Mali : il est temps de reconnaître le peuple touareg !
Les frontières coloniales ont engendré moult conflits et devraient être plus conformes aux désirs des peuples, notamment afin d’éviter que ceux-ci se radicalisent... Le problème malien remonte à la création, en 1960, d’un État central tenu par la tribu noire-africaine des Bambara qui domine le Nord touareg.
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Peut-on faire encore comme si le peuple Touareg – et donc berbère - n’existait pas ? Peut-on encore nier que les frontières coloniales ont engendré moult conflits et qu’elles devraient être plus conformes aux désirs des peuples, notamment afin d’éviter que ceux-ci se radicalisent ? Les droits à l’autodétermination que la "communauté internationale" (en fait les États puissants de la planète) a accordé dans les années 1990-2010 aux séparatistes slovènes, croates, bosniaques ou albanophones face à l’Etat central serbo-yougoslave, ou encore aux chrétiens-animistes du Sud Soudan (désormais indépendant), longtemps massacrés par les Arabo-musulmans du Nord Soudan, peuvent-ils être refusés aux Berbères du Nord Mali ?
On peut répondre à cela que le droit international est fondé sur le sacro-saint dogme de "l’intangibilité des frontières", y compris celles qui sont le fruit d’un découpage colonial sommaire. Mais il est aussi clair que, faute de liquider physiquement les Maures et les Berbères du Nord Mali, honnis par les ethnies noires-africaines du Sud du pays, le fait de nier la "question touareg" et des minorités équivaudra à créer une "bombe identitaire à retardement" pour les futures générations maliennes.
Rappelons que les Touaregs du Mali sont membres de la grande famille des "Amazighs" et qu’ils parlent une langue berbérophone, le Tamasheq, qui vient lui-même du mot Tamazigh (berbère). Globalement, les Berbères vivent dans des États dominés soit par des nationalistes arabophones, soit par des tribus noires-africaines (Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Mauritanie, Niger, Mali, etc). La plupart du temps, ils sont contraints de parler l’arabe ou l’une des langues nationales africaines au détriment du Tamazigh ou du Tifinagh. Ils sont pris en tenailles entre l’arabisation intensive et la domination des noirs-africains, souvent descendants d’esclaves et donc épris de revanche...
Le problème de fond au Mali remonte donc à la création, en 1960, d’un État central tenu par la tribu noire-africaine des Bambara qui domine le Nord touareg et Maure. Car au Nord du Mali, bien qu’étant laïques et hostiles à l’islamisme radical, les Berbères touaregs cohabitent depuis longtemps avec des Arabophones maures bien plus islamisés et qui pourraient être des ennemis, mais qui sont comme eux perçus comme des intrus "blancs" par les ethnies noires africaines du Sud. Tandis que les Touaregs ont repris leurs aspirations autonomistes, les arabo-musulmans se sont réislamisés sous le double effet de la réislamisation de l’Etat malien lui-même et de l’influence du salafisme venu des pays du Golfe.
Ainsi, depuis les années 1980, avec le remplacement du panarabisme par le panislamisme, les indépendantistes berbères d’Afrique du Nord et sahélienne ont connu un vaste mouvement de réveil identitaire, fort bien décrit dans l’ouvrage du leader kabyle Ferhat Mehenni : Le siècle identitaire, la fin des empires post-coloniaux (éditions Michalon, 2010), qui explique que la démocratisation couplé au réveil des identités et aux moyens de communication modernes aboutira tôt ou tard à une redéfinition des frontières post-coloniales, ce qui célébrera enfin, selon lui, la "seconde décolonisation".
