Alors que l'opération militaire française semblait achevée avec la prise symbolique de la ville de Tombouctou dans la nuit du 27 au 28 janvier, l'arrivée des troupes françaises dans Kidal, mercredi 30 janvier, constitue une surprise, d'autant qu'elle s'est effectuée en l'absence de soldats de l'armée régulière malienne.
"Libérer Gao et Tombouctou très rapidement faisait partie du plan", a confié au journal Le Parisien le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Maintenant, c'est aux pays africains de prendre le relais. Nous avons décidé de mettre les moyens en hommes et en matériel pour réussir cette mission et frapper fort. Mais le dispositif français n'a pas vocation à être maintenu. Nous partirons rapidement."
Reste que le déploiement annoncé de quelque 8 000 soldats africains au Mali n'a toujours pas été enclenché. En attendant le passage de témoin, quelle stratégie la France entend-elle désormais mettre en œuvre ? Comment compte-t-elle sécuriser une région où la fuite de chefs djihadistes vers les montagnes proches de la frontière algérienne peut laisser craindre des opérations terroristes d’envergure ? Réponses avec Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains (Cémaf).
FRANCE 24 : Avec la reconquête de Kidal, dernière grande ville du Nord-Mali encore aux mains des islamistes et bastion des Touareg, l’armée française peut-elle clamer victoire ?
Pierre Boilley : Gao, Tombouctou, Ménaka et maintenant Kidal, toutes ces grandes villes du Nord où les salafistes imposaient leur violente charia, sont désormais sous contrôle soit des armées malienne et française, soit de l’armée française seule. Les islamistes ont essuyé d’importantes pertes. Les Français ont infligé de gros dégâts sur leur convoi de pick-up.
Au moins l’intervention française a-t-elle permis de débloquer la situation dans une région occupée par des islamistes. Maintenant, il est prématuré de dire que la France a remporté la guerre car si elle ne prend pas toutes les précautions pour gagner la paix, ce sera un échec.
De fait, les djihadistes ne sont plus présents dans le paysage, mais, en réalité, il va encore falloir compter avec eux.
F24 : Les troupes françaises vont-elles tenter de traquer les chefs djihadistes, tels Iyad Ag Ghaly d'Ansar Dine ou Abou Zeïd d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui se sont repliés vers les montagnes proches de la frontière algérienne ?
P. B. : La présence de djihadistes dans la montagne pose un problème évident parce que ces gens ont un pouvoir et une volonté de nuisance importants. Je doute, en revanche, que la France, en tant que puissance militaire telle qu’elle est organisée actuellement, ait les atouts suffisants pour pouvoir passer des mois et des mois dans les montagnes à traquer tel ou tel islamiste. Des forces du Nord, tel que les Touareg du MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad, NDLR] qui ont proposé leurs services et connaissent bien le terrain et la population, auraient davantage de chance d’arriver à débusquer les djihadistes.
F24 : Paris affirme mettre tout en œuvre, justement, pour avoir des relations de bonne intelligence avec les Touareg. La France peut-elle s’attacher l’aide de groupes qui, un temps, se sont alliés avec les islamistes pour conquérir le nord du Mali ?
P. B. : À partir du moment où le MNLA a proposé ses services, où il est prêt à négocier, où il a prouvé qu’il ne s’inscrivait pas dans un islamisme extrémiste, on peut penser avec raison, pragmatisme et intelligence se servir de ses forces pour continuer le travail tout en leur donnant la possibilité de négocier avec Bamako.
L’armée française devra, elle, rester présente dans la région afin de surveiller la situation. Avec ses moyens de renseignements, elle peut détecter n’importe quel rassemblement de pick-up et, par conséquent, éviter d’éventuelles opérations kamikazes.
F24 : Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a pourtant indiqué que les troupes françaises allaient quitter "rapidement" le Mali pour céder la place à une force africaine...
P. B. : Il faudrait, à mon avis, être un petit peu plus prudent. On ne peut pas laisser les forces africaines régler seules le problème. Il faut se rendre compte que l’armée malienne et le MNLA se sont opposées plusieurs mois et nourrissent, l’un envers l’autre, un ressentiment réciproque. Il existe un fort désir de revanche de la part de l’armée malienne qui risque de déraper sérieusement si elle se retrouve seule dans les régions du Nord. On pourrait voir se multiplier des exactions contre des civils comme cela s’est produit à Gao ou à Tombouctou. On peut craindre également un déchaînement de violences ne pousse le MNLA à reprendre les armes pour défendre les populations et à un exil accéléré des populations du Nord.
J’ai tendance à penser sérieusement que l’armée française est volontairement intervenue seule à Kidal afin d’éviter ces tensions. La situation dans le Nord n’est pas stable du tout. La présence des Français me semble indispensable encore un certain temps comme force de stabilisation ou de sécurisation de sorte à ce qu’on n’assiste pas à de nouveaux affrontements africano-africains. Si la France ne parvient à prévenir les affrontements inter-culturels et inter-communautaires, à éviter les vengeances, les rancœurs et les chasses aux faciès, elle se retrouvera alors avec du sang sur les mains et sera tenue de se justifier.
