Arlit, la cité minière : une ville pleine de contrastes
Société
Samedi 11 Septembre 2010 16:53
L’exploitation de l’uranium dans le désert nigérien depuis une quarantaine d’années n’a pas seulement permis le développement de l’industrie nucléaire en France. L’activité minière dans les deux mines de la Somaïr et de la Cominak, qui ont pendant longtemps fourni l'essentiel de l'uranium utilisé en France comme combustible dans les centrales de production d'électricité et des armes nucléaires, a été aussi à l’origine de la création d’Arlit. Une ville dont les contrastes surprennent plus d’un. Arlit est l’exemple type d’une ville minière. La ville, devenue aujourd’hui la commune urbaine d’Arlit, s’est en effet développée à la suite de la découverte, dans cette partie du nord Niger, des gisements d’uranium qui seront exploités à partir de 1969 par la société Société des Mines de l’Aïr (SOMAÏR), puis la Compagnie Minière d’Akouta (COMINAK) en 1978.
La commune urbaine d’Arlit, qui compte une population estimée à 83.227 habitants sur la base du dernier recensement effectué en 2001, est située dans le désert du Sahara à 1150 km de Niamey. Deux parties composent cette ville. Le camp de la cité d’Akokan qui abrite les ouvriers et les cadres de la société Cominak distant de 6 kilomètres de celui de la Somaïr abritant les agents de cette société du même nom. A ces deux camps, se sont juxtaposées des habitations qui forment la partie induite de la ville. Dans son ensemble, la ville présente un double aspect : en même temps qu’elle est l’illustration d’une ville minière, Arlit offre l’image contrastée des villes africaines. Le contraste est d’abord remarquable au niveau des habitations. Que ce soit entre les habitations des camps même, ou entre celles des camps et de la partie induite.
Dans les camps où sont logés les agents des sociétés, la différence est remarquable entre les habitations en congloméra du genre HLM des ouvriers et celles des cadres qui vivent dans des villas cossues, les unes plus belles que les autres. A la cité Akokan par exemple, les villas ceinturées par des arbres créent un environnement qui fait oublier parfois la rigueur du milieu désertique. Dans l’ensemble, ces cités constituent un cadre de vie assez luxueux et attrayant. Infrastructures scolaires, hôpitaux, restaurants, bars, esplanades pour les concerts, tout ce qu’il faut pour rendre les soirées agréables pour ceux qui en ont le temps. Le temps est en effet très précieux ici. Même s’ils le souhaitaient, les agents de ces sociétés minières ne pourraient pas tous se retrouver sur les pistes de danse du ‘’Cercle des cadres’’ et se trémousser au son de la musique de Guez Band, l’orchestre de la Cominak. Au moment où certains ouvriers descendent le soir, d’autres doivent les relever. Les usines doivent continuer à tourner. C’est à ce prix que les centrales qui produisent l’énergie électrique en France et l’industrie nucléaire fonctionnent.
La vie des agents des sociétés minières est réglée suivant le rythme des usines. Adam, un jeune ouvrier qui vient d’intégrer la Somaïr, s’habitue à ce rythme. Son père, un ancien ouvrier de la même société, avait lui aussi suivi le même rythme pendant près de 20 ans avant de prendre sa retraite et de s’installer dans la partie induite de la ville. Aujourd’hui, c’est le fils qui réside dans le camp des ouvriers de la Somaïr. Mais, comme le fait remarquer le jeune homme, le camp dont les maisons ont vieilli ne présente plus le même confort qu’au moment où il y vivait avec ses parents.
