l'insurrection.
MONDE Hier à 17h59 (Mis à jour à 19:21)
En 2007, une société française a vendu au régime libyen un système de surveillance d'Internet très perfectionné, une technologie qui normalement ne peut-être exportée sans l'accord du gouvernement français.
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Capture d'écran du reportage de la BBC avec des documents de la société Amesys trouvés dans le centre de commandement de l'unité électronique de Tripoli.
Bull, Amesys (I2E), Libye, Kadhafi, Takieddine, Longuet et sa fille, Sarkozy et Guéant, voici en bref un inventaire incomplet des acteurs d'une des dernières affaires troubles entre la France et la Libye.
Comme l'ont dénoncé plusieurs médias, dont Owni.fr dès juin, une entreprise française, Amesys, aurait vendu à la Libye dès 2007 un système de contrôle de l'Internet. Amesys, rachetée par Bull en 2010, propose en effet une interface nommée Eagle, qui est «un système d'interception électronique permettant à un gouvernement de contrôler toutes les communications qu'elles entrent ou sortent du pays».
Avec la chute de Tripoli, ces informations ont pu être confirmées. Plusieurs documents avec en en-tête le logo d'Amesys ont été retrouvés dans le centre de commandement de l'unité électronique de Kadhafi, notamment par la BBC et le Wall Street Journal.
Le Figaro a pu recueillir le témoignage d'un ancien militaire qui a participé aux côtés des ingénieurs de chez Amesys à la formation des Libyens, notamment d'Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et chef des services secrets. «Nous avons mis en route le système d'écoute libyen fin juillet 2008», explique cet ex-militaire, sous couvert d'anonymat.
Selon cette source, le marchand d'armes Ziad Takieddine aurait été l'intermédiaire pour négocier le contrat. Ce n'était pas la première fois qu'il se rendait utile puisque, selon le site Mediapart, il avait déjà négocié un contrat pour Amesys (qui s'appelait alors I2E) sur la vente en 2006 de Cryptowall. Ce système permet d'échapper théoriquement aux écoutes du système américain de surveillance Echelon.
Le militaire interrogé par Le Figaro raconte ainsi qu'ils ont «mis tout le pays sur écoute. On faisait du massif: on interceptait toutes les données passant sur Internet: mails, chats, navigations Internet et conversation sur IP. En se branchant sur l'interconnexion internationale, nous avions déjà 98% du trafic, il y avait très peu de points de captures.» Des millions d'habitants ont donc pu être espionnés par une dictature grâce à une technologie française.
Amesys n'est pas la seule entreprise française de hautes technologies à avoir fait affaire à le régime libyen. Thales a également vendu selon Le Figaro du matériel d'écoutes électroniques en 2008 et Alcatel Lucent a obtenu la même année un contrat sur un projet de déploiement de la fibre optique. Pour le site Owni.fr, «on comprend mieux la structure du réseau libyen, si centralisé que le président de la Jamahiriya n'a eu aucun mal à le couper d'Internet à la mi-février».
Autorisation obligatoire de l'Etat
Or normalement ce type de technologies sensibles ne peut être vendu à l'étranger sans l'accord du gouvernement. Le code pénal rappelle dans son jargon compliqué qu'«est puni d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel» et que «est punie des mêmes peines la fabrication, l'importation, la détention, l'exposition, l'offre, la location ou la vente, en l'absence d'autorisation ministérielle dont les conditions d'octroi sont fixées par décret en Conseil d'État, d'appareils conçus pour réaliser [ces] opérations».
Reste donc à savoir qui a pu donner de telles autorisations. Les liens nombreux entre Claude Guéant et l'intermédiaire Ziad Takieddine,révélés depuis plusieurs semaines par Mediapart sur différents dossiers, laissent penser que cela a sans doute été décidé au plus haut niveau de l'Etat. A l'époque, Claude Guéant était secrétaire général de l'Elysée. Le député PS de la Nièvre Christian Paul a adressé une question écrite à l'Assemblée nationale où il demande au gouvernement d'éclaircir ces conditions de ventes.
Amesys a reconnu jeudi avoir fourni du «matériel d'analyse» en 2007 mais selon elle «il n'incluait ni les communications internet via satellite --utilisées dans les cybercafés--, ni les données chiffrées --type Skype--, ni le filtrage de sites web».
Dans ce communiqué, l'entreprise a tenu à rappeler que le contrat a été signé l'année de la libération des infirmières bulgares et de la visite officielle du chef libyen en France, «dans un contexte international de rapprochement diplomatique avec la Libye qui souhaitait lutter contre le terrorisme et les actes perpétrés par Al-Qaïda».
Depuis, Amesys a été rachetée et son président, Philippe Vannier, est devenu dans la foulée PDG de Bull. L'Etat, lui, en août 2011, est entrée au capital du groupe informatique à hauteur de 5% via son Fonds stratégique d'investissement.
Et comme si cela ne suffisait pas, le site Owni.fr note que l'actuelle directrice de la communication du groupe Bull, embauchée en janvier 2011, est Tiphaine Hecketsweiler, la fille du ministre de la Défense Gérard Longuet. Plusieurs parties civiles ont demandé en mars dernier l'audition de ce dernier sur l'affaire Karachi.
Dans le cadre de l'enquête sur cet attentat qui a tué onze employés français au Pakistan en 2002, la piste financière est actuellement privilégiée. Le non-versement de commissions et de rétrocommissions sur le contrat des sous-marins Agosta (signé en 1994) pourrait être à l'origine de cette attaque. Pour les parties civiles, certaines de ces commissions auraient servi ou dû servir au financement du Parti républicain, présidé ces années-là par Gérard Longuet. L'un des principaux intermédiaires sur la négociation de ce contrat à l'époque fut Ziad Takieddine.