L’Afrique de l’Ouest est l’objet de toutes les attentions pour son rôle de plaque tournante du trafic de différentes drogues. Organisations internationales, régionales et partenaires occidentaux : la mobilisation est générale. Mais les résultats sont encore difficiles à percevoir à en croire des experts de la Commission ouest-africaine des drogues*, qui a tenu une réunion avec des représentants de la société civile à Accra les 30 et 31 octobre.
En juin 2007, le magazine américain
Time faisait sa Une sur la Guinée-Bissau, un petit pays d’Afrique de l’Ouest inconnu de la très grande majorité de ses lecteurs. Avec ce titre-choc :
« Cocaine Country ». Le phénomène était déjà connu des experts antidrogue, mais c’est à ce moment-là que l’opinion internationale a découvert que cette région, déjà connue pour être une plaque tournante de la résine de cannabis et de l’héroïne, était devenue une zone de transit pour la cocaïne latino-américaine vers l’Europe. A cette époque, le représentant régional de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (
UNODC),
Antonio Mazzitelli, se démenait comme un beau diable pour alerter les gouvernements africains et occidentaux sur le danger d’une implantation durable des cartels de la drogue dans cette partie du monde. Il faut dire qu’à cette période,
les saisies de cocaïne au large des côtes ouest-africaines, principalement le fait des marines occidentales, étaient impressionnantes. Quelques exemples : 7,5 tonnes sur un cargo, le
South Sea, en 2003 ; 3,7 tonnes en octobre 2007, sur
l'Opnor, un bateau faisant route vers le Sénégal, 2,5 tonnes sur le navire
Blue Atlantic, au large du Liberia en janvier 2008, puis 3 tonnes sur le cargo
le Junior, au large de la Guinée-Conakry.
Depuis, les initiatives se sont multipliées en vue d’empêcher ce trafic. En 2007, la mise en place du
MAOC-N (Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants, fondé sur la coopération des agences antidrogues de l’Union européenne et des États-Unis) a contribué à enrayer l’acheminement d’énormes quantités de cocaïne à bord de cargos à destination de l’Afrique. En 2008, puis 2010, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a adopté, pour sa part, une série d’initiatives et un plan d’action régional. Pour appuyer ce plan, le Bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest (UNOWA) a lancé l’Initiative interinstitutions des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest (WACI), visant à renforcer les capacités de lutte contre le trafic en Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Libéria et Sierra Leone. D’autres projets ont vu le jour, comme le
Programme de contrôle des conteneurs, lancé en par l’ONUDC et l’Organisation mondiale des douanes (OMD) au Ghana et au Sénégal, ou encore le programme
Aircop - porté par l’ONUDC, Interpol et l’OMD - qui vise en renforcer les contrôles et le partage d’informations entre huit aéroports le long des routes du trafic en Afrique de l’Ouest, au Brésil et au Maroc.
Foisonnement d’initiatives
L’Union européenne n’est pas en reste.
« La stratégie européenne face au trafic de drogue pour 2013-2020 classe l’Afrique de l’Ouest comme troisième région prioritaire, après le nord-ouest de l’Europe et les Balkans de l’Ouest », indique un
document de travail de la Commission ouest-africaine des drogues. Une mobilisation qui, indique ce document, s’explique notamment par le fait que
« les groupes criminels ouest-africains sont de plus en plus impliqués dans la distribution de l’héroïne (…) et sont également connectés au trafic de cocaïne en Europe ». En 2011, le G8 a produit une
déclaration et un plan d’action, en mettant l’accent sur l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique latine. Avec en toile de fond, les craintes quant à l'ampleur du trafic au Sahel et ses liens éventuels avec le terrorisme.
Et outre les agences telles
qu'Interpol, plusieurs pays occidentaux ont renforcé leur engagement dans la région. En plus de la présence d’officiers de liaison antidrogue dans certains pays, la France multiplie les actions de coopération et de formation à la lutte contre le trafic, notamment au Sénégal, au Mali, au Togo et au Bénin. La Grande-Bretagne a, de son côté, lancé l’opération
Westbridge au Ghana puis au Nigeria, une coopération étroite qui va jusqu’à la rémunération d’agents antidrogue ghanéens par les services antidrogues de Sa Majesté. Les États-Unis ont eux aussi placé l’Afrique de l’Ouest parmi leurs priorités.