Mais le contraste et le paradoxe sont beaucoup plus saisissants quand on compare l’environnement et l’ambiance des cités des agents des sociétés minières avec la situation de la partie induite de la ville. C’est cette partie de la ville que l’on découvre d’abord en se rentrant à Arlit. Ici, le voyageur qui découvre Arlit pour la première fois risque la surprise. Cette partie de la ville offre en effet un visage qui contraste énormément avec la renommée d’Arlit qui lui a valu le surnom de ‘’petit Paris’’. Un nom qui ne seyait peut être à la ville qu’à une autre époque, celle d’avant le développement qu’a connu aujourd’hui cette agglomération. Quoi qu’il en soit, le décor de cette ville induite n’est pas plus beau que celui des autres chefs-lieux de département du Niger. La formation de cette partie de la ville remonte au début de l’exploitation minière, en 1969. A côté de la cité des agents de la Somaïr, faite de maisons uniformes, ont poussé au fil du temps les habitations hétéroclites des gens attirés par l’espoir d’une vie meilleure. C’est quasiment le même décor à Akokan, le camp des agents de la Cominak. Ici également, la population a afflué à l’ouverture de la mine à partir de 1978. Les cases ou ‘’Boukoki’’ et les autres maisons en banco ont poussé aux alentours du camp.
A l’opposé des travailleurs des mines qui ont un revenu acceptable et vivent dans un certain confort, ainsi que des agents de l’Etat, la grande partie de la population d’Arlit vit dans l’extrême pauvreté. Cette population, dont la grande partie n’a pas de véritable activité, vit en effet dans des taudis. En dehors de ceux qui exercent dans le commerce, et des rares personnes qui ont réussi dans l’entreprenariat, la plus importante partie de cette population, qui espérait trouver un Eldorado dans la ville d’Arlit, vit d’activités de subsistance. Les uns sont employés comme domestiques chez les travailleurs des mines. D’autres, les plus chanceux, arrivent à trouver un emploi temporaire dans les entreprises locales.
Le décor, en ce qui concerne les ruelles de la ville, est presque partout le même. Aucune voie bitumée dans la ville. Même les deux cités minières ne sont reliées que par une piste. Que ce soit dans la cité Akokan, de la Somaïr ou dans le reste de la ville, l’on vit et circule dans la poussière rouge que soulèvent les véhicules. Cette image de la cité minière a surpris, voire déçu, plus d’un visiteur. ‘’En 2009, quand je découvrais Arlit pour la première fois, j’ai été découragé dès l’entrée de la ville’’, raconte Oumarou, un jeune fonctionnaire affecté dans un service de cette cité minière dont il avait tellement entendu parler depuis son enfance. La réalité d’Arlit, telle qu’il l’a découverte, n’a pas laissé indifférent le préfet du département qui ne cache pas aussi sa surprise. ‘’De petit Paris, il n’en est rien. J’étais dépassé de trouver la préfecture sans clôture, la ville sans tribune officielle ni hôtel digne de ce nom’’, indique le Capitaine Seydou Oumarou. Un problème auquel l’officier et l’administrateur délégué d’Arlit ont rapidement trouvé de solution en faisant construire un mur de clôture pour la préfecture, une tribune officielle en lieu et place du hangar qui en faisait office.
‘’Pas d’antagonisme, pas de progrès’’
Cette situation d’Arlit constitue le repoussoir de la société civile locale. Cette structure qui a vu le jour il y a une dizaine d’années, et qui regroupe des ONG, des syndicats et des associations, s’est donné pour objectif la défense des intérêts des populations d’Arlit, face aux sociétés qui mènent des activités dans le département. ‘’Désormais, nous entendons amener toutes les sociétés qui vont mener des activités ici à prendre en compte les questions environnementales et de développement’’, explique le secrétaire général de la coordination de la société civile d’Arlit, M. Mamar Illatou. ‘’Rien n’a été fait pour le développement. Il n’y a que des actions timides, alors que les sociétés minières exploitent l’uranium dans cette partie du Niger, depuis une quarantaine d’années. Pendant ce temps, les populations vivent dans la pauvreté et subissent les effets de la radioactivité. Tous les projets de développement qu’initient l’Etat sont orientés vers d’autres zones, car on pense qu’il n’ y a pas de problèmes ici du fait de la présence de ces sociétés minières’’, s’indigne M. Abadramane Maoli, enseignant et coordinateur adjoint de la société civile d’Arlit. L’évolution rapide et positive de la situation d’Arlit