Nous publions ci-après un article de Salem Chaker et Masin Ferkal, paru dans la revue Politique Africainen° 125" consacré essentiellement à la Libye. Le dossier "La Libye révolutionnaire" est coordonné par Ali Bensaâd.
Pour plus d’information sur ce numéro ainsi que son sommaire, n’hésitez pas à consulter le site de la revue : Politique Africaine
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L’article présente d’abord l’implantation géographique des Berbères, concentrés dans le nord-ouest de la Libye, et avance une estimation de leur poids démographique :
environ 10 % de la population. Il rappelle ensuite la doctrine de la Jamahiriya – les Libyens sont arabes et musulmans – et celle de Kadhafi, plus nette encore : pour lui, les Berbères sont des Arabes. En conséquence, la gestion politique du paramètre berbère se résume à l’exclusion et à la répression. Dans la dynamique révolutionnaire, le positionnement des Berbères est marqué par une berbérité affichée et revendiquée, face à un Conseil national de transition majoritairement arabophone et islamiste.
Le projet de constitution et le gouvernement intérimaire, qui n’accordent aucune place aux Berbères, créent une situation de tension qui pourrait devenir conflictuelle.
Les événements de Libye depuis février 2011, qui ont abouti à la chute du régime de Kadhafi, ont mis en lumière le rôle considérable des Berbères, notamment ceux du Djebel Nefoussa, dans la lutte contre le régime. Sur le "front de l’ouest" (Tripolitaine), l’engagement militaire des Berbères a représenté une contribution décisive à l’effondrement final du régime et à la prise de Tripoli. On laissera aux experts de la chose militaire le soin d’établir le détail tactique et logistique du dossier, mais cette période révolutionnaire anti-Kadhafi a été marquée par un engagement vigoureux des Berbères libyens en faveur de la défense de leur identité linguistique et culturelle. Cette donnée ne peut laisser indifférent car elle pourrait avoir un impact lourd sur les développements, proches et lointains, du paysage politique du pays. D’autant que le phénomène était jusque-là largement ignoré [1] : seules quelques publications militantes d’exilés berbères libyens [2] et des cas de répression anti-berbères, à Zouara et dans le Djebel Nefoussa, dont l’ampleur était mal connue, permettaient de supposer l’existence d’un mouvement revendicatif berbère en Libye. On pouvait aussi le soupçonner, en creux, à travers l’insistance quasi-obsessionnelle du régime et de Kadhafi lui-même à affirmer l’identité arabe de la Libye, y compris avant la conquête arabe, comme cela sera illustré plus loin.
(© K. Naït-Zerrad, Inalco, Paris).
Les données du terrain : la berbérophonie libyenne
La berbérophonie libyenne est sous-documentée et mal connue, surtout dans les sources de langue française. En matière de langue berbère de Libye, à l’exception de quelques références très anciennes (fin du XIXe et tout début du XXe siècle) et des travaux de Jacques Lanfry sur Ghadamès [3], l’essentiel des sources est, sans surprise, d’origine italienne. La situation sociolinguistique du berbère est encore plus mal connue et les observations scientifiques récentes sur cet aspect des choses quasiment inexistantes.Pour l’essentiel, on s’appuie donc sur les travaux des linguistes italiens, déjà bien anciens (Francesco Beguinot [4], Gennaro Buselli [5] ; Fernando Zanon [6]) ou ponctuels et très spécialisés (Luigi Serra [7], Vermondo Brugnatelli [8]), ou sur les travaux de géographes comme Jean Despois [9], Danielle Bisson, Jean Bisson et Jacques Fontaine [10], souvent peu précis sur les questions sociolinguistiques.
L’ouvrage de Jean Despois est une exception notable sur ce plan, mais, outre son ancienneté (1935), il ne concerne que le Djebel Nefoussa. Ceci amène aussi à souligner que la quasi-totalité des travaux de sciences sociales sur la Libye contemporaine sont muets sur le paramètre berbère. Le paradigme de la "Révolution libyenne" ignorant totalement les réalités berbères sauf éventuellement pour les condamner et les disqualifier comme "ennemis de la Nation arabe et instruments du colonialisme et l’impérialisme [11]", les observateurs occidentaux de la Libye de Kadhafi ne mentionnent quasiment jamais les Berbères comme acteurs sociaux ou politiques. À leur décharge, il faut dire que le régime libyen de Kadhafi était l’un des plus opaques du monde arabo-musulman. Comme l’écrivaient les rédacteurs réguliers de la "Chronique Libye" de l’Annuaire de l’Afrique du Nord : "Il est difficile de savoir quelque chose de précis sur l’opposition au régime de la Jamahiriya : d’une part, elle est secrète ; d’autre part, l’information libyenne en minimise l’importance, quand elle ne cherche pas à dénaturer complètement ses manifestations et ses objectifs [12]". Le régime était aussi l’un des plus répressifs du monde arabe : "En Libye, toute manifestation d’hostilité ouverte contre le régime est impensable depuis des années. La loi punit de mort toute prise de position contraire à la Révolution [13]".
Pourtant la berbérophonie libyenne n’est pas insignifiante. L’essentiel en est concentré à l’ouest, avec Zouara (At Willul en berbère) sur la côte méditerranéenne et, au sud-ouest de Tripoli, une grande partie du Djebel Nefoussa (Adrar n Infusen en berbère), surtout à l’ouest et au centre du massif, de Nalut à Yefren. Le Djebel Nefoussa représente le plus important ensemble berbérophone libyen [14]. À noter également : au sud-ouest, à la rencontre des frontières algéro-tuniso-libyenne, l’oasis de Ghadamès ; plus au sud, le long de la frontière algérienne jusqu’à celle du Niger, avec Ghat comme centre urbain historique, on trouve les Touaregs Kel Ajjer, dont la confédération est à cheval sur la Libye et l’Algérie. Toujours en région saharienne, au centre et à l’est du pays, dans des zones traditionnellement parcourues par des nomades arabophones, on trouve trois oasis isolées dont la population locale a (ou avait) le berbère comme langue première : El-Foqaha, Sokna et Augila. Sur les deux premières, on manque d’observations récentes quant au maintien de l’usage du berbère : les linguistes qui en ont décrit les parlers les signalaient "en voie de disparation" [15], mais ces prédictions semblent infirmées par des témoignages récents.
