont sont issus beaucoup de leaders du MNLA. En les combattant au nom de l'Etat malien, Elhaj Ag Gamou mène ainsi une guerre de revanche tribale.
Les troupes maliennes comptent également dans leurs rangs d'ex-militaires libyens, tel Mohamed Ag Bachir, ancien commandant de zone à Beni Walid, en Libye.
Dans le sud, la renaissance du conflit nordiste, radicalisé cette fois par une demande formelle d'indépendance, provoque un regain de nationalisme. La presse publie de nombreux éditoriaux dénonçant les "bandits armés" du MNLA, les traitant de "terroristes" et de "trafiquants de drogue", et enjoignant l'Etat de défendre le"Mali éternel".
La principale interrogation politique concerne l'organisation de l'élection présidentielle, dont le premier tour est prévu le 29 avril. Cette élection est importante car elle marquera la fin des deux mandats successifs de l'ex-généralAmadou Toumani Touré à la tête de l'Etat. Tous ses successeurs potentiels appellent à mater la rébellion et à restaurer l'autorité de l'Etat sur l'intégralité du territoire.
Dans ce contexte d'exacerbation nationaliste, de violents pogroms ont eu lieu à Bamako, la capitale, ainsi que dans d'autres villes du sud. Des foules ont pris à parti des établissements tenus par des "Blancs" d'origine touarègue ou arabe, y compris des Mauritaniens. Une vidéo circulant sur Internet et filmée à Kati montre une foule, hilare, piller longuement la clinique du docteur Elmehdy Ag Hamahady, un Touareg. Aucune présence des forces de sécurité n'est visible. Suite à ces événements, des centaines de familles touarègues et maures auraient quitté le sud.
  • Vers une internationalisation du conflit ?
L'actuelle explosion de violence de la poudrière saharienne, dans une zone infestée de djihadistes et de trafiquants de cocaïne sud-américaine, ne laisse pas indifférents les pays de la sous-région. Le Mali fait partie, avec l'Algérie, le Niger et la Mauritanie, du Comité d'Etat-major opérationnel conjoint (Cémoc), basé à Tamanrasset (Algérie), dont le but est de coordonner les efforts sécuritaires de ces pays face à Al-Qaida.
Les forces spéciales américaines sont également présentes dans la région, dans le cadre de la Trans-Sahara Counterterrorism Initiative, menée en partenariat avec les Etats de la zone saharo-sahélienne. D'ailleurs, le 3 mars, l'AFP signalait le largage de vivres et d'armes par un avion américain aux soldats assiégés dans le camp de Tessalit. Le 23 et 24 février s'est tenue à Abuja, au Nigéria, une rencontre des chefs d'état-major des armées des pays membres de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest), principal organisme de concertation régional. Ces derniers ont préconisé un soutien logistique et financier, ainsi qu'un renfort aux troupes maliennes. La forme exacte que prendra ce soutien n'a pas encore été définie.
Jusqu'à présent, jamais les armées de la CEDEAO ne sont intervenues dans un pays membre pour prendre part à un conflit. Quant à l'Algérie, puissance majeure de la zone saharienne et actrice dans la résolution des précédentes révoltes touarègues, elle déploie une importante activité diplomatique pour mettre fin au conflit. En consultation permanente avec ses voisins sahéliens (une réunion de diplomates s'est encore tenue à Alger le 26 février), elle tente d'attirer le MNLA à la table des négociations. Jusqu'à présent, ce dernier n'a pas donné suite, faisant de la reconnaissance du droit de l'Azawad à l'autodétermination un prérequis à toute discussion.
Les Européens campent sur une ligne prudente. Catherine Ashton, Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères, a déclaré vouloir"assurer la sécurité, la stabilité et la démocratie dans la région du Sahel, en plus de la promotion de la paix, de manière à garantir l'intégrité territoriale du Mali".
Quant à Alain Juppé, ministre français des affaires étrangères, présent à Bamako le 26 février, il a affirmé qu'il fallait "prendre la voie du dialogue politique aussi inclusif que possible", sous-entendant qu'il sera nécessaire pour le Mali de négocieravec le MNLA. Il a cependant insisté sur le fait que les "élections doivent avoir lieu à la date prévue et sur l'ensemble du pays, y compris au nord".
Cette incertitude diplomatique reflète le caractère disruptif de la guerre du MNLA, qui pose, après l'Erythrée, le Sud-Soudan ou le Somaliland, la question de l'intangibilité des frontières africaines héritées de la colonisation européenne.