suite aux actions vigoureuses de la société civile locale conforte bien la thèse de Karl Marx qui soutenait que ‘’l’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre. Le problème ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà’’. Entre 2001 et 2003, la coordination de la société civile d’Arlit va organiser des marches et des meetings dans la ville. De ces antagonismes va résulter l’établissement d’un partenariat avec les responsables des sociétés minières pour lesquels la société civile locale est devenue désormais un interlocuteur privilégié. Pour formaliser ce partenariat, un cadre, le comité bilatéral d’orientation a été créé. C’est au sein de ce cadre, présidé par le préfet, et où siègent le maire de la commune urbaine d’Arlit, la société civile, les représentants des services déconcentrés de l’Etat et de la structure mutualisée d’Areva, que les discussions sur les programmes à financer en direction des communes du département ont été menées. Pour financer les réalisations retenues, les sociétés minières d’Areva ont mutualisé leurs moyens et constitué un budget, ce qui a permis la création d’un département ‘’développement durable et intégration dans les territoires’’. Mais pour M. Ahadjira Salifou, responsable en charge de ce volet, ‘’les sociétés minières ont toujours répondu aux sollicitations des populations’’. Sur la base des conventions établies au sein de ce cadre, les communes des départements d’Arlit ont reçu en appui au projet de développement local trois cents millions (300 000 000) de FCFA en 2006, quatre cent cinquante millions (450 000 000) en 2007 et, en 2008 et 2009, des financements de cinq cents millions (500 000 000) de francs CFA. Ces financements, précise M. Ahadjira Salifou, s’inscrivent dans la ligne de la Stratégie de réduction de la pauvreté. D’autres structures d’Areva, basées en France, financent également des projets qui leur sont soumis, explique-t-il. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les appuis de la fondation Areva à la bibliothèque de la commune urbaine d’Arlit pour un montant de cent soixante dix-huit millions (178 000 000) de FCFA, l’électrification de quatre quartiers d’Arlit et d’Akokan pour un montant de cent soixante quatre millions (164 000 000) de FCFA, un appui pour la mise en place des structure de micro finance pour un montant de quarante-quatre millions (44 000 000) de FCFA, des bourses d’études en partenariat avec des écoles nigériennes, des appuis dans le domaine de la santé et de l’assainissement. Au total, le fonds d’appui à l’initiative local a contribué, entre 2006 et 2008, au financement des infrastructures scolaires et sanitaires et leur équipement en matériel et en médicaments, ainsi qu’à un soutien aux activités génératrices de revenus, au sport et à la culture, pour un montant total de un milliard deux cents millions (1 200 000 000) de francs CFA.
Le financement qui fait l’actualité au mois d’août dernier est celui des travaux de bitumage sur près de 13 kilomètres dans la ville d’Arlit pour un montant de deux milliards neuf - cents millions (2 900 000 000) de francs CFA. Ces travaux devront enfin donner à la commune urbaine d’Arlit le visage d’une ville digne de ce nom. Attendues depuis très longtemps, ces actions n’ont été réalisées qu’après la lutte menée par la société civile. ‘’ C’est vrai, la société civile est pour beaucoup dans l’évolution de la situation’’, affirme le chargé du ‘’développement durable et intégration dans les territoires d’Areva’’, M. Ahadjira Salifou. ‘’Dans tous les cas, les choses devraient évoluer de tous les côtés. Le monde est devenu aujourd’hui comme un village. Ce qui se passe ailleurs est tout de suite connu ici. Les revendications qui ont été posées ailleurs devraient se poser ici. Et les réponses données là, inspirent également les mêmes démarches dans une autre partie du monde’’, estime M. Ahadjira Salifou. Une autre raison, explique-t-il, qui a présidé au financement des actions au bénéfice des populations locales, est le contexte de décentralisation. ‘’Le contexte de la décentralisation nous impose cette nouvelle démarche. Les jeunes communes qui n’ont presque rien ont besoin d’appui pour financer leur plan de développement’’, justifie-t-il. ‘’Maintenant, ce sont des approches projets, et non plus comme par le passé où les aides allaient souvent à des individus. Ce n’est jamais trop tard pour bien faire’’, estime le chargé du développement durable et intégration dans les territoires d’Areva.