L’évaluation démographique de cette population berbérophone est difficile – quasiment une gageure – puisqu’ici comme partout ailleurs en Afrique du Nord, il n’existe pas de recensements linguistiques. L’estimation ne peut reposer que sur l’extrapolation à partir des données démographiques des géographes et des sources officielles libyennes. On avancera, prudemment, un pourcentage de l’ordre d’un peu plus de 10 % de la population globale, dont la grande majorité se situe dans le binôme Zouara-Nefoussa ; soit un total qui avoisine les 700 000 sur les quelque 6,6 millions d’habitants que compte la Libye.
La berbérophonie libyenne est donc essentiellement concentrée à l’ouest du pays. Au nord-ouest, l’ensemble Zouara-Nefoussa est composé de sédentaires majoritairement ibadites [16]. L’économie traditionnelle du Djebel Nefoussa a longtemps été fondée sur une agriculture irriguée de moyenne montagne bénéficiant des influences méditerranéennes, complétée par un élevage transhumant sur les rebords méridionaux plus désertiques du massif. Zouara, petite ville côtière, vivait autrefois essentiellement de la pêche. Ces régions ont connu depuis un demi-siècle des mutations socio-économiques considérables induites par l’industrialisation et l’urbanisation de la Libye. Le Djebel Nefoussa notamment a été touché par un important mouvement d’exode vers les villes, principalement Tripoli, surtout dans les années 1960 et 1970 qui ont été caractérisées par un développement très rapide des villes côtières [17] : le pays qui était rural et nomade à plus de 85 % en 1950 a désormais un taux d’urbains supérieur à 85 % ! Il existe donc une diaspora berbère (essentiellement originaire du Djebel Nefoussa) non négligeable dans toutes les villes côtières de Tripolitaine. Au sud-ouest, la petite population touarègue, dont la langue est une variété régionale assez spécifique du berbère, appartient à la tradition nomade saharienne, qui vivait en complémentarité économique et socioculturelle avec des pôles urbains souvent très anciens comme Ghat, Djanet, Ghadamès, Agadès et les autres villes étapes du commerce caravanier qui reliait les côtes méditerranéennes à l’Afrique noire. Elle est maintenant largement sédentarisée, mais elle conserve des liens humains, culturels, politiques et économiques étroits avec le reste de l’ensemble touareg (Algérie, Niger, Mali…). La partie libyenne des Touaregs Kel Ajjer ne doit guère compter plus de quelques dizaines de milliers d’individus ; mais après 1974, dans le contexte des sécheresses répétées qui ont sévi au Sahel, la répression menée par les armées nationales a poussé de nombreux Touaregs du Niger et du Mali à chercher refuge en Libye [18] où certains ont été enrôlés dans les troupes de Kadhafi pour servir d’instruments à son action politico-militaire dans les régions sahéliennes [19] ; il s’agit là d’une population fluctuante non stabilisée. De ce fait, le cas des Touaregs en Libye relève d’une approche spécifique, leur rapport au régime de Kadhafi étant divers, voire contradictoire, selon les groupes et segments de population concernés : Kadhafi lui-même – réminiscence ou instrumentalisation de sa "fibre nomade" – a vu en eux "les fils libres de la Nation arabe" [20], mobilisables et mobilisés pour ses projets de mainmise et/ou de déstabilisation des pays sahéliens à partir de la fin des années 1970. Mais la masse de manoeuvre dans ses "entreprises sahariennes" était constituée de Ishumar [21], jeunes Touaregs du Niger et du Mali en déshérence, fuyant la misère et la répression, à la recherche d’horizons de survie nouveaux et donc proies faciles pour un régime riche de ses pétrodollars qui les recrutait comme mercenaires. En revanche, la région touarègue libyenne proprement dite est restée, en comparaison avec les régions littorales du nord de la Libye, dans une situation de sous-développement structurel. Sur le plan culturel et identitaire, pour Kadhafi, les Touaregs sont d’authentiques Arabes et il n’a jamais été question de reconnaissance ou de promotion de leur langue et de leur culture propres. Du reste, on peut noter que les Touaregs libyens se sont impliqués dans les mobilisations et manifestations berbères de la fin de l’année 2011 (voir ci-dessous).
C’est essentiellement dans le bloc nord-ouest Nefoussa-Zouara que l’on décèle, dès les années 1980, des formes de résistance berbère de nature culturelle. Il est probable que cette émergence culturelle berbère y est confortée par l’ibadisme majoritaire, qui constitue un facteur de renforcement de la conscience d’une spécificité ethnoculturelle dans l’ensemble libyen, majoritairement arabophone et sunnite. Le contenu et les options des publications des groupes berbères libyens exilés signalées ci-dessus révèlent aussi que l’impact du mouvement berbère de Kabylie y a été très sensible à partir de 1980. On sait par ailleurs que des contacts, discrets mais réguliers, avec la militance kabyle et plus largement algéro-marocaine ont été tissés au cours des trois dernières décennies ; en témoignent la présence régulière de militants berbères libyens à Tizi-Ouzou à l’occasion de la commémoration annuelle du "Printemps berbère" [22], des contacts entre militants en Europe (France, Angleterre) et la présence – toujours très discrète, le risque répressif étant majeur – de Libyens à l’occasion des différentes rencontres du Congrès mondial amazigh [23], depuis la première en 1997 à Tafira aux Canaries.
