De Yacine LE FORESTIER (AFP) – Il y a 2 heures
BRUXELLES — La France et la Grande-Bretagne ont montré en Libye la capacité de l'Europe, au sein de l'Otan, à mener à bien une opération militaire sans les Etats-Unis en première ligne, mais au prix de fortes divisions internes et avec des conséquences pour les missions à venir.
Paris et Londres, fers de lance de l'intervention, ne boudent pas leur plaisir au moment où le régime du colonel Mouammar Kadhafi est en train de s'effondrer après avoir tenu le pays d'une main de fer pendant plus de 40 ans.
Au bout de six mois, qui ont paru souvent bien longs, l'opération sous mandat de l'ONU "est réussie parce qu'il y a eu prise de responsabilité de deux grands pays: la Grande-Bretagne et la France", s'est félicité cette semaine le ministre français de la Défense, Gérard Longuet.
L'intervention en Libye marque un tournant. Fait exceptionnel: les Etats-Unis ont choisi de ne pas assurer le leadership d'une intervention militaire à laquelle ils participaient, contraignant Paris et Londres à se substituer à Washington, avec le soutien d'une poignée de pays.
"Les Britanniques et les Français peuvent à bon droit dire qu'ils ont su assurer malgré le retrait américain", et sans troupes au sol, estime François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique.
André Dumoulin, analyste du Réseau multidisciplinaire d'études stratégiques (RMES), installé à Bruxelles, tempère néanmoins l'effacement des Etats-Unis.
"Les Américains ont quand même mobilisé des moyens importants quand il le fallait, des missiles de croisières au début" pour détruire les défenses antiaériennes libyennes, "des moyens de reconnaissance, de guerre électronique et vers la fin du conflit ils sont de nouveau intervenus" lors de la bataille de Tripoli pour des missions précises de surveillance, souligne-t-il.
Le succès dont se targuent la France et la Grande-Bretagne laissera toutefois des traces au sein de l'Otan comme de l'Union européenne, tant l'intervention y a suscité des divisions.
"Plus de la moitié des 28 Etats de l'Otan ont été contre cette guerre", souligne François Heisbourg. Des pays aussi importants que l'Allemagne ou la Pologne ont refusé d'y participer, malgré des appels répétés. La Turquie s'est bornée à un rôle minimal. "Il y a là un affaiblissement politique de l'Otan évident", dit-il. "L'Otan a servi à partir du 31 mars de lieu de coordination instrumentale des opérations, mais elle n'en a pas eu la direction politique et stratégique", ajoute l'analyste.
Les mêmes divergences se retrouvent dans l'UE, avec comme victime collatérale le projet d'Europe de la Défense, en déshérence face à une alliance franco-britannique revigorée en matière militaire. "L'Europe en tant que concept politique et stratégique a été totalement absente, c'est cela la triste réalité", reconnaît un diplomate européen.
Plus largement, de nombreux militaires se posent la question de savoir si le découplage au sein de l'Otan amorcé en Libye, consistant à laisser aux Européens le soin de prendre les rênes de missions dans son voisinage proche, tandis que les Etats-Unis se concentrent sur des théâtres d'opérations plus stratégiques pour eux, est durable ou non.
Pour François Heisbourg, c'est sans doute un précédent vu les contraintes budgétaires aux Etats-Unis. Dans ce cas, l'Europe sera contrainte faute de moyens de renoncer à participer à des interventions plus lointaines comme en Afghanistan. Et devra aussi investir lourdement dans des équipements pour lesquels elle a compté sur les Etats-Unis jusqu'ici, comme des avions d'appui aérien rapproché, des moyens de destruction des défenses antiaériennes et de surveillance.
Or, "on est devant un problème structurel qui est que les Etats européens, pour des raisons économiques, n'ont pas beaucoup de moyens et ont tendance à se reposer sur les Etats-Unis", estime André Dumoulin.
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