Où en est la lutte contre l’organisation de l’Etat islamique ?
Le point de vue de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS
Alors que la coalition internationale contre l’organisation de l’Etat islamique a déclaré que son avancée à travers la Syrie et en Irak était en train d’être stoppée, cette déclaration vous semble-t-elle réaliste ? La campagne lancée par la coalition internationale contre l’organisation de l’Etat islamique commence-t-elle à porter ses fruits ?
L’intervention de la coalition internationale, débutée il y a deux mois de cela, (frappes aériennes, livraison d’équipements militaires aux combattants kurdes syriens, irakiens et à l’armée irakienne), conjuguée à la contre-offensive lancée par les forces kurdes et irakiennes épaulées par des milices chiites et les pasdarans iraniens, ont permis de stopper la progression de l’Etat islamique (EI), connu aussi sous le nom de Daesh, et de stabiliser la situation en Irak. L’EI n’est aujourd’hui plus capable de mener une offensive majeure contre Bagdad. La contre-offensive menée par les troupes au sol sur le territoire irakien a même rencontré quelques succès : un assaut des forces djihadistes sur la ville de Ramadi, capitale de la province d’Al-Anbar, a ainsi été repoussé à la fin du mois de novembre. Les forces irakiennes épaulées par des milices chiites (tant iraniennes qu’irakiennes) et les kurdes ont ainsi réussi à briser l’encerclement et à libérer la ville d’Amerli le 1er septembre, bien épaulés pour cela par les bombardements américains. Si ces premières victoires sont encourageantes, il ne faut cependant pas oublier que l’EI n’a pas encore dit son dernier mot : le groupe djihadiste contrôle toujours Mossoul – la deuxième ville du pays – ainsi que de vastes pans de l’Ouest et du Nord du territoire irakien.
En Syrie, les bombardements de la coalition ont permis d’éviter la chute de la ville kurde de Kobane aux mains de l’EI, point éminemment stratégique à la frontière avec la Turquie. Cela fait maintenant deux mois que les combattants kurdes résistent aux assauts des djihadistes.
Si les avancées de l’EI ont bien été stoppées, on n’assiste cependant pas à une contre-offensive d’ampleur en Syrie et en Irak. Celle-ci pourra éventuellement se mettre en œuvre quand l’armée irakienne sera prête, reformée et équipée d’ici quelques mois. La nouvelle armée irakienne, épaulée par les milices chiites et les combattants kurdes, sera vraisemblablement en mesure de mener une action plus conséquente. Le problème essentiel demeure la Syrie car c’est sur ce territoire que se trouve l’essentiel des forces de l’EI, et où seule la minorité kurde lui résiste. Or, la coalition ne dispose pas d’une force armée au sol capable de défaire les djihadistes. Bon nombre d’experts s’interrogent et doutent de la possibilité de défaire l’EI sans une intervention d’ampleur au sol. Bachar al-Assad, le président syrien, en profite depuis quelques semaines pour se présenter comme le rempart contre l’EI et donc l’allié potentiel de la coalition.
En Syrie, les bombardements de la coalition ont permis d’éviter la chute de la ville kurde de Kobane aux mains de l’EI, point éminemment stratégique à la frontière avec la Turquie. Cela fait maintenant deux mois que les combattants kurdes résistent aux assauts des djihadistes.
Si les avancées de l’EI ont bien été stoppées, on n’assiste cependant pas à une contre-offensive d’ampleur en Syrie et en Irak. Celle-ci pourra éventuellement se mettre en œuvre quand l’armée irakienne sera prête, reformée et équipée d’ici quelques mois. La nouvelle armée irakienne, épaulée par les milices chiites et les combattants kurdes, sera vraisemblablement en mesure de mener une action plus conséquente. Le problème essentiel demeure la Syrie car c’est sur ce territoire que se trouve l’essentiel des forces de l’EI, et où seule la minorité kurde lui résiste. Or, la coalition ne dispose pas d’une force armée au sol capable de défaire les djihadistes. Bon nombre d’experts s’interrogent et doutent de la possibilité de défaire l’EI sans une intervention d’ampleur au sol. Bachar al-Assad, le président syrien, en profite depuis quelques semaines pour se présenter comme le rempart contre l’EI et donc l’allié potentiel de la coalition.