Vu la répression qui a sévi dans le pays pendant toute la période kadhafienne, on manque de données objectives et d’études précises quant à l’ancrage social de la revendication berbère. Néanmoins, l’observation du terrain lors de l’insurrection de 2011 permet d’affirmer que la population berbère est largement mobilisée, toutes couches et classes d’âges confondues – y compris les femmes à travers de nombreuses associations spécifiques – et que si, tout naturellement, les groupes combattants berbères sont constitués essentiellement de jeunes gens, leur encadrement – les commandants militaires – est très souvent d’âge mûr.
La Libye de Kadhafi et les Berbères : la doctrine
La doctrine et le discours de Kadhafi et de son régime sont bien documentés et tout à fait explicites sur le sujet : la Libye appartient à la Nation arabe et islamique. Il suffira de se référer aux instruments idéologiques et juridiques du régime du Guide de la Révolution, dès 1969 : "La religion de l’État est l’islam et l’arabe sa langue officielle [24]" ; "Il s’agit de former de futurs citoyens croyant en leur religion islamique et fiers de leur arabité [25]" ; "[…] les citoyens de Libye ont la même origine, parlent la même langue et professent la même religion [26]". La parole de Kadhafi lui-même à l’égard des Berbères n’a jamais fait dans la nuance et l’on peut constituer une véritable anthologie de ses déclarations sur les Berbères et la langue berbère, régulièrement exclus et condamnés (discours de 1985, 1997, 2007…) : "La Libye est un pays arabe.Quiconque prétend le contraire et se revendique non-arabe n’a qu’à quitter le pays [27] ; "La prétention à vouloir utiliser et maintenir le berbère est une prétention réactionnaire, inspirée par le colonialisme… [28]".
Comme on le sait, l’inspiration pan-arabiste a été fondatrice chez Kadhafi qui a longtemps poursuivi le rêve de l’unification du monde arabe [29]. Cet arabisme a cependant été marqué dès l’origine – comme dans la plupart des courants arabistes d’Afrique du Nord – par une inflexion islamique, particulièrement nette en comparaison avec son inspirateur premier, le raïs égyptien Gamal Abdel Nasser : "Arabité et islam sont étroitement identifiés chez Qadhafi. Il n’hésitera donc jamais à critiquer le fait que des Arabes puissent être de confession chrétienne […] [30]". On peut même qualifier l’arabisme de Kadhafi de "racial" à l’encontre des musulmans non-arabes, qui sont expressément considérés comme inférieurs et constituant un "second cercle" au sein de l’islam, comme à l’égard des Berbères dont le dictateur libyen a luimême, à de nombreuses occasions, affirmé "l’origine et l’identité arabes" en se référant aux mythes arabes médiévaux sur l’origine des Berbères [31]. Et le maître a eu naturellement des émules zélés : dans les travaux des historiens et linguistes libyens, ces thèses ont été systématiquement reprises et considérées comme des vérités scientifiques. On en trouvera une belle illustration dans la revue française Dossiers d’archéologie, sous la plume de Ali El Khadoury, haut responsable de l’archéologie libyenne et proche de Kadhafi, qui parlait tranquillement de "l’ère des tribus arabes libyennes, qui date de 4 000 ans av. J.‑C.", et plus loin des "Nasamons, Maques, Austuriens, ces anciennes tribus arabes libyennes" [32], alors que ces peuples sont documentés par les sources grecques et latines plusieurs siècles avant l’arrivée des Arabes en Afrique du Nord ! Pour ce qui est de la langue berbère, les travaux des linguistes officiels relèvent de la même veine [33].
Cet arabisme kadhafien n’est donc pas seulement autoritaire, xénophobe, anti-occidental et antisémite, il est fondamentalement racialiste, sinon raciste, en ce que sa doctrine se fonde sur la prééminence ontologique des Arabes.
La gestion politique : contrôle sévère et répression
La répression et la torture ainsi que les exécutions sommaires ont été des pratiques courantes dans la Libye de Kadhafi. Toute opposition ou toute voix tentant d’exprimer des points de vue différents de ceux dictés par le Guide de la Révolution et ses appareils relais était réprimée de la manière la plus expéditive. Comme tous les autres "opposants", les berbérophones furent l’une des cibles du régime, qui n’admettait pas que l’arabité de la Libye puisse être remise en cause. Les Berbères qui refusaient l’assimilation ou qui manifestaient un attachement à leur langue et à leur culture étaient quotidiennement menacés par le régime libyen à travers son réseau de comités révolutionnaires locaux. Un inventaire exhaustif des actes de répression anti-berbère reste à faire, mais on en connaît des cas précisément identifiés : arrestations arbitraires, disparitions et assassinats ciblés d’intellectuels berbères [34], en particulier des spécialistes de l’ibadisme ou des militants ayant eu des contacts avec la militance kabyle ; destruction d’archives et de biens culturels ibadites…On rappellera ici surtout quelques mesures institutionnelles :
– Le berbère est bien entendu exclu de tout le système éducatif – de l’enseignement primaire à l’université –, des médias, de l’édition et de toutes les activités publiques officielles.
– L’usage de la langue berbère est prohibé dans tous les lieux publics : "Il est interdit d’utiliser une langue autre que la langue arabe dans les diverses relations administratives locales [35]".
– La loi n° 24-1994 interdit aux parents de donner des prénoms berbères à leurs enfants.
– Les pratiques religieuses des berbérophones (ibadisme, voir note 16) sont réprimées : tous ceux qui ont mené des recherches sur l’ibadisme ou qui ont écrit ou tenté d’écrire sur le sujet ont été durement réprimés.
– Les toponymes berbères sont quasi systématiquement arabisés. Ainsi, sur les cartes officielles, Adrar n Infusen/Djebel Nefoussa est devenu "Djabal Gharbî"… À Ifrane, une place nommée Trumit ("La romaine/La chrétienne") devient Maydan al-’uruba ("Place de l’arabité").