Yidir Plantade

Lutte contre l’insécurité au Nord-Mali : Ganda-Izo revendique la mort de 6 combattants touaregs

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L'événement continue de faire jaser dans les milieux de ressortissants du Nord-Mali et ses contours dramatiques flous pourraient pour le moins contrarier les énormes efforts déployés pour prévenir la dégénérescence du phénomène MNLA en  dérive intercommunautaire. A peine circonscrite avec l'assassinat du chef coutumier de Hombori, la menace pourrait encore resurgir si les dispositions urgentes ne sont prises pour apaiser les colères.
De sources concordantes, en effet, un accrochage entre les éléments du Ganda-Izo, sous la direction de leur chef militaire, et des groupuscules touaregs s'est soldé, jeudi dernier, par plusieurs victimes. Selon d'autres sources, ledit affrontement armé, qui s'est déroulé dans les environs d'un campement de Tessit, localité située dans le Cercle d'Ansongo, aurait fait deux (2) morts et un prisonnier remis aux autorités régionales, avant-hier samedi, par les soins du chef des opérations de patrouille, en l'occurrence le fondateur de Gand-Izo. Interrogé par nos soins au téléphone, Amadou Diallo revendique quant à lui la mort de pas moins de six (6) éléments armés lors d'une expédition de patrouille contre des assaillants. « Nous avons eu écho d'une attaque perpétrée par des éléments armés contre les populations et leurs biens dans la zone et sommes partis à leur recherche lorsque soudain nous avons essuyé des tirs de la part des fugitifs », a ainsi confié M. Amadou Diallo, cet élément dela Garde Nationaleayant naguère rompu les rangs de l'armée nationale au profit d'une cause communautaire. Le combattant peuhl - qui compte à son actif le tragique épisode de Fafa où des individus de la communauté touarègue avaient été sommairement exécutés il y a deux ans - a reconnu par ailleurs avoir personnellement remis un (1) prisonnier aux autorités régionales en plus d'armes et des munitions retrouvées sur les assaillants à la suite de la patrouille. Il faut dire qu'après le drame de Fafa, Amadou Diallo, chef incontesté de l'aile militaire de Ganda-Izo, a connu une longue arrestation avant d'être libéré dans des conditions floues. Il n'a repris du service qu'avec le phénomène du MNLA et la résurgence de l'insécurité contre laquelle l'armée malienne a de plus en plus recours aux milices communautaires en guise de forces d'appui dans sa mission de défense de l'intégrité territoriale. La zone d'intervention du mouvement Ganda-Izo n'est autre que le Gourma où l'on estime à quatre centaines environ le nombre de combattants regroupés dans la foulée de la recrudescence des velléités sécessionnistes au septentrion - et dont la présence avait même en son temps suscité de grandes inquiétudes chez les éleveurs peuhl qui craignaient le sort de leur bétail.
C'est en vertu donc de sa casquette nouvelle que le chef de Ganda-Izo, habilité désormais à opérer en toute légalité sur le terrain avec la caution et l'accompagnement  des forces armées et de sécurité, s'est aventuré dans la zone de Tessit où ses résultats sont considérés comme si suspecte dans certains milieux touaregs. Se référant en effet au fâcheux antécédent de Fafa, certains se disent persuadés que l'exploit du jeudi dernier porte les marques d'une expédition punitive contre de paisibles sur fond de règlement de compte. Et comme pour donner du crédit à leurs soupçons, il nous revient que le bruit avait couru quelques jours auparavant que la demeure d'Amadou Diallo à Gao était l'objet d'une tentative d'assaut par des suspects de la communauté touarègue.
Quoi qu'il en soit, la mort des six (6) individus que revendique Ganda-Izo fait actuellement autant de bruit que de malaise dans les milieux de ressortissants du  Nord-Mali au regard des connotations communautaires que l'épisode est susceptible de conférer au combat contre l'insécurité dans le septentrion malien. Face au risque d'embrasement manifestement latent, les leaders et notabilités touaregs sont en train de faire des pieds et des mains pour canaliser leurs communautés très remontées contre ce qu'elles considèrent comme une expédition punitive de Ganda-Izo contre des innocents expressément pris pour cible. L'épisode intervient manifestement comme un cheveu dans la soupe et à contre courant des laborieux efforts que déploie le collectif des ressortissants des régions du Nord-Mali pour éviter la dégénérescence du phénomène du MNLA en dérive intercommunautaire beaucoup difficile à surmonter. Avec l'assassinat du chef de village de Hombori, il y a seulement un mois environ, des inquiétudes étaient manifestées dans ce sens. Il y a donc lieu de prendre les mesures adéquates pour ne pas tomber dans une série de vendetta entre communautés.