Quel rôle joue aujourd’hui l’Iran dans la lutte contre l’EI ? La lutte contre cet ennemi commun amènera-t-elle les Américains et les Iraniens à rapprocher leurs positions ?
L’Iran a grandement accru son influence en Irak depuis le renversement de Saddam Hussein par les Américains en 2003, situation qui s’est révélée être un formidable atout pour l’Iran. En effet, les premières élections démocratiques en Irak ont vu la victoire des partis chiites – les chiites constituant 60% de la population irakienne –. Or ces partis s’étaient jusqu’alors réfugiés en Iran pour fuir les persécutions du régime de l’ancien dictateur irakien, ce qui explique aujourd’hui leur influence sur le jeu politique actuel.
Les Iraniens se sont également engagés sur le plan militaire dès les premiers affrontements avec l’EI. En effet, dès les premiers succès de l’organisation, tels que la prise de Mossoul, les Iraniens ont apporté une assistance militaire aux forces irakiennes, livrant même des avions de combat à l’armée. Au moment de l’offensive de Daesh contre les villes kurdes, chrétiennes et yazidis en août dernier, l’Iran a aidé l’autorité autonome du Kurdistan irakien. Le président du Kurdistan irakien, Marzouk Barzani, a ainsi annoncé publiquement que l’Iran était la première puissance à avoir accepté de livrer des armes aux kurdes – avant la France et avant même les Etats-Unis.
Aujourd’hui, les forces armées iraniennes ne cachent plus leur présence en Irak. La presse iranienne a d’ailleurs publié des photos de Qassem Suleimani, le chef de l’armée Al-Qods (la branche armée des Pasdarans qui s’occupe des interventions à extérieur du territoire iranien) sur le champ de bataille irakien. L’Iran entend ainsi défendre un gouvernement ami, chiite comme elle, et éviter la prise de contrôle par l’EI de territoires à sa frontière qui pourraient leur permettre de tisser des liens en Iran. De plus, l’Iran se représente bien le grand danger que constituent les djihadistes de l’EI qui ne considèrent pas les chiites comme des musulmans. Dans cette logique, Téhéran n’a pas hésité à faire intervenir des avions de combat iraniens Phantom 4 qui se sont attaqués aux positions de l’organisation à l’Est de l’Irak, notamment du côté de Khanaqin, alors que les Occidentaux concentrent leurs frappes sur l’Ouest et le Nord du pays.
On se trouve bien aujourd’hui dans une situation inédite où les États-Unis et l’Iran, deux pays en conflit depuis les premiers jours de la République islamique, se retrouvent à combattre côte-à-côte face à un ennemi commun à abattre. Les relations américano-iraniennes ne peuvent donc être qu’améliorées par cette situation. Nous sommes dans une phase assez favorable à une normalisation des relations de l’Iran avec les États-Unis et plus largement avec les puissances occidentales. A la fois sur le dossier du nucléaire et sur la situation en Irak, les points de convergence se multiplient entre les deux pays. Ce rapprochement est intéressant pour les États-Unis dans une période où ces derniers cherchent à se désengager à moyen-terme du Moyen-Orient pour donner la priorité à l’Asie-Pacifique, tandis que les Iraniens ambitionnent de retrouver leur rang de puissance régionale. Les Américains pensent également que l’Iran est essentiel dans la stabilisation et la résolution des conflits dans la région.
Les Iraniens se sont également engagés sur le plan militaire dès les premiers affrontements avec l’EI. En effet, dès les premiers succès de l’organisation, tels que la prise de Mossoul, les Iraniens ont apporté une assistance militaire aux forces irakiennes, livrant même des avions de combat à l’armée. Au moment de l’offensive de Daesh contre les villes kurdes, chrétiennes et yazidis en août dernier, l’Iran a aidé l’autorité autonome du Kurdistan irakien. Le président du Kurdistan irakien, Marzouk Barzani, a ainsi annoncé publiquement que l’Iran était la première puissance à avoir accepté de livrer des armes aux kurdes – avant la France et avant même les Etats-Unis.