« LaDEA [l’agence antidrogue américaine] dispose de bureaux au Ghana et au Nigéria, avec le projet d’en implanter un au Sénégal », souligne le document de travail de la Commission ouest-africaine des drogues. Preuve de cet engagement : l’arrestation de l’ancien patron de la Marine bissau-guinéenne et baron local de la drogue,
Bubo Na Tchuto, par des agents américains, en avril dernier.
Parmi les nombreuses autres initiatives, la Cédéao et Interpol ont mené
l’opération ATAKORA, en juillet 2012. Combinant formation et activités opérationnelles, au Togo, au Bénin et au Ghana, elle a permis l’arrestation de 74 trafiquants et la saisie de près de 8 tonnes de divers produits stupéfiants.
Dans ce contexte, plusieurs pays ouest-africains ont entrepris de revoir leurs législations antidrogue. D’autres ont créé ou renforcé leurs unités spécialisées avec un certain succès, notamment au Ghana et au
Nigeria, avec parfois des résultats encourageants. Au Togo, de nombreuses
arrestations de trafiquants de drogue ont eu lieu, ces derniers mois, à l’aéroport de Lomé, où des unités ont été formées par la France. Ces dernières années, d’importantes saisies de cocaïne ou d’héroïne ont, en outre, été réalisées dans des conteneurs aux ports de Lomé et
Cotonou.
Un bilan mitigé
Pour autant, la Commission ouest-africaine des drogues estime qu’on est encore loin du compte. Certes, les saisies maritimes record de cocaïne sont désormais rares, mais le trafic est loin d’être enrayé. En 2011, selon le secrétaire général de l’ONUDC Youri Fedotov, près de 30 tonnes de cocaïne et environ 400 kg d’héroïne auraient transité par l’Afrique de l’Ouest et des
laboratoires de méthamphétamine ont été découverts dans la région, notamment au Nigeria. Pour Kwesi Aning et John Poko, auteurs d’un
document de travail pour le compte de la Commission, la corruption, parfois au plus haut niveau, y est pour beaucoup :
« Les saisies et arrestations récentes dans plusieurs pays ouest-africains ont mis en lumière à quel point le travail des réseaux de trafiquants est facilité par toute une série d’acteurs, notamment des hommes d’affaires, des responsables politiques, des membres des forces de l’ordre et du pouvoir judiciaire, des responsables religieux et des chefs traditionnels ».
Ces mêmes experts soulignent, au reste, que les résultats des ambitieux programmes antidrogue lancés ces dernières années, sont parfois décevants. Leur mise en œuvre se heurte à toute sorte d’obstacles, allant de querelles entre organismes techniques aux moyens insuffisants déployés par les gouvernements pour mettre en application les décisions prises au niveau régional.
Une autre inquiétude, soulevée d’ailleurs par les experts réunis à Accra les 30 et 31 octobre, concerne la consommation de drogue. Il est désormais acquis que l’Afrique de l’Ouest -comme l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe - n’est plus seulement une zone de transit pour différentes drogues dures, elle est aussi une zone de destination.
« Le schéma de consommation de drogues illicites dans les pays d’Afrique de l’Ouest se caractérise à l’heure actuelle par une forte prévalence de l’usage de cannabis et des taux faibles, mais en hausse de consommation de cocaïne, d’héroïne et de stimulants de type amphétamine »,indique
Isidore S. Obot, auteur d’une étude pour le compte de la Commission ouest-africaine des drogues. Et cet expert souligne qu’il n’existe, jusqu’ici, quasiment pas de données fiables sur la consommation de drogues dans la région et que les politiques de lutte contre la toxicomanie sont la plupart du temps inexistantes ou inadaptées, même si des initiatives commencent à voir le jour.
_________________________