Ghislaine Dupont, 51 ans, et Claude Verlon, 58 ans, envoyés spéciaux de RFI au Mali, ont été tués près de Kidal samedi 2 novembre. | AFP/-
Trois jours après l'enlèvement et l'assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux envoyés spéciaux de Radio France internationale (RFI) à Kidal, dans le nord du Mali, les services de renseignement français, soutenus par la force "Serval", en liaison avec des enquêteurs envoyés sur place par le parquet anti-terroriste de Paris, ont progressé dans leur enquête.
Selon des éléments obtenus par Le Monde, trois des quatre personnes ayant participé à la prise d'otage ont été identifiées. Elles ne figurent pas parmi celles arrêtées depuis dimanche. Selon une source locale à Kidal, confirmée par une source gouvernementale française, la mise au jour des profils de ces trois membres du groupe de preneurs d'otage a notamment été rendue possible grâce à un document découvert dans le véhicule trouvé à proximité des cadavres des deux journalistes.
Cette pièce a permis d'identifier un premier individu déjà fiché, en 2010, comme un membre d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), et de remonter sur deux autres membres du commando. Il est vite apparu que ces trois personnes étaient connues des services de renseignement français en opération au nord du Mali.
CONNUS DU RENSEIGNEMENT FRANÇAIS
En effet, trois des quatre ravisseurs, qui appartiennent à un même clan familial, ont été interrogés, à partir du mois de mai, et à plusieurs reprises, au cours des derniers mois, par les services de renseignement, avant d'êtrerelâchés. Ils s'étaient présentés d'eux-mêmes aux forces armées françaises après avoir fui les zones de combats.
De nombreux combattants ont ainsi été interrogés par des officiers de renseignement afin de collecter des informations utiles à la lutte contre la mouvance djihadiste dans la région et à la recherche des otages français détenus au Sahel.
Après vérification de leur parcours et leur éventuelle implication dans les combats contre la force Serval, ces trois personnes ont ensuite été laissées libres et sont restées à Kidal.
Elles ont fait partie des nombreux rebelles touareg ayant fait route commune avec les troupes d'AQMI qui ont, après le succès de l'opération militaire française Serval, opté, officiellement, pour la voie de la réconciliation inter-touareg au sein du Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA).
L'EXPÉRIENCE DE LA DGSE DANS LA RÉGION
Ce mouvement, créé au printemps 2013, a permis de réintégrer un certain nombre de Touareg partis combattre, notamment, avec Ansar Eddine, l'un des alliés d'AQMI. Le HCUA dispose d'un camp, à Kidal, dans lequel vivaient les trois suspects de l'enlèvement des deux journalistes de RFI.
Leurs comptes-rendus de leurs auditions et leurs photos, conservées après leur interrogatoire par les militaires français, ont été retrouvées, depuis, dans les fichiers des services de renseignement français au Mali.
La connaissance exacte du profil de ces personnes auditionnées n'est pas une tâche aisée même si les services secrets français, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), disposent d'une longue expérience dans la région et peuvent s'appuyer sur l'aide de certains groupes touareg comme le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA).
Les sans-grade comme les commandants des bataillons djihadistes combattus par la France et ses alliés depuis le 11 janvier, savent, en effet, dissimuler la réalité de leur rôle dans les rangs des katibas (brigade).
DES COMMANDOS DJIHADISTES
Selon certains éléments de l'enquête, les trois ravisseurs identifiés auraient combattu au sein de la katiba d'Abdelkrim al-Targui, l'un des chefs d'AQMI. Le nom du chef des ravisseurs était, par ailleurs, déjà apparu dans les recherches sur l'enlèvement, le 24 novembre 2011, à Hombori dans le nord du Mali, de Philippe Verdon, retrouvé mort le 6 juillet, et de son collègue Serge Lazarevic, toujours détenu.
Des parents des trois suspects identifiés sont actuellement détenus à Bamako, ce qui a fait émerger un motif éventuel de cette action menée contre les journalistes. L'enlèvement des deux confrères pourrait ainsi avoir été décidé, notamment, parce que la négociation ayant permis la libération des quatre derniers otages d'Arlit n'a pas inclus la remise en liberté de ces personnes emprisonnées à Bamako.
Cette explication n'est, en l'état de la connaissance des enquêteurs, qu'une hypothèse. Des informations, fournies au Monde, par un cadre du MNLA, indiquent que des commandos djihadistes ont, par ailleurs, été constitués après une réunion, à la frontière algérienne entre des membres de la katiba d'Abdelkrim al-Targui et celle créée par Abou Zeid, tué au printemps lors d'opérations militaires menées par les armées françaises et tchadiennes dans le nord-est du Mali.
TRAQUER LES COLLABORATEURS DES FRANÇAIS
Ces commandos auraient pour mission de traquer tous ceux qui collaborent avec les Français dans la région. Selon Iknane Ag Attaher, un cadre du MNLA, trois membres de son mouvement ont été assassinés la semaine dernière dans la région car ils étaient accusés d'informer la France sur les groupes proches d'AQMI.
"Depuis l'arrivée de la Minusma, la force de l'ONU, et le retour des autorités maliennes à Kidal, le MNLA n'a plus de responsabilité liée à la sécurité de la ville et des postes de contrôle ont été enlevés."
Les fidèles de la mouvance djihadiste avaient néanmoins commis des attentats même à l'époque où le MNLA était seul en charge du contrôle de la ville. Les ravisseurs des deux journalistes français ont, pour leur part, emprunté une sortie de Kidal située à 250 mètres d'un poste de la Minusma, et à 500 mètres du camp militaire où stationnent les forces françaises.
Sollicités, les porte-parole de la DGSE et du chef d'état-major des armées ont indiqué ne disposer d'aucun élément confirmant les informations livrées par Le Monde.
Jacques Follorou
Journaliste au Monde
Source: Le Monde