Les Berbères dans la dynamique révolutionnaire
Les contacts avec les acteurs et responsables berbères, politiques et militaires, ont été poursuivis depuis et ont permis de rassembler une importante documentation émanant de la militance berbère. Les pièces politiquement les plus importantes sont fournies en annexe. S’agissant d’une actualité "chaude", on manque évidemment de recul pour évaluer précisément le poids réel, politique et militaire, de la "poussée berbère", d’autant, comme on l’a mentionné précédemment, que la question n’était absolument pas documentée antérieurement.
Il est donc difficile pour l’heure de proposer une analyse sociopolitique fouillée de cette irruption berbère. Néanmoins, de tous les éléments observés, il ressort que l’on a affaire en Libye à une berbérité affichée et expressément revendiquée.
Dès février 2011, lorsque les Berbères du Djebel Nefoussa et de Zouara se sont joints à l’insurrection, la quasi-totalité des déclarations officielles des groupes locaux d’insurgés ont été faites en berbère ou ont été traduites de manière simultanée de l’arabe. Les édifices publics symbolisant Kadhafi et son régime furent saccagés, des panneaux en tifinagh et des "Z" en tifinagh (Z, deuxième consonne et médiane du mot "amazigh" noté selon la norme traditionnelle consonantique de l’écriture berbère : M Z Gh, symbole identitaire universellement adopté par la militance berbère) sont apparus sur les murs des villes et villages.
Lorsque la population prit les armes pour faire face aux troupes kadhafistes, les véhicules utilisés par les combattants du Djebel Nefoussa portaient tous des inscriptions en tifinagh. Des autocollants imprimés, apposés notamment sur les portières des véhicules, portaient la mention Igrawliyen n Adrar n Infusen("Révolutionnaires du Djebel Nefoussa") en tamazight [36] transcrit en caractères tifinagh, avec l’équivalent en arabe placé en dessous.
Dès les tout premiers moments de la révolte, de nombreux jeunes ont confectionné des tee-shirts portant la lettre tifinagh "Z". On pouvait d’ailleurs l’observer dans la quasi-totalité des reportages réalisés sur place par les télévisions étrangères, notamment Al Jazeera : les combattants portaient des tee-shirts et/ou des casquettes avec des symboles amazighs, certains la lettre , d’autres des drapeaux amazighs sur le dos, d’autres divers textes en tifinagh.
Lorsque les troupes kadhafistes furent repoussées des villes et villages du Djebel Nefoussa et que la population eut pris le contrôle du territoire, elle mit en place diverses institutions et organisations provisoires. L’expression en langue amazighe s’y est immédiatement imposée. Les Conseils locaux de transition ont fait du tamazight l’une de leurs langues de travail. Leurs logos et chartes graphiques portaient systématiquement des mentions en alphabet tifinagh. L’ensemble des documents officiels sont rédigés en tamazight et en arabe. Sur le centre de commandement militaire d’Ifrane, dès juillet 2011, un drapeau amazigh flottait aux côtés du nouveau drapeau libyen. Immédiatement après la libération de la ville, un bâtiment fut utilisé pour accueillir le Centre d’information d’At-Yefren, qui en plus de son rôle propre, abrite diverses associations de la société civile : toutes ont le tamazight au centre de leurs activités (enseignement de la langue, promotion de l’art, travail sur la toponymie, etc.). Les langues de travail du Centre d’information comme de ces associations sont conjointement le berbère et l’arabe. Leurs documents sont systématiquement écrits dans les deux langues, avec parfois l’anglais comme troisième langue. Le tamazight est toujours placé en première position.
Les lieux publics sont nommés en premier en berbère. C’est le cas, toujours à Ifrane, de cet espace nomméTaddart n Tlelli ("Maison de la Liberté"), un ancien bâtiment officiel que le régime de Kadhafi utilisait pour sa propagande. Dans nombre de villes comme Jadu, Ifrane ou Kabaw, des associations enseignent régulièrement depuis le printemps 2011 le tamazight aux enfants.
À At-Willul (Zouara), le même constat peut être fait : la langue berbère est présente sur nombre d’enseignes dans les espaces publics. Dans les bureaux du Commandement militaire d’At-Willul, la langue de communication était le berbère ; les échanges entre le Commandant et les autres militaires se déroulaient entièrement en berbère.
Berbérité et langue berbère : une affirmation très explicite
Le drapeau berbère (frappé du en son centre) est apparu dans les années 1970 dans les milieux militants berbéristes kabyles ; il devient un symbole commun de toute la militance berbère après la réunion de 1997 du Congrès mondial amazigh (Tafira, Canaries). En Libye, ce drapeau apparaît très rapidement pendant la guerre puis se répand après la libération : on le trouve partout, y compris à Tripoli où il est vendu par les jeunes qui tiennent des petites tables de souvenirs sur la Place des Martyrs. Il est mis sur les toits des maisons, dans les rues, souvent à côté du drapeau de l’indépendance ; des commerçants mettent la devanture de leur magasin aux couleurs du drapeau amazigh, d’autres l’accrochent à l’intérieur de leur magasin. On peut voir dans cet affichage très ostentatoire un signe de l’enracinement du sentiment identitaire au sein des populations berbères ; ce drapeau, pour ses créateurs comme pour ses utilisateurs, est le symbole de Tamazgha, "la Berbérie", et du caractère fondamentalement berbère de l’Afrique du Nord.
La référence à la langue berbère a été elle aussi, dès le début de l’insurrection, tout à fait explicite. Lors des moments les plus difficiles, au printemps 2011, sous le feu des forces kadhafistes, le berbère a été utilisé et revendiqué aussi bien parmi les combattants en Libye que parmi les nombreux réfugiés en Tunisie. Dès les premières vagues d’arrivants en Tunisie, sont apparus dans les camps de réfugiés des drapeaux amazighs et/ou des drapeaux libyens dont l’étoile était remplacée par le fameux signe "Z" (en tifinagh). Beaucoup de militants berbères réfléchissaient déjà dans ces bases de repli à l’avenir de la Libye et du tamazight. Nombre d’entre eux étaient originaires de Zouara. Leur activité principale était la publication du journal bilingue (tamazight et arabe) Tagrawla ("Révolution"). Parmi eux, un groupe travaillait à l’enseignement du tamazight et confectionnait des manuels d’apprentissage, notamment pour les enfants.
