RFI: Vous vous êtes échappé après onze mois de captivité dans le nord du Nigeria. Chaque jour, vous avez pensé à vous évader durant cette détention. Quel est l’élément qui a été déterminant lorsque vous avez décidé de franchir le pas ?
Francis Collomp: Avant de commencer toute interview, je voudrais quand même avoir une pensée pour les autres otages et remercier RFI. Je pense avec beaucoup d'émotion à vos journalistes qui ont été tués. Et je dédie mon escapade, [le fait ] que j’ai réussi à m’enfuir à« Gigi », comme vous l’appelez, et à Claude.
Merci beaucoup, cela nous touche particulièrement. Lorsque vous avez appris la mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, cela vous a décidé à franchir le pas ?
Je ne suis pas un gars qui est du genre à chialer, mais ça m’a énormément touché. Et comme ils sont liés à Aqmi et qu’ils n'ont laissé aucun otage vivant... L'émotion passée, ça m’a donné le courage de penser de nouveau à m’évader, de ré-étudier les petits détails qui font qu’on réussit une évasion.
Racontez-nous comment s’est passée cette évasion. Que s'est-il passé ce jour-là, le jour où vous avez franchi la porte ? Qu’est-ce qui vous a permis de partir ?
Ce qui m’a permis de partir, c’est une erreur grossière de mon geôlier. Ma cellule était composée de deux pièces. La pièce principale où j'étais et une autre petite pièce, qui était un genre de salle de bain où il y avait la réserve d’eau et le seau pour se laver. Il est venu faire ses ablutions et une fois ou deux auparavant, j'avais noté qu'il avait oublié les clés à l’extérieur de la première porte. Au lieu de la refermer et d’aller faire ses ablutions en gardant ses clés ; ce jour-là, il les a laissées à l’extérieur. Il a commencé ses ablutions et j'ai ouvert la poignée, tout doucement. J’avais prévu un petit bout de ferraille très plat pour enlever les clés et éviter au moment de les remette que le cran de la serrure fasse du bruit.
Vous avez donc planifié cette évasion...
Tout était en effet calculé.
Lorsque vous êtes sorti, vous êtes parti en courant. Vous avez couru pendant cinq kilomètres...
Non pas tout à fait. Sur les 300-400 mètres qui me menaient à la route, j’ai effectivement couru. Par contre, dès que je suis arrivé sur la route, il commençait à y avoir du monde, de la circulation, des voitures. Je me suis mis à marcher vite. Et chaque fois qu’il y avait trop de monde, je diminuais un tout petit peu ma cadence pour ne pas alerter.
Saviez-vous que vous étiez dans cette ville de Zaria ?
Non.
Vous ne saviez pas où vous étiez ?
A Kano, je le savais, à cause des antennes, à cause des bombes etc. Mais à Zaria, je n’avais pas encore déterminé que j’étais là.
A ce moment-là, vous trouvez un mototaxi et vous lui demandez d’aller au commissariat...
Voilà. J’ai croisé les doigts et il ne m’a pas demandé de payer les 100 nairas que l'on paie d'avance pour une course.
Vous n’aviez pas d’argent ?
Non. Mais par contre, j’avais prévu pour le convaincre de lui proposer la petite LED batterie qui coûte 4 500 nairas. Mais pas de lâcher le poste de radio RFI ! J’y tiens, c’est un souvenir énorme pour moi.
Durant ces onze mois de captivité, aviez-vous des relations, des discussions avec vos ravisseurs ? Vous ont-ils expliqué leurs revendications ?
Oui, même si elles ne suivaient pas tout à fait l’actualité. Par exemple, lorsqu'ils m’ont dit : 'Il faut que la France parte d’Afghanistan' en réalité, c’était en train de se faire. Après, ils voulaient aussi que la France quitte le Mali et qu’on arrête d’agresser Aqmi. Et, surtout, qu’on n’intervienne plus dans les Républiques musulmanes comme la Mauritanie, l’Egypte... Puis, ils demandaient aussi la libération de leurs deux gros poissons, mais je ne me souviens plus vraiment de leurs noms.
La libération de deux de leurs combattants ?
Oui, mais des combattants-chefs. C’est pour cela que je dis « deux gros poissons ». Ils réclamaient aussi la libération de leurs chefs et d’une quarantaine de femmes et de leurs enfants.
Ils n’ont jamais évoqué la moindre rançon ou demande d’argent ?
C’est moi qui leur ai demandé: 'et la monnaie ?' Ils ont toujours décliné et dit que ce n’est pas ça qui les intéressait.
