samedi 19 mars 2016

Etat islamique: le sud de la Libye, porte de l'Afrique, sous la menace djihadiste

Des migrants attendent à l'aéroport Metiga dans la capitale libyenne Tripoli, le 11 mars 2016 avant d'être renvoyés dans leur pays d'origine
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Des migrants attendent à l'aéroport Metiga dans la capitale libyenne Tripoli, le 11 mars 2016 avant d'être renvoyés dans leur pays d'origine / AFP/Archives
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Des migrants attendent à l'aéroport Metiga dans la capitale libyenne Tripoli, le 11 mars 2016 avant d'être renvoyés dans leur pays d'origine
Théâtre d'une guerre oubliée, le sud de la Libye apparaît comme une zone d'expansion naturelle vers l'Afrique sub-saharienne pour le groupe Etat islamique, qui pourrait également en faire une zone de repli en cas d'intervention internationale sur le littoral.
Si l'EI semble concentrer pour le moment l'essentiel de son action le long des côtes dans la Libye "utile", où il a notablement accru son emprise, difficile de savoir jusqu'où le groupe s'est enfoncé en profondeur dans un sud saharien livré au chaos, donnant l'image d'un vaste trou noir.
L'EI a annoncé avoir mené le 11 mars une embuscade contre des "apostats" à 150 km au sud de Tripoli, en limite du sud et de sa "wilayat" (province) du Fezzan. Mercredi, des médias locaux ont fait état d'une attaque aux alentours de Sarir, l'un des principaux champs pétroliers du sud-est du pays.
Très isolé, le Fezzan -la grande province du sud du temps de la colonisation- est une immense région désertique parsemée de quelques oasis, aux confins des frontières de l'Algérie, du Niger et du Tchad.
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Des migrants attendent à l'aéroport Metiga dans la capitale libyenne Tripoli, le 11 mars 2016 avant d'être renvoyés dans leur pays d'origine
La zone est stratégique, et au coeur de tous les trafics: les migrants d'Afrique sub-saharienne se rendant en Europe y transitent, ainsi que les volontaires étrangers -pour la plupart Africains- qui rejoignent l'EI dans son fief de Syrte. Elle est aussi l'une des principales routes de la drogue sur le continent. Et elle servirait de base arrière et de zone de refuge à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et d'autres groupes jihadistes.
- 'Criminels et extrémistes'-
"L'autorité militaire y est principalement entre les mains des tribus, groupes criminels et groupes extrémistes", résume le dernier rapport du groupe d'experts de l'ONU sur la Libye.
Depuis la révolution de 2011, le Fezzan est le théâtre de conflits opposant Toubous d'un côté, Touaregs et deux tribus arabes (les Zuwaya et les Awlad Suleiman) de l'autre.
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Des migrants attendent à l'aéroport Metiga dans la capitale libyenne Tripoli, le 11 mars 2016 avant d'être renvoyés dans leur pays d'origine
Ces conflits aux multiples enjeux, dont le contrôle des champs pétroliers, ont été ravivés par l'effondrement de l'Etat, la rivalité entre les gouvernements de Tobrouk et Tripoli, ainsi que les ingérences des puissances extérieures. Ils ont dégénéré depuis l'été 2014 autour de trois localités: Oubari (sud-ouest), Sebha (sud-ouest), et Koufra (sud-est).
Avec la chute de Kadhafi, les Toubous, minorité noire longtemps marginalisée sous le "Guide", ont accru leur influence sur les routes transfrontalières, attirant leurs frères Toubous du Tchad et du Niger voisins.
Touaregs et tribus arabes dénoncent une "invasion de mercenaires étrangers". Les Toubous quant à eux se posent en rempart contre l'EI et les "terroristes Touaregs du Mali".
Tout le Fezzan est désormais l'objet d'une politique de clientélisation par les grandes villes du nord, ce qui "renforce les tensions" selon le rapport de l'ONU.
Fajr Libya (Aube de la Libye, coalition islamiste dominée par Misrata et soutenue par le Congrès de Tripoli) appuie les Touaregs et les tribus arabes. La coalition du général Khalifa Haftar, le gouvernement internationalement reconnu de Tobrouk et Zintan (nord-ouest) sont alliés des Toubous.
Les conflits du sud sont également instrumentalisés par les puissances régionales, avec un axe Tchad (allié naturel des Toubous)/Emirats/Egypte face au groupe Qatar/Turquie/Soudan, et une rivalité particulièrement exacerbée entre N'Djamena et Doha sur le sud.
- Koufra en ligne de mire? -
Ce complexe jeu diplomatico-militaire "alimente" là aussi la poursuite des violences, selon l'ONU, et se traduit sur le terrain par la présence grandissante de part et d'autre de combattants étrangers, venus pour beaucoup du Darfour soudanais.
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Dans ce contexte explosif, les attaques de l'EI dans le Fezzan restent pourtant "peu fréquentes", ce qui paradoxalement "pourrait être une indication que le groupe tente d'y renforcer sa présence", analyse le think-thank Tracterrorism. "Inquiet d'une intervention internationale qui pourrait affaiblir ses positions dans le nord" le long du littoral, l'EI pourrait faire du Fezzan une possible zone de repli.
Si la côte reste pour le moment "plus stratégique", relève Jérome Tubiana, chercheur pour Small Arms Survey, "descendre vers le Niger, établir des liens avec Boko Haram -branche de l'EI en Afrique de l'Ouest- et concurrencer Aqmi peut être évidemment tentant pour l’EI".
Ces confins sud-ouest sont néanmoins déjà bien tenus par une myriade de groupes armés, parfois hostiles à l'EI, avec aussi l'armée française en embuscade, et donc sans doute "beaucoup de coups à prendre pour l'EI", observe-t-il.
L'organisation jihadiste "est peut-être plus intéressée par descendre vers le sud-est, vers Koufra", selon lui, alors que beaucoup d'extrémistes d'Afrique ont transité par le Soudan pour rallier l'EI souligne l'Onu.
"L'EI se rapprocherait ainsi des réseaux islamistes du Soudan, de la Mer Rouge, de l'Egypte, de discrètes routes de trafics déjà existantes, ainsi que de la poudrière du Darfour, aujourd'hui laissée à l'abandon par la communauté internationale", selon M. Tubiana.
afp

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