A. Keïta
http://www.bamanet.net/index.php/actualite/autres-presses/17280-lutte-contre-linsecurite-au-nord-mali--ganda-izo-revendique-la-mort-de-6-combattants-touaregs.html

"La nouvelle géopolitique post-Kadhafi explique les problèmes actuels" au Mali

LEMONDE.FR | 12.03.12 | 13h46

Historien spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan est universitaire (ancien enseignant à l'Université nationale du Rwanda et à l'université Lyon-III, et directeur de séminaire à l'École de guerre). Auteur de nombreux ouvrages (notamment uneHistoire de l'Afrique des origines à nos jours), il anime sur Internet la revue L'Afrique réelle et le site www.bernard-lugan.com.

Guerre ouverte entre Touaregs et Etat malien, affrontements sanglants entre Toubous et Arabes à la frontière tchado-libyenne... Quels facteurs expliquent cet embrasement de l'arc saharo-sahélien ?
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La crise régionale actuelle a plusieurs origines. A la base de tout, se trouve le fait que l'espace sahélo-saharien, monde de contacts ouvert, a été cloisonné par des frontières coloniales artificielles qui forcent à vivre ensemble des pasteurs vivant au nord et des agriculteurs sédentaires vivant au sud.
Ensuite, depuis une décennie environ, la région est devenue un relais pour les organisations mafieuses, 15 % de la production mondiale de cocaïne transitant ainsi par le Sahara. Parallèlement, des organisations terroristes islamistes s'y sont installées, profitant de la porosité des frontières. Trafiquants et terroristes transnationaux utilisent les anciennes structures précoloniales de circulation nord-sud. Enfin, la région est devenue une terre à prendre, ses matières premières (uranium, fer, pétrole, etc.) y attirant de nouveaux acteurs comme la Chine ou l'Inde.
Tout ceci fait que la région est hautement crisogène, un phénomène aggravé en raison de la proximité de trois autres foyers de déstabilisation, respectivement situés dans le nord du Nigeria avec la secte fondamentaliste Boko Haram, dans la région du Sahara nord occidental avec Aqmi, et dans la zone des confins algéro-maroco-mauritaniens avec le Polisario. Dans ce contexte, la disparition de l'Etat libyen donne aux mouvements irrédentistes, aux trafiquants et aux terroristes, des opportunités exceptionnelles.
La chute du régime du colonel Kadhafi serait donc un élément déclencheur des actuels conflits au Sahara ?
La nouvelle géopolitique sahélienne post-Kadhafi est la clé d'explication des problèmes actuels. Le colonel Kadhafi avait en effet réussi, au prix d'une dictature sévère, à imposer la stabilité intérieure dans un pays mosaïque aujourd'hui menacé de fragmentation. La Libye unitaire n'existant plus, le danger est de voir apparaîtreune situation de guerres tribales et claniques comme en Somalie, avec toutes les conséquences régionales prévisibles.
Les observateurs n'ont pas compris que le sens profond de la politique saharo-sahélienne conduite par le colonel Kadhafi s'expliquait par ses origines. Sa tribu, les Khadafa ou Gueddafa, dont le cœur est la ville de Sabha, est certes numériquement peu importante, avec ses 150 000 membres, cependant, elle occupe un espace stratégique à la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, mais d'abord à la verticale reliant la méditerranée au cœur du Sahara, de Syrte à Mourzouk. Cette tribu chamelière engagée dans le commerce à longue distance était traditionnellement en relation avec les Toubou et les Touaregs, ce qui explique les alliances du régime Kadhafi et son attirance pour le sud saharien et sahélien.
Comme le colonel Kadhafi déstabilisait et contrôlait tout à la fois une vaste partie de la sous-région, le bouleversement politique libyen, amplifié par la recomposition maghrébine, a créé une nouvelle définition géopolitique régionale. D'autant plus que les armes dérobées dans les arsenaux libyens (missiles Sam, etc.) vont irriguer de vieux conflits (Nord-Tchad, touareg, Darfour, etc.) et que les combattants sahariens de la Légion verte, créée par le colonel Kadhafi dans les années 1980, sont prêts pour bien des aventures.
AQMI a de son côté étendu sa zone d'action dans le nord du Mali, dans la région du massif du Timétrine au nord ouest de l'Adrar des Iforas, région qui fut le bastion de la rébellion touareg contre le gouvernement malien dans les années 1990. Et enfin, les milliers de kilomètres de frontière commune entre la Libye et le Tchad ne sont plus contrôlés.