Dans les régions berbères aussi, très vite, des publications ont vu le jour. La plupart sont bilingues, tamazight/arabe ; certaines sont en arabe uniquement, mais leurs noms sont toujours berbères et systématiquement écrits en tifinagh. Parmi ces publications, signalons : Tilelli ("Liberté"), Tagrawla("Révolution"), Tamellult ("Blanche"), Ussan nnegh ("Nos jours"), Iderfan ("Hommes libres"), Tifawin n Ifran("Les lumières d’Ifrane"), Izerfan ("Les droits").
Le berbère s’est aussi imposé rapidement dans les grands médias : presque immédiatement après son lancement (avril 2011) à Doha (Qatar), Libya TV, chaîne des insurgés, a introduit un journal (Ineghmisen) en tamazight. Les interventions qui sont faites en arabe lors de ce journal amazigh sont systématiquement doublées en tamazight (en traduction simultanée). Très vite, d’autres programmes berbères, dont un est consacré à l’initiation au tamazight, ont été introduits sur cette chaîne de télévision. Le 15 septembre, à l’occasion de la conférence sur la Libye qui a eu lieu à Paris, la couverture en direct de l’événement sur cette chaîne a été assurée en tamazight.
Le projet de Constitution provisoire : le début des tensions
Pour tous les combattants et militants rencontrés, le tamazight s’impose comme une évidence et tous attendaient qu’un statut lui soit reconnu dans la nouvelle constitution. Très tôt, l’ensemble des associations et organisations civiles des régions berbères ont demandé la reconnaissance du tamazight comme l’une des langues officielles du pays, ainsi qu’en témoignent le document intitulé "La Libye de demain" rédigé par le Mouvement culturel amazigh du Djebel Nefoussa (annexe I), le communiqué des organisations civiles du Djebel Nefoussa daté du 18 août 2011 (annexe II) qui conteste le projet de déclaration constitutionnelle du Conseil national de transition, ou encore le communiqué du Congrès national amazigh libyen, réuni le 26 septembre à Tripoli, qui rejette catégoriquement l’article relatif à la langue officielle du projet constitutionnel et écarte toute négociation sur la question de l’officialisation du tamazight (annexe III). La version de l’hymne national libyen en tamazight, entonnée sur la Place des Martyrs par des dizaines de milliers de manifestants, est venue confirmer cette détermination des Berbères à donner à leur langue et à leur identité leur place dans la nouvelle Libye. Pour tous ces acteurs berbères, la "Révolution" est intimement liée au tamazight et ils n’imaginent pas la Libye nouvelle sans le tamazight.Après la mort de Kadhafi, Mustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition (CNT), proclame le 23 octobre 2011 à Benghazi la libération totale du pays ; il annonce que la charia sera la source principale de la législation et ne fait aucune référence à la berbérité de la Libye ni à la place de la langue berbère. On notera qu’à partir du mois d’août 2011, les interventions publiques des responsables du CNT ou de l’exécutif se faisaient avec, en arrière-fond, la mention du Conseil national de transition écrite en arabe et en berbère (en caractères tifinagh). Après le 23 octobre, signe net d’une évolution de la position du CNT, la version berbère disparaît de toutes les annonces officielles.
En fait, l’existence de lignes distinctes sur ce sujet au sein du CNT était perceptible dès le mois d’août 2011 puisque certaines personnalités avaient déjà pris des positions publiques explicites contre le berbère et la berbérité, à l’instar de Fathi Terbil, futur ministre de la Jeunesse et des sports du gouvernement provisoire, qui accusait les Berbères "d’être une menace pour l’arabité de la Libye, travaillant au profit de puissances extérieures occultes contre les intérêts de la nation arabe libyenne, qu’il convient de combattre". Le 15 décembre 2011, devenu ministre, il confirme à Benghazi son hostilité à toute consécration de la langue tamazight en tant que langue officielle [37]. Cette ligne s’est imposée dans le projet de constitution provisoire.
Le 1er novembre 2011, à l’occasion de la rencontre Imuhagh (Touaregs) organisée par le conseil local de transition de la ville d’Oubari, le président du Congrès national amazigh libyen, le Dr Fethi Bouzakhar, dénonce la politique de mépris à l’égard des Imazighen adoptée par le CNT. Il met en garde ce dernier quant à son attitude qui risque de conduire au boycott du gouvernement libyen par les Imazighen.
Au lendemain de l’annonce de la constitution du gouvernement provisoire, le 22 novembre 2011, des milliers de Berbères manifestent dans les rues aussi bien à Tripoli qu’à travers la quasi-totalité des villes et villages berbères, y compris en pays touareg (Oubari, Ghat), pour exprimer leur mécontentement de voir la composante amazighe exclue de ce gouvernement.
Le conseil local de Zouara, réuni en session extraordinaire le 23 novembre, annonce dans une déclaration publique le gel de sa collaboration avec le CNT et le nouveau gouvernement et appelle la population à manifester de manière pacifique.
Le même jour, le Congrès national amazigh libyen fait lui aussi part de son désaccord quant à la composition du gouvernement provisoire. Il annonce "la non-reconnaissance et le boycott du gouvernement d’Abdel Rahim al-Kib, illégitime et contraire à ses propres déclarations". Il tient pour "responsables devant l’Histoire, le CNT et M. Abdel Rahim al-Kib, quant aux conséquences que pourrait causer cette marginalisation qui vise les Amazighs" (voir annexe IV).