L’autre aspect de la lutte de la société civile porte sur le volet santé de la population et surtout sur la question de la présence, dans la ville d’Arlit, des déchets radioactifs liés aux matériaux provenant des usines. ‘’Aujourd’hui, la question des déchets radioactifs n’est plus taboue. Nous avons conclu un pacte quant à la nécessité de sécuriser la population’’, souligne M. Abdrahmane Maoli. Dans ce sens, explique-t-il des spécialistes procèdent à l’évaluation du degré de la radioactivité dans la ville. Une démarche qui a déjà permis, selon cet acteur de la société civile, de découvrir des matériaux souillés au niveau d’une maison. D’ores et déjà, le recasement du propriétaire de la maison a été pris en charge par Areva. Un observatoire de la santé a été également mis en place pour suivre la santé des anciens agents et autres travailleurs souffrant de maladies professionnelles. Mais à ce sujet, la société civile critique la procédure, en mettant en doute la neutralité du médecin qui, selon M. Abadrahmane Maoli, était déjà un employé d’Areva. Malgré les acquis obtenus, la société civile n’entend pas faiblir dans sa lutte. Dans sa ligne de mire, toutes les sociétés qui mènent des activités dans le département d’Arlit. ‘’Notre lutte ne vise pas seulement Areva qui exploite les gisements d’uranium à Arlit et bientôt à Imouraren. Les autres sociétés comme Goviex, ou même la Satom, sont aussi concernées, car d’une manière ou d’une autre, leurs activités ont des impacts sur les populations’’, martèle M. Mamar Illatou. Mais maintenant, les représentants de la société civile n’occupent plus la rue pour se faire entendre. Leurs préoccupations sont discutées au sein du cadre de concertation, une structure qui regroupe, en plus des représentants de la société civile, ceux des autorités locales et d’Areva, et qui se réunit régulièrement.
Par Moutari Souley Onep, Tahoua/Agadez
Carnet de route
Officiellement, la rébellion qui a sévi dans la région d’Agadez pendant deux ans a pris fin depuis l’année dernière. Mais on ne voyage toujours pas sur l’axe Agadez-Arlit quand et comme on veut. Quitte à le faire à ses risque et péril. Et pour cause ! La route Agadez-Arlit n’est pas vraiment sûre. Il subsiste encore ce que l’on appelle ‘’l’insécurité résiduelle’’. Cette situation est, dit-on, le fait de bandits armés, des coupeurs de route qui dès qu’ils trouvent l’occasion tendent des embuscades aux usagers qu’ils dépouillent de leurs véhicules et de leur argent. Pour éviter d’être la proie de ces gens sans foi ni loi, les usagers empruntant l’axe sont obligés de voyager comme au moment fort de la rébellion, en convoi escorté par des véhicules de militaires armés jusqu’aux dents. On retrouve ce genre d’escorte également sur l’axe Abalak-Agadez, en venant de Tahoua. Mais c’est le trajet Agadez-Arlit qui semble le plus dangereux. Certains voyageurs, qui ont voulu faire cavaliers seuls, l’ont appris à leurs dépens. Donc c’est selon un calendrier établi suivant un rythme d’un jour sur trois que les convois quittent Agadez pour Arlit, et vice versa. Le départ est fixé le matin à 8 heures. Les bus de transport en commun et les véhicules particuliers se retrouvent au poste de police à la sortie de la ville. Ensuite, encadrée par les véhicules de l’armée, la longue file prend la route. Tout au long du parcours, ces véhicules de l’armée surveillent la progression du convoi. Des arrêts sont marqués souvent au niveau des endroits considérés plus critiques, notamment la traversée des koris, où les bandits tendent leurs embuscades. Les arrêts marqués pour attendre les véhicules laissés en arrière, le mauvais état de la route, rendent le voyage plus fatiguant sur les 237 kilomètres qui séparent Agadez d’Arlit. C’est finalement après 4 ou 5 heures de route que les voyageurs arrivent à destination, fatigués, mais sains et saufs.
Moutari Souley
Onep, Tahoua/Agadez
10 septembre 2010
Publié le 10 septembre 2010
Source : Sahel Dimanche