Vous étiez à Kano. Ils vous ont transféré à Zaria. Pourquoi vous ont-ils transféré et comment s’est passé ce transfert ?
Pour deux raisons. Parce que je m' étais aperçu où j’étais. Ils le savaient, parce que leur chef m’a posé la question et j’ai répondu : 'Il ne faut pas me prendre pour un idiot. Les deux bombes, j’ai écouté la radio.'
Il y avait des bombes qui ont explosé à Kano ?
Oui, fin juin, début juillet. Et vous sur RFI, vous avez communiqué. Les bombes ont explosé à 6h30, juste avant la tombée de la nuit, et je les ai entendues. Et à votre journal, j’ai aussi entendu que deux bombes avaient explosé à Kano. J’ai fait tout de suite la liaison. Comme quoi, RFI rend bien service. A Kano, c’était plus facile de m’évader. Je n’aurais eu qu'à passer le mur et à faire 800 mètres. Puis à me montrer ferme et convaincant face au militaire pour qu'il me protège. Ensuite j’ai appris par les « hommes de l'ombre » - comme je les appelle - qu’effectivement un échange était prévu à Kano mais il a échoué. Je ne sais pas si c'est parce qu' ils ont peut-être modifié ou changé les conditions de l'échange.
Les gens d’Ansaru vous expliquaient-ils le but de leur combat, de leurs revendications ?
Excepté au moment des vidéos et des demandes, non. Puis ils ne m’embêtaient pas parce que moi, j’étais très virulent dans mes propos. Quand ils ont pris la famille Moulin-Fournier et les enfants, je les ai agressé violemment. Je me disais quand même : 'Mais tu es fada, ils vont te tuer'. Je leur ai dit : 'Mais vous vous rendez compte, le monde entier est en train de vous regarder parce que vous prenez des gosses et une femme. C’est publié partout. Personne ne vous suivra'.
Qu’est-ce qu’ils ont répondu ?
'Ce n’est pas nous, c’est Boko Haram'. C’était la réponse facile. Mais effectivement, ce n’était pas eux, c’était Boko Haram.
Est-ce que vous retournerez en Afrique et au Nigeria ?
En Afrique oui. Au Nigeria je crois que tout le monde me prendrait pour un fada. Et je pense que ma femme partirait en courant et divorcerait alors qu’on a 35 ans de vie commune (rires).
Francis Collomp: Avant de commencer toute interview, je voudrais quand même avoir une pensée pour les autres otages et remercier RFI. Je pense avec beaucoup d'émotion à vos journalistes qui ont été tués. Et je dédie mon escapade, [le fait ] que j’ai réussi à m’enfuir à« Gigi », comme vous l’appelez, et à Claude.
Merci beaucoup, cela nous touche particulièrement. Lorsque vous avez appris la mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, cela vous a décidé à franchir le pas ?
Je ne suis pas un gars qui est du genre à chialer, mais ça m’a énormément touché. Et comme ils sont liés à Aqmi et qu’ils n'ont laissé aucun otage vivant... L'émotion passée, ça m’a donné le courage de penser de nouveau à m’évader, de ré-étudier les petits détails qui font qu’on réussit une évasion.
Racontez-nous comment s’est passée cette évasion. Que s'est-il passé ce jour-là, le jour où vous avez franchi la porte ? Qu’est-ce qui vous a permis de partir ?
Ce qui m’a permis de partir, c’est une erreur grossière de mon geôlier. Ma cellule était composée de deux pièces. La pièce principale où j'étais et une autre petite pièce, qui était un genre de salle de bain où il y avait la réserve d’eau et le seau pour se laver. Il est venu faire ses ablutions et une fois ou deux auparavant, j'avais noté qu'il avait oublié les clés à l’extérieur de la première porte. Au lieu de la refermer et d’aller faire ses ablutions en gardant ses clés ; ce jour-là, il les a laissées à l’extérieur. Il a commencé ses ablutions et j'ai ouvert la poignée, tout doucement. J’avais prévu un petit bout de ferraille très plat pour enlever les clés et éviter au moment de les remette que le cran de la serrure fasse du bruit.
Vous avez donc planifié cette évasion...
Tout était en effet calculé.
Lorsque vous êtes sorti, vous êtes parti en courant. Vous avez couru pendant cinq kilomètres...