S’en est suivie une importante mobilisation visant à dénoncer la politique d’exclusion des Berbères par le CNT et son gouvernement [38]. Les slogans des manifestants étaient très sévères à l’égard des autorités provisoires, souvent comparées au régime déchu.
L’intervention téléphonique, sur une télévision libyenne, de Mustapha Abdeldjalil accusant les manifestants imazighen de travailler pour des intérêts étrangers a fait monter d’un cran la tension et colère des Berbères qui n’ont pas hésité à comparer Abdeljalil à Kadhafi.
La protestation a été particulièrement forte dans l’ensemble Nefoussa- Zouara et dans les villes de Tripolitaine comptant une importante diaspora berbère, notamment Tripoli, mais elle a aussi été bien réelle en région touarègue (Ghat, Oubari), où ont eu lieu plusieurs manifestations significatives. Ce point mérite d’être relevé car il indique que la réaction est assez homogène chez tous les Berbères libyens et qu’il n’y a pas de rupture entre Berbères du Nord et Touaregs [39], qui du reste étaient bien représentés lors de la réunion duCongrès national amazigh libyen tenu le 26 septembre 2011 à Tripoli.
Lorsque, le 9 décembre 2011, le CNT organise une conférence pour la réconciliation nationale, à laquelle sont invitées des personnalités religieuses musulmanes, notamment du Caire et de Tunisie, alors que les représentants des Berbères n’ont pas été conviés, le président du Congrès national amazigh libyen, Fethi Bouzakhar, adresse une lettre à la rencontre, dans laquelle il écrit :
« Il y a un droit inaliénable auquel nous ne pouvons, en tant qu’Amazighs, renoncer. Il s’agit de la constitutionnalisation de la langue amazighe, seul garante de sa protection. Il n’est pas possible de faire une quelconque concession sur tamazight sous prétexte qu’elle n’est pas la langue du Coran ou que le moment n’est pas propice pour soulever le droit de la langue au nom de la réconciliation nationale. L’absence de la langue amazighe dans la constitution signifie le refus de la réconciliation avec les Amazighs [40] ».
Ainsi, les organisations berbères de Libye ont multiplié depuis l’été 2011 les démonstrations et interventions publiques et médiatiques pour faire entendre leur voix et dire leur attachement à leur langue. Le débat qui se noue autour de la constitution est donc d’ores et déjà houleux ; il pourrait être source de sérieuses tensions entre les Berbères et les autorités centrales car le CNT est largement dominé par les arabophones et les courants islamistes. On constate, sans grande surprise, que les références idéologiques islamistes sont, chez les principaux acteurs du CNT, étroitement associées à l’arabisme – qui n’était donc pas, loin s’en faut, une "spécificité kadhafienne". En fait, on retrouve sur cette question une donnée lourde du champ idéologique maghrébin : le lien étroit entre islamité et arabité, porté à son paroxysme chez Kadhafi, mais aussi présent dans la plupart des sensibilités arabistes/islamistes et qui fonde, au moins pour l’Afrique du Nord, une famille idéologique arabo-islamiste, même si ses facettes sont multiples et peuvent parfois être antagoniques au plan politique [41].
La volonté "démocratique" des anti-kadhafistes libyens ira-t-elle jusqu’à accepter de reconnaître la diversité linguistique et culturelle du pays ? Pour l’instant, le fossé semble profond entre les organisations berbères rassemblées dans le Conseil national amazigh libyen d’une part, et le CNT et le gouvernement intérimaire d’autre part. Sans une ouverture de la part du CNT vis-à-vis de la dimension berbère et des Berbères, la cristallisation du conflit paraît inévitable. Un des rares paramètres permettant d’envisager une évolution non conflictuelle est celui de l’environnement politique régional, tunisien mais surtout algérien et marocain : alors que les deux principaux pays berbérophones ont reconnu dans leur constitution le berbère comme langue nationale (l’Algérie en 2002) ou officielle (le Maroc en 2011), les autorités libyennes se mettraient sans doute en mauvaise posture, interne et externe, si elles s’obstinaient à maintenir leur refus de toute reconnaissance du berbère.
Salem Chaker
Aix-Marseille Université – Iremam / Inalco – Lacnad
Masin Ferkal
Inalco
Abstract Berbers from Libya : an unexpected political emergence
The article first presents the geographic settlement of the Berbers in Northwestern Libya and gives a first estimate of the Berber population (about 10 % of the Libyan population). According to the Libyan/Jamahirya’s doctrine, Libyans are Arabs and Muslims – and according to Gaddafi, Berbers are Arabs. Consequently, the political management of the Berber population has been only made of exclusion and repression.
In the revolutionary process, the positioning of the Berbers is characterised by a claimed berberity facing a National Transitional Council of Libya predominantly Arabic-speaking and Islamic. The draft constitution and the interim government, which do not give any space to the Berbers, create some tensions which could become a source of conflict.
Annexes :
Annexe I :Mouvement culturel amazigh à Adrar n Infusen, "Comment le mouvement amazigh libyen voit la Libye de demain", 12 août 2011
Annexe II : Communiqué des organisations de la société civile d’Adrar n Infusen réunies à Ifrane le 18 août 2011
Annexe III : Communiqué du Congrès national amazigh libyen, réuni le 26 septembre 2011 à Tripoli
Annexe IV : Communiqué du Congrès national amazigh libyen, Tripoli, 24 novembre 2011
P.-S.
Cet article est publié dans Politique Africaine, n° 125, Karthala, 2012.
Notes
[1] On chercherait en vain la mention d’une opposition ou résistance berbère dans les "Chroniques Libye" de l’Annuaire de l’Afrique du Nord, publication de référence du CNRS sur cette aire. Les seules oppositions connues sont celles des milieux islamistes/traditionalistes ou des exilés politiques (plutôt des nationalistes de droite) et celles au cœur des conflits internes au régime qui aboutissent fréquemment à des purges, procès et exécutions spectaculaires.[2] Ussan, 1982 ; Tifinagh, 1984, Tamazgha, 1988… Ces périodiques, émanant de groupes de militants exilés en France et en Angleterre, sont publiés sans mention d’éditeur ni de lieu ; ils sont présentés par S. Chaker, "Langue et littérature berbères : chronique des études", Annuaire de l’Afrique du Nord, vol. 20, 1982, p. 969-1019 ; vol. 22, 1985, p. 475-507 ; vol. 24, 1987, p. 337-378.