Les mouvements laïcs touaregs du Nord étant traditionnellement hostiles à l’islamisme, le fait que certains de leurs groupes rebelles aient rejoint des "terroristes islamiques" arabophones a semblé paradoxal. Mais il convient de distinguer entre l’internationale islamiste salafiste, composée de groupes algériens et locaux comme AQMI et le Mujao (Maures arabophones), plus ou moins affiliés à Al-Qaïda, et l’islamisme malien plus spécifiquement touareg comme Ansar Dine. Clef du problème, ce mouvement dirigé par l’ancien leader de la rébellion touareg des années 2000, Yad Ag Ghali, a été co-créé très récemment par le régime algérien, qui voulait ainsi affaiblir le mouvement touareg laïque du MNLA et qui craignait plus que tout la création d’un Etat berbère à ses portes, susceptible de réveiller les vélléités indépendantistes des Kabyles algériens.
Rappelons que lorsque le MNLA conquit tout le Nord Mali en mars 2012, l’armée malienne décampa et ne combattit même pas les Touaregs. L’intégrité du Mali avait déjà volé en éclat. Dans ce contexte fort préoccupant pour Alger, le chef d’Ansar Dine, Yad Ag Ghali, ex-leader touareg de la rébellion de 2006 qui conclut un accord de paix avec Etat malien en 2009, enragé de ne pas avoir été choisi pour diriger le MNLA par la jeune garde du mouvement touareg laïque, accepta la proposition d’Alger de créer une nouvelle entité islamiste touareg suffisamment bien dotée militairement et financièrement par Alger, le Qatar et l’Arabie saoudite pour réussir à annuler la victoire des Touaregs laïques et créer un prétexte pour discréditer le nouvel Etat berbère du Nord, devenu un “fief d’Al-Qaïda”...
L’intérêt commun d’Alger et des monarchies islamistes du Golfe étant de couper l’herbe sous le pied aux révolutionnaires laïques touaregs. Abandonné à la fois par les capitales africaines, occidentales et arabes, le MNLA dut donc affronter seul tous les mouvements islamo-terroristes (AQMI – MUJAO -Ansar Dine) lourdement armés et financés pas seulement par la drogue et les prises d’otage mais par les pétromarchies salafistes du Golfe qui leur ont ainsi permis de recruter d’anciens combattants MNLA alléchés par l’argent salafiste... C’est ainsi qu’en quelques mois, le MNLA s’est fait voler sa victoire par les islamo-terroristes et a tenté de "sauver les meubles" en contractant une alliance tactique, certes contre-nature, avec les Salafistes, ceci en échange de droits culturels. Pour le leader du Mouvement mondial berbère, Belkacem Lounès, l’Algerie de Boutéflika a donc joué un jeu plus que trouble, en démontrant, par son pouvoir de nuisance, qu’aucune paix n’étant souhaitable sans Alger. Selon Lounès, "si il ne s’agissait que d’un conflit entre Touaregs et l’Etat malien, la question serait déjà réglée depuis longtemps, car les Touaregs sont légitimes au Nord Mali et ont droit à une auto-détermination, leur capacité combattante leur permettant de repousser l’armée malienne et donc d’avoir l’avantage sur le terrain. Sans l’action extérieure d’Alger et des pays arabo-musulmans du Golfe, qui tirent les ficelles des mouvements islamistes du Nord Mali et d’ailleurs, ennemis fort "utiles" pour discréditer l’autodétermination des Touaregs, l’équation malienne serait moins difficile à résoudre…".En conclusion, on ne pourra pas éradiquer les fondements du terrorisme islamiste au Nord Mali par une simple intervention militaire venant en appui d’un Etat central malien divisé et considéré comme hosile et illégitime par le Nord. Aucune solution de long terme n’est viable si elle nie la volonté d’autodétermination des Touaregs de l’Azawad, et donc si elle n’a n’associe pas réellement le MLNA aux discussions et aux opérations sur le terrain. Pour l’heure, l’intervention française n’a pas réconcilié les deux parties, car depuis qu’ils sont libérés des Jihadistes, les Touaregs et Maures du Nord Mali subissent des représailles d’une extrême violence de la part des Maliens noirs revanchards du Sud, ce qui ne risque pas de favoriser la paix…
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Alexandre Del Valle
Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Éditorialiste à France Soir, il enseigne les relations internationales à l'Université de Metz et est chercheur associé à l'Institut Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique.
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