"Libérer Gao et Tombouctou très rapidement faisait partie du plan", a confié au journal Le Parisien le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Maintenant, c'est aux pays africains de prendre le relais. Nous avons décidé de mettre les moyens en hommes et en matériel pour réussir cette mission et frapper fort. Mais le dispositif français n'a pas vocation à être maintenu. Nous partirons rapidement."
Reste que le déploiement annoncé de quelque 8 000 soldats africains au Mali n'a toujours pas été enclenché. En attendant le passage de témoin, quelle stratégie la France entend-elle désormais mettre en œuvre ? Comment compte-t-elle sécuriser une région où la fuite de chefs djihadistes vers les montagnes proches de la frontière algérienne peut laisser craindre des opérations terroristes d’envergure ? Réponses avec Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains (Cémaf).
FRANCE 24 : Avec la reconquête de Kidal, dernière grande ville du Nord-Mali encore aux mains des islamistes et bastion des Touareg, l’armée française peut-elle clamer victoire ?
Pierre Boilley : Gao, Tombouctou, Ménaka et maintenant Kidal, toutes ces grandes villes du Nord où les salafistes imposaient leur violente charia, sont désormais sous contrôle soit des armées malienne et française, soit de l’armée française seule. Les islamistes ont essuyé d’importantes pertes. Les Français ont infligé de gros dégâts sur leur convoi de pick-up.
Au moins l’intervention française a-t-elle permis de débloquer la situation dans une région occupée par des islamistes. Maintenant, il est prématuré de dire que la France a remporté la guerre car si elle ne prend pas toutes les précautions pour gagner la paix, ce sera un échec.
De fait, les djihadistes ne sont plus présents dans le paysage, mais, en réalité, il va encore falloir compter avec eux.
F24 : Les troupes françaises vont-elles tenter de traquer les chefs djihadistes, tels Iyad Ag Ghaly d'Ansar Dine ou Abou Zeïd d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui se sont repliés vers les montagnes proches de la frontière algérienne ?
P. B. : La présence de djihadistes dans la montagne pose un problème évident parce que ces gens ont un pouvoir et une volonté de nuisance importants. Je doute, en revanche, que la France, en tant que puissance militaire telle qu’elle est organisée actuellement, ait les atouts suffisants pour pouvoir passer des mois et des mois dans les montagnes à traquer tel ou tel islamiste. Des forces du Nord, tel que les Touareg du MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad, NDLR] qui ont proposé leurs services et connaissent bien le terrain et la population, auraient davantage de chance d’arriver à débusquer les djihadistes.
F24 : Paris affirme mettre tout en œuvre, justement, pour avoir des relations de bonne intelligence avec les Touareg. La France peut-elle s’attacher l’aide de groupes qui, un temps, se sont alliés avec les islamistes pour conquérir le nord du Mali ?
P. B. : À partir du moment où le MNLA a proposé ses services, où il est prêt à négocier, où il a prouvé qu’il ne s’inscrivait pas dans un islamisme extrémiste, on peut penser avec raison, pragmatisme et intelligence se servir de ses forces pour continuer le travail tout en leur donnant la possibilité de négocier avec Bamako.
L’armée française devra, elle, rester présente dans la région afin de surveiller la situation. Avec ses moyens de renseignements, elle peut détecter n’importe quel rassemblement de pick-up et, par conséquent, éviter d’éventuelles opérations kamikazes.
F24 : Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a pourtant indiqué que les troupes françaises allaient quitter "rapidement" le Mali pour céder la place à une force africaine...
P. B. : Il faudrait, à mon avis, être un petit peu plus prudent. On ne peut pas laisser les forces africaines régler seules le problème. Il faut se rendre compte que l’armée malienne et le MNLA se sont opposées plusieurs mois et nourrissent, l’un envers l’autre, un ressentiment réciproque. Il existe un fort désir de revanche de la part de l’armée malienne qui risque de déraper sérieusement si elle se retrouve seule dans les régions du Nord. On pourrait voir se multiplier des exactions contre des civils comme cela s’est produit à Gao ou à Tombouctou. On peut craindre également un déchaînement de violences ne pousse le MNLA à reprendre les armes pour défendre les populations et à un exil accéléré des populations du Nord.
J’ai tendance à penser sérieusement que l’armée française est volontairement intervenue seule à Kidal afin d’éviter ces tensions. La situation dans le Nord n’est pas stable du tout. La présence des Français me semble indispensable encore un certain temps comme force de stabilisation ou de sécurisation de sorte à ce qu’on n’assiste pas à de nouveaux affrontements africano-africains. Si la France ne parvient à prévenir les affrontements inter-culturels et inter-communautaires, à éviter les vengeances, les rancœurs et les chasses aux faciès, elle se retrouvera alors avec du sang sur les mains et sera tenue de se justifier.