L'ambition grandissante de Boko Haram
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- Par Tanguy Berthemet
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La secte nigériane conduit une offensive dans l'État de Borno, où son chef a assuré vouloir instaurer un califat.
Boko Haram accentue son offensive. Ces derniers jours, la secte islamiste a lancé plusieurs attaques dans son fief de l'État de Borno, dans le nord-est du Nigeria. Les miliciens se sont ainsi emparés mardi de Banki, une petite ville à la frontière camerounaise. Mais surtout, ils affirment avoir pris le contrôle de Bama. Le gouvernement local nie cette défaite et laisse entendre que les assaillants ont été rejetés en périphérie. Mais des témoins, interrogés par la BBC et RFI, assurent que les islamistes patrouillent dans le centre-ville, déserté par les militaires. La prise de Bama serait la porte ouverte pour un raid d'envergure sur Maiduguri, la capitale de la région de Borno. «Le Nigeria est sur le point de perdre le contrôle de l'État de Borno», assure Nigeria Security Network (NSN), un groupe de réflexion. D'autres spécialistes se montrent plus prudents. «Il n'est pas encore évident que Boko Haram ait une stratégie d'encerclement de Maiduguri», tempère ainsi le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
«Approche plus stratégique»
Seule certitude, Boko Haram s'est considérablement musclé au cours de l'année écoulée. Le groupe, confiné aux attentats et aux coups de mains il y a peu, affronte désormais l'armée nigériane dans des combats réguliers. «Boko Haram est une véritable rébellion dotée de troupes, d'armements lourds, de véhicules et même de blindés», confirmait en juillet une source française. Les commandants de la secte ont massivement recruté, attirant dans leurs rangs des jeunes désœuvrés avec des promesses de salaires ou au besoin, en utilisant la contrainte. Selon un rapport de l'organisation britannique Chatham House, Boko Haram compterait 8000 hommes. Stephen Davis, un Australien qui fut pendant dix ans négociateur auprès des insurrections armées nigérianes pour le compte des présidents du pays, notamment Goodluck Jonathan, assure que le mouvement a monté six grands camps, dotés chacun de 700 hommes. À ces casernes s'ajouteraient des dizaines de plus petites structures. Surtout, d'après l'ex-conseiller, Boko Haram, secte à la hiérarchie longtemps très anarchique, se serait dotée en mars d'un commandement unique et central qui rend ses mouvements plus efficaces. Les militaires occidentaux ont noté que le groupe avait fait sauter en mai deux ponts reliant l'État de Borno à son voisin de l'Adamawa et au Cameroun. «Ces attaques sur des infrastructures montrent que Boko Haram évolue vers une approche plus stratégique», souligne Chatham House.
En parallèle, fin août, le chef du groupe, Abubakar Shekau, a affirmé, dans son style violent et déroutant, son intention «d'instaurer un califat» à Borno. L'annonce est sans doute liée à la volonté de copier l'État islamique en Irak et en Syrie et d'augmenter davantage sa notoriété, montée en flèche depuis l'enlèvement de 200 lycéennes en avril. Mais elle démontre aussi les ambitions grandissantes du groupe. «Ils peuvent se le permettre car personne ne fait rien pour les en empêcher», grogne un diplomate. Les 15.000 soldats déployés dans l'État de Borno, mal armés et mal commandés, n'offrent pour l'instant qu'une faible résistance aux islamistes.
Une étrange apathie
Pour Stephen Davis, outre la corruption, ce sont les relais dont disposent les islamistes qui sont à condamner. L'homme assure que des responsables de la Banque centrale blanchissent l'argent du groupe. Il met aussi violemment en cause un ex-chef d'état-major et l'ancien gouverneur de Borno Ali Modu Sheriff, décrits comme des sortes de parrains du mouvement. Ce dernier, qui vient de se rallier au président Jonathan, a vivement nié.
L'étrange apathie des autorités nigérianes pourrait aussi trouver sa source dans la politique, alors qu'une élection présidentielle se tiendra en février 2015. «En ce moment, il faut bien comprendre que Goodluck Jonathan et les élites du Nigeria sont plus focalisés sur ce scrutin que sur Boko Haram», résume Benjamin Augé, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
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