03.09.2011
Au moment où le monde se mobilise, sous la houlette de la France, pour écrire une nouvelle page de la Libye, Mouammar Kadhafi continue de lancer des appels à la résistance, du fond de sa cachette. A l’image du mauvais commandant de troupe, au lieu de donner l’exemple à ses fidèles, il met sa famille à l’abri, disparaît lui-même dans la nature et demande aux autres de s’offrir en holocauste. L’ancien dirigeant libyen est, en effet, porté disparu depuis le début de la percée de l’armée du Conseil national de transition (CNT), et trois de ses enfants et leur mère se sont réfugiés en Algérie.
Le renard apeuré du désert libyen entend ainsi faire des enfants d’autres Libyens, un bouclier humain et de la chair à canon. Un comportement qui ne manque pas de rappeler celui du président déchu Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire. Après avoir jeté ses partisans dans la rue pour se faire abattre comme des "lapins", celui-ci avait préféré envoyer un de ses proches hors de son bunker pour agiter le foulard blanc, signe de sa reddition. Le "guide" aux abois a ainsi emprunté la bonne trajectoire pour parvenir, comme son homologue ivoirien, au dernier degré de la lâcheté en ratant la belle occasion de mourir en vrai militaire, c’est-à-dire sur le front et les armes à la main. En prenant la fuite, le colonel, qui a déjà perdu sa légitimité, perdra à coup sûr sa dignité et son honneur en abandonnant ses frères d’armes et ses concitoyens à leur triste sort que lui-même aura fortement contribué à sceller.
Mais, en réalité, venant de celui qui aura tout fait dans le but d’atteindre son dessein inavoué qui était de régner sur l’Afrique entière, un tel parjure n’étonne guère les plus avertis de la scène politique africaine. Car, s’il y a bien quelqu’un sur le continent noir qui ne cherchait jamais à combler l’abîme qui existait entre ses dires et ses faits, c’est sans conteste celui qui s’est fait couronner "roi des rois africains". Les images d’Africains rapatriés manu militari du pays que le leader de la révolution arabe libyenne avait pressenti pour abriter la capitale de l’Union africaine en y érigeant les infrastructures nécessaires, ont largement fait le tour du monde. L’apparence de farouche partisan et acteur désintéressé de l’unité africaine que le premier responsable de la Jamahiriya donnait à voir de sa personne était donc trompeuse. En se jouant ainsi de son peuple, il semble d’ailleurs rester en phase avec son ombrageuse personnalité dont il a visiblement pris le soin d’inculquer les défauts à ses fils. Ceux-ci avaient pourtant suscité de l’espoir en incarnant une vision plus moderne de la gestion du pouvoir d’Etat.
Il a fallu un soulèvement populaire pour révéler leurs véritables intentions et leur caractère réel, Seif al-Islam n’ayant pas hésité à promettre une rivière de sang à ceux qui réclamaient de la démocratie et plus de liberté. La réponse des Tripolitains à l’invite du pouvoir libyen en rade à prendre les armes pour contrer l’action des troupes du CNT, a été des plus timides, ce qui a favorisé la prise de la capitale par le nouveau régime. Les habitants de Tripoli n’ont d’ailleurs pas manqué de manifester leur liesse en accueillant en libérateurs, les nouveaux maîtres de la capitale libyenne. Eux ont sans doute fait un sage choix, car le clan Kadhafi avait déjà pris ses jambes à son cou, laissant périr ceux qui avaient pris le risque d’affronter l’adversaire.
Il n’est donc pas exclu qu’en s’inspirant de ces expériences amèrement vécues par leurs frères de Tripoli, les citadins de Syrte réfléchissent par deux fois avant de s’engager dans une aventure très périlleuse. Il est par conséquent loin d’être superfétatoire de se demander si la bataille de Syrte, voulue par un régime dont tous les dignitaires encore en vie sont devenus tous amateurs du fameux jeu enfantin de cache-cache, aura bien lieu. Etant donné du reste l’évolution de la situation qui est favorable de façon irréversible au CNT, que gagnerait réellement cette ville en engageant un bras de fer d’office perdu ? Même les plus farouches soutiens de Kadhafi, comme la Russie, ont fini par reconnaître le CNT. Alors...
Les conséquences d’un entêtement des populations de Syrte sont en tout cas prévisibles et peuvent provoquer une boucherie humaine doublée d’une dégradation des infrastructures et autres biens. Et qui sait si Kadhafi n’aura pas rejoint en ce moment les siens en Algérie ou ailleurs, dans un exil doré, pour y ouvrir une autre page de leur existence, laissant les Libyens pleurer leurs morts et déplorer leur nouvelle situation d’assistés humanitaires ? D’où l’importante question de savoir si Syrte va se sacrifier pour Kadhafi. Ce dernier mérite-t-il seulement un sacrifice ?
« Le Pays »