[3] J. Lanfry, Ghadamès. I. Étude linguistique et ethnographique ; Ghadamès. II. Glossaire, Fort-National (Algérie),Fichier de documentation berbère, 1968 et 1973.
[4] F. Beguinot, "Gli studi berberi dal 1919 al maggio 1922", Rivista degli studi orientali, vol. 9, 1922, p. 382-408 ; Il Berbero nefûsi di Fassâto, Rome, Istituto per l’Oriente, 1942.
[5] G. Buselli, "Berber Texts from Jebel Nefûsi (Žemmâri Dialect)", Journal of the Royal African Society, vol. 23, n° 92, 1924, p. 285-293.
[6] F. Zanon, "Contributo alla conoscenza linguistico-etnografica dell’oasi di Augila", Africa italiana, vol. 5, 1933, p. 259-270.
[7] Voir notamment L. Serra, "I dialetti berberi orientali (Rassegna degli studi e prospettive di ricerca)", Atti del Sodalizio Glottologico Milanese, n° 21, 1979, p. 23-34 ; "Il contributo italiano agli studi di berberistica", L’Universo : rivista di divulgazione geografica, vol. 64, n° 5, 1984, p. 634-642.
[8] Voir par exemple V. Brugnatelli (dir.), Fiabe del popolo tuareg e dei Berberi del Nordafrica, Milan, Mondadori, 1994.
[9] J. Despois, Le Djebel Nefousa (Tripolitaine). Étude géographique, Paris, Larose, 1935.
[10] D. Bisson, J. Bisson et J. Fontaine, La Libye. À la découverte d’un pays. Tome 1. Identité libyenne ; Tome 2. Itinéraires, Paris, L’Harmattan, 1999.
[11] Voir plus loin les extraits de discours de Kadhafi.
[12] H. Bleuchot, "Chronique politique Libye", Annuaire de l’Afrique du Nord, vol. 19, 1981, p. 550.
[13] T. Monastiri, "Chronique politique Libye", Annuaire de l’Afrique du Nord, vol. 20, 1982, p. 565.
[14] Sur le Djebel Nefoussa, voir J. Despois, Le Djebel Nefousa…, op. cit. ; et les notices "Djebel Nefoussa" de J.-L. Ballais, J. Taïeb et K. Naït-Zerrad dans l’Encyclopédie berbère, Louvain, Peeters, 2012 (sous presse).
[15] Sur ces îlots berbérophones du désert libyen, voir U. Paradisi, "El-Fógăha, oasi berberofona del Fezzân",Rivista degli studi orientali, n° 36, 1961, p. 293-302 ; "Il linguaggio berbero di El-Fógăha (Fezzân). Testi e materiale lessicale", Annali del IUO di Napoli, n° 13, 1963, p. 93-126. Voir également les notices de Karl-Gottfried Prasse dans l’Encyclopédie berbère : « Sokni (Fezzan) », vol. 31 (édition provisoire), 1982, p. 1-3 ; "Awjili, parler berbère d’Augila", vol. 7, 1989, p. 1052-1055 ; "El Foqaha", vol. 19, 1997, p. 2886-2889.
[16] L’ibadisme est un courant hétérodoxe minoritaire de l’islam qui, en Afrique du Nord, n’existe que chez les Berbères : Djebel Nefoussa en Libye, Djerba en Tunisie, Ouargla (quelques familles) et surtout Mzab en Algérie. Les Ibadites d’Afrique du Nord sont les héritiers du royaume kharijite de Tahert (776-909) qui se déployait sur une large bande steppique continentale, allant des Hautes plaines de l’Algérie occidentale (Tiaret) jusqu’au Djebel Nefoussa.
[17] Voir J. Fontaine, "La population libyenne, un demi-siècle de mutations", in O. Pliez (dir.), La Nouvelle Libye. Sociétés, espaces et géopolitique au lendemain de l’embargo, Paris/Aix-en-Provence, Karthala/Iremam, 2004, p. 158-175.
[18] Le mouvement d’exode économique et/ou politique des Touaregs a touché essentiellement les groupes du nord du Niger et du Mali, directement impactés par les sécheresses et/ou la répression militaire. L’Algérie, la Libye, le Tchad, et la Mauritanie ont été les principales destinations de ces migrations de la misère, qui ont sonné l’effondrement définitif de la société nomade traditionnelle.
[19] E. Grégoire, "Les relations politiques et économiques mouvementées du Niger et de la Libye", in O. Pliez (dir.),La Nouvelle Libye…, op. cit., p. 97-110.
[20] Voir H. Bleuchot, "Chronique politique Libye", Annuaire de l’Afrique du Nord, vol. 19, 1981, p. 550.
[21] Sur ce phénomène, voir A. Bourgeot, "Identité touarègue. De l’aristocratie à la révolution", Études rurales, n° 120, 1992, p. 129-162 ; "Révoltes et rébellions en pays touareg", Afrique contemporaine, n° 170, 1994, p. 3-19 ;Les sociétés touarègues. Nomadisme, identité, résistances, Paris, Karthala, 1995. Voir surtout les nombreux travaux de Hélène Claudot-Hawad : H. Claudot-Hawad, Les Touaregs. Portrait en fragments, Aix-en-Provence, Edisud, 1993 ; Hawad et H. Claudot-Hawad (textes réunis, traduits et présentés par), Touaregs, voix solitaires sous l’horizon confisqué, Paris, Ethnies, 1996 ; mais aussi, sous sa direction, le dossier "Les Touaregs. Exil et résistance", Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n° 57, 1990 ; le dossier "Le politique dans l’histoire touarègue", Cahiers de l’Iremam, n° 4, 1993 ; Touaregs et autres sahariens entre plusieurs mondes, Aix-en-Provence, Edisud, 1996 ; Arabes ou Berbères ? Le tango des spécialistes, Aix-en-Provence/Paris, Iremam/Non Lieu, 2006.