Non pas tout à fait. Sur les 300-400 mètres qui me menaient à la route, j’ai effectivement couru. Par contre, dès que je suis arrivé sur la route, il commençait à y avoir du monde, de la circulation, des voitures. Je me suis mis à marcher vite. Et chaque fois qu’il y avait trop de monde, je diminuais un tout petit peu ma cadence pour ne pas alerter.
Saviez-vous que vous étiez dans cette ville de Zaria ?
Non.
Vous ne saviez pas où vous étiez ?
A Kano, je le savais, à cause des antennes, à cause des bombes etc. Mais à Zaria, je n’avais pas encore déterminé que j’étais là.
A ce moment-là, vous trouvez un mototaxi et vous lui demandez d’aller au commissariat...
Voilà. J’ai croisé les doigts et il ne m’a pas demandé de payer les 100 nairas que l'on paie d'avance pour une course.
Vous n’aviez pas d’argent ?
Non. Mais par contre, j’avais prévu pour le convaincre de lui proposer la petite LED batterie qui coûte 4 500 nairas. Mais pas de lâcher le poste de radio RFI ! J’y tiens, c’est un souvenir énorme pour moi.
Durant ces onze mois de captivité, aviez-vous des relations, des discussions avec vos ravisseurs ? Vous ont-ils expliqué leurs revendications ?
Oui, même si elles ne suivaient pas tout à fait l’actualité. Par exemple, lorsqu'ils m’ont dit : 'Il faut que la France parte d’Afghanistan' en réalité, c’était en train de se faire. Après, ils voulaient aussi que la France quitte le Mali et qu’on arrête d’agresser Aqmi. Et, surtout, qu’on n’intervienne plus dans les Républiques musulmanes comme la Mauritanie, l’Egypte... Puis, ils demandaient aussi la libération de leurs deux gros poissons, mais je ne me souviens plus vraiment de leurs noms.
La libération de deux de leurs combattants ?
Oui, mais des combattants-chefs. C’est pour cela que je dis « deux gros poissons ». Ils réclamaient aussi la libération de leurs chefs et d’une quarantaine de femmes et de leurs enfants.
Ils n’ont jamais évoqué la moindre rançon ou demande d’argent ?
C’est moi qui leur ai demandé: 'et la monnaie ?' Ils ont toujours décliné et dit que ce n’est pas ça qui les intéressait.
Vous étiez à Kano. Ils vous ont transféré à Zaria. Pourquoi vous ont-ils transféré et comment s’est passé ce transfert ?
Pour deux raisons. Parce que je m' étais aperçu où j’étais. Ils le savaient, parce que leur chef m’a posé la question et j’ai répondu : 'Il ne faut pas me prendre pour un idiot. Les deux bombes, j’ai écouté la radio.'
Il y avait des bombes qui ont explosé à Kano ?
Oui, fin juin, début juillet. Et vous sur RFI, vous avez communiqué. Les bombes ont explosé à 6h30, juste avant la tombée de la nuit, et je les ai entendues. Et à votre journal, j’ai aussi entendu que deux bombes avaient explosé à Kano. J’ai fait tout de suite la liaison. Comme quoi, RFI rend bien service. A Kano, c’était plus facile de m’évader. Je n’aurais eu qu'à passer le mur et à faire 800 mètres. Puis à me montrer ferme et convaincant face au militaire pour qu'il me protège. Ensuite j’ai appris par les « hommes de l'ombre » - comme je les appelle - qu’effectivement un échange était prévu à Kano mais il a échoué. Je ne sais pas si c'est parce qu' ils ont peut-être modifié ou changé les conditions de l'échange.
Les gens d’Ansaru vous expliquaient-ils le but de leur combat, de leurs revendications ?
Excepté au moment des vidéos et des demandes, non. Puis ils ne m’embêtaient pas parce que moi, j’étais très virulent dans mes propos. Quand ils ont pris la famille Moulin-Fournier et les enfants, je les ai agressé violemment. Je me disais quand même : 'Mais tu es fada, ils vont te tuer'. Je leur ai dit : 'Mais vous vous rendez compte, le monde entier est en train de vous regarder parce que vous prenez des gosses et une femme. C’est publié partout. Personne ne vous suivra'.
Qu’est-ce qu’ils ont répondu ?
'Ce n’est pas nous, c’est Boko Haram'. C’était la réponse facile. Mais effectivement, ce n’était pas eux, c’était Boko Haram.
Est-ce que vous retournerez en Afrique et au Nigeria ?
En Afrique oui. Au Nigeria je crois que tout le monde me prendrait pour un fada. Et je pense que ma femme partirait en courant et divorcerait alors qu’on a 35 ans de vie commune (rires).