Les Touaregs semblent en rébellion quasi-continue au Mali depuis 1963. Quelles sont les raisons historiques de ces hostilités ?
Le réveil de l'irrédentisme touareg est une donnée régionale importante avec l'apparition du MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawag). Les Touaregs ou Imazighen, sont des Berbères nomades. Relativement homogène au Nord, notamment en Algérie et en Libye, le peuplement touareg s'est peu à peu dilué parmi la population des agriculteurs noirs ou des nomades peuls de la région sahélienne.
Dans les années qui précédèrent l'indépendance, les chefs touaregs réunis à Kidal demandèrent à la France de ne pas les rattacher aux futurs Etats qui allaient êtreethno-mathématiquement dirigés par les Noirs sudistes dont, compte tenu de l'histoire ancienne, ils se méfiaient. En vain. La première rébellion touarègue éclata en 1962-1963 dans l'Adrar des Iforas au Mali. Elle s'éteignit à la suite d'une impitoyable répression menée le régime du président Modibo Keita, mais également en raison de la sécheresse des années 1970, qui poussa les Touaregs vers les camps de réfugiés installés en Libye et en Algérie.
Ensuite, leurs axes de transhumance ayant été barrés par des frontières dont le tracé avait été décidé sans eux, les Touaregs furent clochardisés quand, pour lescontrôler, les Etats issus de la décolonisation les sédentarisèrent. Ceci explique pourquoi les hostilités ne cessèrent jamais tout à fait et également pourquoi les Touaregs furent sensibles au projet porté par le colonel Kadhafi de création d'un"Etat" saharien.
En quoi le conflit actuel diffère-t-il des précédents ?
Le 17 janvier 2012, des insurgés touaregs lancèrent une offensive contre les forces armées maliennes à Menaka et dans la région de Kidal. Or, il ne s'agissait pas là d'une simple résurgence d'un conflit latent, mais au contraire d'une nouvelle forme de revendication. A la différence des précédents mouvements, qui visaient officiellement à une plus grande intégration des Touaregs au sein de la société malienne et à de plus grands efforts de la part de Bamako dans la lutte contre la pauvreté, aujourd'hui, les insurgés ne revendiquent pas le développement, mais l'autodétermination et l'indépendance. Ils ne parlent plus de rébellion, mais de"mouvement révolutionnaire" destiné à "libérer le peuple de l'Azawag de l'occupation malienne".
Le chef opérationnel du MNLA, Mohammed Ag Najem, est membre de la tribu des Iforas. Colonel de l'armée libyenne, il commandait une unité spécialisée dans le combat en zone désertique et qui était casernée à Sebha. Il a quitté la Libye avec armes et bagages quelques jours avant le lynchage du colonel Kadhafi par des miliciens de Misrata. Son groupe dispose d'un matériel de pointe, y compris des missiles sol-air. Pour le moment, les armes puisées dans les arsenaux libyens suffisent aux rebelles, mais il leur sera difficile de mener une guerre longue.
Le Mali affirme que le MNLA a fait alliance avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Le MNLA dément. Qu'en est-il réellement ?
Le problème est que la rébellion touareg, qui a perdu son protecteur libyen, va nécessairement devoir chercher d'autres soutiens. AQMI pourra-t-il en profiter ? La réponse à cette question est complexe. Une chose est sûre : s'il n'y avait pas AQMI, les Occidentaux se désintéresseraient de ce qui se passe au Mali. La carte AQMI est donc la seule dont disposent les Maliens pour tenter de les faires'engager à leurs côtés, et c'est pourquoi ils affirment que les insurgés ont des liens directs avec les fondamentalistes musulmans.
Le MNLA dit au contraire haut et fort qu'étant un mouvement berbère, il est le meilleur rempart contre ces derniers. En 2006, les Touaregs alors en révolte s'étaient d'ailleurs durement accrochés avec le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), ancêtre d'AQMI.
Certes, mais quelques Touaregs semblent avoir constitué un petit commando local jihadiste à la fin de l'année 2011 et, selon certaines informations, ce dernier aurait participé à l'une des attaques du mois de janvier 2012 au côté du MNLA. L'information a été aussitôt fortement démentie par ce dernier, qui y voit une tentative d'intoxication de Bamako. Si le risque de porosité n'est pas exclu, une alliance AQMI-MNLA est difficile à envisager, du moins tant que les rebelles touaregs ne sont pas acculés a l'accepter.
Yidir Plantade