[22] L’expression fait référence au puissant mouvement de contestation kabyle du printemps 1980, qui peut être considéré comme la première revendication de masse, publique, en faveur de la langue et de la culture berbères. Sur le sujet, voir S. Chaker, Berbères aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 1998.
[23] Amazigh = "berbère" en langue berbère, adjectif (berbère) et nom ([un] Berbère). Au féminin, on a tamazight = "berbère/[une] Berbère" et "langue berbère". Au pluriel, Imazighen = "berbères/Berbères". Voir aussi note 36.
[24] Art. 2 de la Constitution du 11 décembre 1969, modifiée le 2 mars 1977.
[25] Réforme éducative de 1974 : voir T. Monastiri, "Chronique sociale et culturelle", Annuaire de l’Afrique du Nord, vol. 13, 1975, p. 479.
[26] Voir les quinzième, seizième et dix-septième rapports périodiques de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste présentés au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies le 18 juin 2003, disponibles sur
[27] Discours du 7 octobre 2007.
[28] G. Ebert et H.-G. Ebert, "Zu einigen Aspekten der Sprachsituation und -politik in der SLAVJ (Libyen) unter besonderer Berücksichtigung des Italienischen", Zeitschrift für Phonetik, Sprachwissenschaft und Komunikation-Forsching, n° 3, 1987, p. 381-390, notamment p. 386.
[29] F. Burgat et A. Laronde, La Libye, Paris, PUF, 1996, p. 64 sqq.
[30] Ibid., p. 64.
[31] On en trouvera une analyse historique critique magistrale par Yves Modéran sous la notice "Mythes d’origine des Berbères", Encyclopédie berbère, vol. 32, 2010, p. 5157-5169.
[32] A. El Khadoury, "Les civilisations de la grande Jamahiriya", Dossiers d’archéologie, n° 167, 1992,p. 2-3.
[33] Voir notamment l’ouvrage de Ali Fahmi Khachim, Lisân al-’arab – al-amazigh, Mu’jam ‘arabî-barbarî muqaran [= Dictionnaire arabe berbère comparé], Le Caire, Dâr Nûn, 1996.
[34] Assassinat de Ali Yahia Maamar en 1970 ; disparition en 1981, après plusieurs arrestations, du Dr O. Nami ; tentative d’assassinat contre Saïd El Mahroug qui en restera handicapé à vie ; pendaison de Ferhat Ammar Hleb en 1985 à Zouara ; disparition de militants berbères s’étant rendus à Tizi-Ouzou en avril 1986… On peut trouver des informations nombreuses, plus ou moins précises, sur la répression antiberbère dans les rapports alternatifs présentés par les organisations berbères (libyennes et autres) devant le Comité des droits de l’homme ou le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, ainsi que dans diverses autres sources (rapports annuels d’Amnesty International ; rapport sur la Libye du Département d’État américain, etc.).
[35] Circulaire du 18 juin 1995 émanant du Bureau de liaison des Comités révolutionnaires.
[36] Tamazight est le nom berbère de la langue berbère (voir note 23). La militance berbère, suivie par les institutions officielles algériennes et marocaines, emploie ces termes plutôt que la dénomination traditionnelle française "berbère" (et arabe : barbarî, barbariyya), jugée offensante puisqu’elle tire son origine du latinbarbarus/barbari, "barbare". Cet usage pose un problème d’accord grammatical car le mot tamazight est un féminin alors que les noms de langues sont toujours des masculins en français, d’où des emplois erratiques et une difficulté à mettre l’article masculin devant un mot perçu comme féminin. On entendra et lira souvent "parler/revendiquer tamazight…" au lieu de "parler/revendiquer le tamazight" comme l’exige la norme du français.
[37] Les déclarations de F. Terbil, largement relayées par Imazighen Libya TV, sont consultables sur Internet.
[38] C’est Tripoli qui a connu la mobilisation la plus forte – ce qui confirme la présence massive des Berbères dans cette ville. La manifestation la plus importante a eu lieu le dimanche 27 novembre 2011 : les manifestants ont marché jusqu’au siège du gouvernement provisoire et ont déployé le drapeau amazigh aux côtés du drapeau libyen dans la cour du siège du gouvernement. Le Premier ministre a dû descendre pour s’adresser aux manifestants avec un mégaphone, un drapeau amazigh sur les épaules. Cette manifestation s’est déroulée avec une organisation remarquable. La presse française a largement fait écho aux manifestations berbères de la période de septembre à décembre 2011, notamment le quotidien Le Monde.
[39] Ce point demandera des recherches complémentaires, mais il semble bien que, contrairement à une opinion assez répandue, il n’y ait pas eu de rupture au cours de l’insurrection entre Berbères du Nord et Touaregs libyens. Il y a lieu sur ce plan de distinguer soigneusement entre Touaregs libyens (Kel Ajjer) et mercenaires touaregs (nigéro-maliens) enrôlés dans les troupes de Kadhafi.
[40] Plus de détails sur le texte de cette lettre sont consultables dans M. Ferkal, « Lybie : une "réconciliation" voulue sur le dos des Imazighen… », Tamazgha.fr, 22 décembre 2010.
[41] Ce lien idéologique étroit entre islamisme et arabisme, en Afrique du Nord, est solidement établi depuis longtemps : voir notamment A. Merad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse et sociale, Paris/La Haye, Mouton, 1967.
http://tamazgha.fr/Berberes-de-Libye-un-parametre.html