Aujourd’hui, les forces armées iraniennes ne cachent plus leur présence en Irak. La presse iranienne a d’ailleurs publié des photos de Qassem Suleimani, le chef de l’armée Al-Qods (la branche armée des Pasdarans qui s’occupe des interventions à extérieur du territoire iranien) sur le champ de bataille irakien. L’Iran entend ainsi défendre un gouvernement ami, chiite comme elle, et éviter la prise de contrôle par l’EI de territoires à sa frontière qui pourraient leur permettre de tisser des liens en Iran. De plus, l’Iran se représente bien le grand danger que constituent les djihadistes de l’EI qui ne considèrent pas les chiites comme des musulmans. Dans cette logique, Téhéran n’a pas hésité à faire intervenir des avions de combat iraniens Phantom 4 qui se sont attaqués aux positions de l’organisation à l’Est de l’Irak, notamment du côté de Khanaqin, alors que les Occidentaux concentrent leurs frappes sur l’Ouest et le Nord du pays.
On se trouve bien aujourd’hui dans une situation inédite où les États-Unis et l’Iran, deux pays en conflit depuis les premiers jours de la République islamique, se retrouvent à combattre côte-à-côte face à un ennemi commun à abattre. Les relations américano-iraniennes ne peuvent donc être qu’améliorées par cette situation. Nous sommes dans une phase assez favorable à une normalisation des relations de l’Iran avec les États-Unis et plus largement avec les puissances occidentales. A la fois sur le dossier du nucléaire et sur la situation en Irak, les points de convergence se multiplient entre les deux pays. Ce rapprochement est intéressant pour les États-Unis dans une période où ces derniers cherchent à se désengager à moyen-terme du Moyen-Orient pour donner la priorité à l’Asie-Pacifique, tandis que les Iraniens ambitionnent de retrouver leur rang de puissance régionale. Les Américains pensent également que l’Iran est essentiel dans la stabilisation et la résolution des conflits dans la région.
Comment se passe la reprise en main de l’administration par le nouveau gouvernement irakien ? Haidar al-Abadi, le Premier ministre irakien, réussit-il son pari de réintégrer les kurdes et les sunnites dans le jeu politique irakien ?
On s’attendait à ce que le nouveau Premier ministre irakien, Haidar al-Abadi, –même s’il appartient au même parti que Nouri al-Maliki, le précédent Premier ministre – fasse des gestes d’apaisement et de réconciliation vis-à-vis de la communauté arabe sunnite, extrêmement mécontente de la politique d’exclusion menée à leur égard par son prédécesseur. Aujourd’hui, la communauté arabe sunnite a réintégré le jeu politique irakien : quasiment un tiers des postes ministériels sont tenus par des sunnites, là où les partis les représentant n’ont obtenu que 20% des voix lors des dernières élections législatives. Le ministère de la Défense, symbolique, a même été confié à un sunnite. La multiplication de ces gestes de rapprochement – notamment le versement de salaires impayés aux anciens membres de milices anti al-Qaïda qui avaient rejoint l’armée irakienne – a permis le retournement de certaines tribus sunnites, qui combattent aujourd’hui les djihadistes de l’EI aux côtés de l’armée irakienne.
Haidar al-Abadi a également lancé la reconstruction de l’armée irakienne afin de la moderniser, de la réformer et de la rationaliser. Lors des premiers affrontements avec l’organisation cet été, on avait pu mesurer sa faible efficacité ainsi que son manque de formation. Des contrats d’achat ont été conclus pour améliorer la situation.
Enfin, depuis sa prise de fonctions, les relations avec les kurdes se sont également apaisées et normalisées. Il a notamment promis que le sort de la ville de Kirkouk, que de nombreux kurdes revendiquent pour capitale du Kurdistan, serait bientôt réglé.
Haidar al-Abadi a donc multiplié les gages pour rassurer les partenaires de l’Irak et les encourager à s’engager contre l’EI.
Haidar al-Abadi a également lancé la reconstruction de l’armée irakienne afin de la moderniser, de la réformer et de la rationaliser. Lors des premiers affrontements avec l’organisation cet été, on avait pu mesurer sa faible efficacité ainsi que son manque de formation. Des contrats d’achat ont été conclus pour améliorer la situation.
Enfin, depuis sa prise de fonctions, les relations avec les kurdes se sont également apaisées et normalisées. Il a notamment promis que le sort de la ville de Kirkouk, que de nombreux kurdes revendiquent pour capitale du Kurdistan, serait bientôt réglé.
Haidar al-Abadi a donc multiplié les gages pour rassurer les partenaires de l’Irak et les encourager à s’engager contre l’EI.
http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article10315