La situation évolue toujours aussi vite dans le Nord du Mali, mais cette fois, il n’est plus question d’avancées foudroyantes en direction de Bamako. Il s’agirait plutôt du tournant de la guerre, avec les rebelles touaregs qui se mettraient à combattre Aqmi (Al Qaida au maghreb islamique). Juste au moment où le mouvement touareg annonce (mercredi soir) la "fin des opérations militaires" ? En réalité, cette décision unilatérale du MNLA ne concerne que l’avancée vers le Sud, et suspend donc les attaques en direction des zones loyalistes. Le verrou, de ce point de vue, aurait été Mopti. Justement, le MNLA n’a pas pris Mopti (sauf revirement), et ses troupes, ayant chassé ou vu fuir les troupes loyalistes de tout le Nord Mali (l’Azawad), se tourne à présent vers ses problèmes intérieurs. C’est là surgit le problème avec Aqmi, et les forces d’un autre chef rebelle, Iyad ag Ghali, qui semble opposé au MNLA et plus proche d’Aqmi. Le problème est particulièrement vif à Tombouctou, où toutes ces forces se trouvent imbriquées les unes dans les autres depuis deux jours, mais aussi dans le reste de l’Azawad, ce Nord Mali qui pourrait devenir, à terme, un territoire à la recherche de son autonomie. A Gao, par exemple, des éléments proches d’Aqmi (sans doute du groupe du MUJOA), ont participé selon le MNLA à la prise d’otages en cours au consulat d’Algérie. Deux personnes avec des ceintures d’explosifs seraient en ce moment même avec les otages, et une source au sein du MNLA affirme que son groupe "hésite à donner l’assaut" ! on voit à quel point la situation produit des effets surprenants. Mais revenons à Tombouctou. Le MNLA, commandé sur place par son chef d’état-major, Mohamed Ag Najim avait été le premier à entrer en ville pendant le week-end, presque sans combat, avant que s’y matérialise un autre groupe, Ansar Dine, commandé par Iyag ag Ghali, et certaines katibas d’Aqmi. En témoignent différentes sources, notamment des personnes jointes au téléphone dans la ville. Impossible en effet de se rendre à Tombouctou, et force est de se baser sur des sources concordantes, mais sans vérification personnelle et directe, pour comprendre ce qui est en cours. Or, ce qui est en train de se produire pourrait être d’une importance capitale. En substance, le MNLA envisage de s’attaquer à présent à Aqmi, pourquoi pas avec l’aide des pays occidentaux et de la région (Afrique de l’Ouest). C’est Hama ag Sid’Ahmed, charge des relations extérieures et porte parole du bureau exécutif du MNLA, qui l’explique en milieu de journée, jeudi. Entre MNLA et Aqmi, le divorce est vital pour les rebelles touareg qui redoutent "l’amalgame" et ont en tête le destin de leur Azawad. Pour appuyer son point de vue, Hama ag Sid’Ahmed remonte à la prise de Tombouctou : le MNLA avait négocié l’entrée dans la ville avec certaines milices "arabes", mais ces milices sont de plusieurs types. Le premier groupe, le plus nombreux, a laissé entrer le MNLA sans combattre dans Tombouctou, qui venait d’être abandonnée par les troupes régulières (plutôt originaires du Sud du pays). Les autres sont proches soit d’Ansar Dine, soit des membres des réseaux pro-Aqmi qui leur servent habituellement pour le ravitaillement. (car plusieurs katibas, au cours des années passées, avaient l’habitude de venir faire leurs courses dans les villes, sans jamais susciter de ration des autorités maliennes) Selon Hama ag Sid’Ahmed à Aqmi, c’est ce dernier groupe qui se serait précipité vers le camp abandonné pour s’y servir en matériel militaire. "Le petit groupe d’arabes qui sont le réseau d’Aqmi à Tombouctou depuis longtemps ont pris les armes et les munitions dans le camp. Chacun se débrouillait et se servait. C’était l’un des objectifs d’Aqmi à Tombouctou." Depuis, une sorte de calme s’est instauré à Tombouctou. les forces du MNLA, jusque à jeudi après midi, étaient concentrées à l’aéroport, mais se rendaient aussi vers le centre, ou à l’hôpital, tenu par un mélange de forces d’Aqmi, de milices locales et de combattants d’Ansar Dine. Une forme de coexistence pacifique, sans doute à courte espérance de vie. Qui devrait voler en éclats bientôt, car le MNLA, toujours selon son porte parole de l’exécutif, viendrait de donner un ultimatum jusqu’à vendredi à Aqmi et aux troupes d’Iyad ag Ghali pour quitter Tombouctou, faute de quoi les combats commenceront. Selon la même source, les hommes pouvant être qualifiés de membres d’Aqmi seraient de 146 sur l’étendue de la ville. Le MNLA affirme même faire barrage à Aqmi sur la route du Sud ! Le MNLA va encore plus loin : dans un second temps, ce seraient toutes les positions d’Aqmi au Mali qui pourraient être attaquées, essentiellement dans le Nord est du pays, vers l’Adora des Ifoghas, zone où se trouve habituellement Abou Zeid, l’un des émirs les plus durs d’Aqmi, qui détient toujours quatre otages français. En envisageant cette guerre anti-Aqmi, le MNLA offre de coopérer avec les pays de la région, qui sont aujourd’hui réunis à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour avancer sur la définition d’une force africaine susceptible d’être déployée entre le Nord et le Sud Mali. Pour qu’une telle hypothèse prenne corps, et qu’une force encore hypothétique finisse par exister, il faudrait un appui international sérieux, probablement une résolution des Nations unies, et une aide logistique presque complète pour cette force. Le MNLA propose donc aux pays occidentaux "comme la France par exemple" (mais aussi les Etats-Unis) de participer à cette opération anti-Aqmi. Attendons de voir si cette hypothèse prend forme. Dans l’intervalle, les pressions se poursuivent sur le capitaine Sanogo, le chef de la junte à Bamako, pour le convaincre de quitter le pouvoir. S’il prenait cette décision, peut-être rapidement, la voie serait facilitée pour une opération anti-Aqmi. Et le renversement d’Amadou Toumani Touré aurait donc conduit à cela...