La mort de Oussama ben Laden est un événement bienvenu. Il l’est pour les Etats-Unis et pour tous ceux qui considéraient qu’en matière de lutte contre le terrorisme, il était bon d’être à l’unisson de l’Amérique. Dix ans après les attaques du 11 septembre, la mort de Ben Laden est d’abord un événement d’une portée symbolique considérable. En témoigne le fait que les Américains soient spontanément descendus dans la rue pour célébrer la fin de celui qui, depuis l’année 2001, personnifiait le terrorisme et son mot d’ordre: «Tuer des Juifs et des Croisés».
Sans doute le Vatican est-il dans son rôle lorsqu’il proclame que la mort ne doit pas donner lieu à des réjouissances. Il n’empêche: la mort du tyran, sous toutes les latitudes, ou la mort du chef d’une guerre aussi impitoyable que celle qui a été déclenchée par et au nom d’al-Qaida et de son leader, ne peut pas ne pas être ressentie, par celles et ceux qui en étaient la cible, tout simplement comme une victoire.
Pour Barack Obama en particulier, la mort de ben Laden et les conditions de celle-ci -une opération commando de la marine américaine- sont aussi doublement positive. En premier lieu, voilà un président qui était hier encore taxé d’hésitations, coupable aux yeux de beaucoup de passer trop de temps à peser et à soupeser les décisions et laissant une impression de flottement permanent, qu’a d’ailleurs illustré l’épisode libyen contrastant avec la fermeté franco-britannique. Il est donc en droit désormais de faire valoir qu’il s’occupait de l’essentiel. En tous cas, d’un sujet plus important et plus sérieux aux yeux des Etats-Unis, celui du terrorisme d’al-Qaida. Et dans ce domaine il pourra faire valoir une obstination et une détermination qui lui étaient jusqu’à présent refusées. De ce point de vue, le fait que ben Laden n’ait pas été fait prisonnier, mais ait été éliminé, et que son corps ait été aussitôt enseveli en mer peut paraître la marque d’une brutalité propre à la guerre, mais qui est aussi de nature à corriger l’image d’un président décrit comme trop faible par ses adversaires.
En second lieu, la disparition de Ben Laden ouvre la voie, d’une certaine façon, à un retrait possible d’Afghanistan. Après tout, c’est la traque de Ben Laden qui avait été l’un des motifs de l’intervention elle-même dans ce pays. Sa disparition devrait faciliter un jeu plus ouvert au sein de la mouvance des Talibans. Les discussions avec une fraction de celle-ci, comme cela est souhaité notamment par le président afghan Amin Karzaï, devraient en être facilitées.
Bien sûr les problèmes demeurent. Et la mort du chef ne signifie pas la disparition d’un mouvement qui est, par nature, horizontal, qui a essaimé dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique et dont le numéro 2, l’Egyptien al-Zawahiri était en fait depuis quelque temps déjà le chef opérationnel. Et l’on ne peut pas savoir si l’onde de choc de cette mort conduira ou non à un regain de violence ou à son contraire. Constatons simplement qu’en 10 ans, le bilan de Ben Laden, passé le «succès» de l’attaque contre les tours du World Trade Center, est à des années lumières de ce qui était recherché. Aucun régime d’aucun pays arabe n’a été abattu par al-Qaida, même si ses combattants, grâce à la jonction faite avec les Talibans, ont progressivement refait surface en Afghanistan, aucun djihad de masse n’a été déclenché. Si bien que l’activité des divers al-Qaida a été en fait cantonnée à des attentats, meurtriers et spectaculaires certes (en Indonésie en Grande-Bretagne, en Espagne, au Maroc) mais sporadiques.
Alors qu’il était question dans l’esprit de ben Laden et de ses acolytes de déclencher une levée en masse sur une base idéologique consistant à combattre, dans le monde arabo-musulman, les réalités ou les tentations démocratiques pour leur substituer un vaste Califat. Nous étions bien dans une intention de guerre des civilisations.
C’est là que se produit, pour tous les démocrates, une conjonction heureuse: celle qui combine aujourd’hui les révolutions arabes et la mort de ben Laden. Nous vivons en effet aujourd’hui très largement une situation née du 11 septembre 2001. Celle-ci a provoqué en effet dans nos pays une assimilation terrible entre Islam et terreur.
Bien sûr, on avait beau expliquer qu’al-Qaida combattait d’abord ceux des Musulmans qui aspiraient à la démocratie; il n’empêche: l’amalgame a été rapidement fait entre les fondamentalistes radicaux et combattants et l’Islam tout court. On peut donc considérer qu’une part non négligeable de la vague populiste, qui s’est installée aux Etats-Unis et désormais en Europe, doit beaucoup à l’islamophobie, laquelle doit beaucoup au 11 septembre et à la façon dont on a parlé des suites de ce 11 septembre.
C’est le politologue Dominique Reynié qui, dans son livre consacré au populisme, montre bien qu’après le 11 septembre, les élites, c’est-à-dire aujourd’hui les médias, se sont mises à parler de l’Islam et des islamistes de façon simplificatrice et caricaturale; elles ont ainsi facilité l’amalgame. Dix ans après, éclatent les révolutions arabes qui sont, du moins faut-il l’espérer de toutes nos forces, porteuses, si elles réussissent, d’un message simple: en terre musulmane, la première aspiration des femmes et des hommes est celle de la liberté, des libertés. Notre réflexe doit donc être celui de la solidarité et non plus de la peur.
C’est dans ce contexte d’ailleurs que l’intervention franco-britannique en Libye peut prendre sa signification historique: des pays «occidentaux» interviennent dans un pays arabe et suscitent, non pas des protestations, mais des encouragements d’une opinion arabe. On ne peut donc être plus éloigné de la guerre de civilisation que souhaitait engager ben Laden et qu’un certain nombre de penseurs occidentaux ont cru bon, à leur tour, de valider.
L’élimination de den Laden est donc, dans ce contexte, l’élément symbolique fort qui devrait nous permettre de clore une période de 10 ans, qui a eu pour conséquence, dans nos pays, la montée des divisions et des discriminations à l’endroit de celles et ceux qui se réclament de la religion musulmane.
Bien sûr, il faudra du temps pour que, dans les esprits, les caricatures s’effacent. Bien sûr, al-Qaida n’a pas disparu et comme le rapporte Françoise Chipaux à la traque de Ben Laden va succéder la traque contre les différents al-Qaida. Mais il n’empêche: aussi sûrement que le 11 septembre a été une date historique majeure, la mort de Ben Laden marque une victoire pour celles et ceux qui voulaient éviter que le terrorisme l’emporte.
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Jean-Marie Colombani
www.slate.fr/story/37683/ben-laden-victoire-guerre-civilisations*