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11/02/2014 à 17:40 Par Seidik Abba et Rémi Carayol
Le 27 janvier, Mamadou Tandja (ici en 2011) a refusé de répondre aux enquêteurs. © BOUREIMA HAMA/AFP
Lorsqu'il a été renversé, les caisses de l'État étaient pleines, affirme l'ancien président. Quatre cents milliards de F CFA se seraient volatilisés. Mais quand ? Et comment ?
Mamadou Tandja se tait aujourd'hui. L'ancien président a beau se cacher, il est au coeur de toutes les discussions au Niger. En brousse, là où souffle un vent de nostalgie de son règne et où l'on a vite oublié sa volonté anticonstitutionnelle de le prolonger (le fameux tazartché, "continuité" en haoussa), "on le regrette", assurent son entourage et plusieurs observateurs indépendants. Et à Niamey, on le guette...
Bientôt, jure un ministre influent, on le verra entrer, de gré ou de force, dans une brigade de gendarmerie ou au tribunal de première instance de la capitale. "Il devra s'expliquer devant les enquêteurs, et s'il refuse de répondre à la convocation, on viendra le chercher."
Immunité d'ancien chef d'État
Mi-janvier, ses avocats ont fait savoir que Tandja jouit, en tant qu'ancien chef d'État, d'une immunité. Sur leurs conseils, il a refusé de recevoir, le 27 janvier, le groupe de gendarmes venu l'entendre à son domicile, près de l'aéroport Diori-Hamani. Mais Marou Amadou, le ministre de la Justice, ne veut pas entendre parler de régime spécial. "L'immunité, c'est seulement s'il y a des poursuites, et encore, seulement si les faits reprochés l'ont été durant sa présidence. Mais cela ne vaut pas pour une simple audition. M. Tandja sera entendu", affirme-t-il.
Les faits : pas grand-chose, pour l'heure. Une petite phrase prononcée par l'ancien président en comité restreint en sa demeure, le 26 octobre 2013, mais enregistrée à son insu. Une minute sur les vingt-cinq de l'entretien accordé ce jour-là par le vieil homme à des élus de son parti, le Mouvement national pour la société de développement (MNSD), venus de Tahoua pour savoir s'il avait donné son feu vert - comme cela a pu être dit - à l'entrée d'Albadé Abouba, secrétaire général de la formation, et d'Alma Oumarou, président de la section de Zinder, dans le gouvernement d'"union nationale". Une minute où il a affirmé avoir laissé, lors de sa chute en 2010, près de 400 milliards de F CFA (plus de 600 millions d'euros) dans les caisses de l'État.
L'enregistrement de Tandja connaît un succès formidable. Et provoque la polémique.
Depuis, l'enregistrement connaît un succès formidable. Et provoque la polémique. Qu'est devenu ce trésor (l'équivalent de près d'un quart du budget de l'État) ? A-t-il seulement existé ? En décembre, le gouvernement charge le directeur général du Trésor, Souleymane Zourkaleni, de démentir en direct à la télévision. Celui-ci brandit un document controversé qui précise qu'au 18 février 2010 il n'y avait pas 400 milliards, mais 53 milliards de F CFA dans les caisses. "C'est insulter l'intelligence des gens, persifle un ancien collaborateur haut placé de Tandja. C'est sous-estimer nos efforts pendant dix ans [entre fin 1999 et 2010] pour faire redécoller l'économie du pays. À l'époque, il y avait beaucoup plus que ça dans la trentaine de comptes actifs de l'État."
"Il y avait 121 milliards de F CFA sur un compte domicilié au bureau national de la BCEAO [Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest] à Niamey, jure un ancien ministre de Tandja, le reste des avoirs étant reparti entre les régies financières et d'autres banques." Dans l'entourage de l'ancien président, on souligne que le chiffre de 400 milliards ne concerne pas des liquidités mais englobe tous les actifs (en espèces et en nature) de l'État : recettes de vente d'uranium, mais aussi de pétrole offert à Niamey par le Venezuela, fonds stockés dans les caisses de l'autorité de régulation des télécommunications, ou encore 35 000 tonnes de haricots achetées juste avant le coup d'État.
Accord avec la junte ?
En face, on ricane. Selon un proche du président Mahamadou Issoufou, "seuls les ignorants peuvent y croire" car "une telle somme dans les caisses du Trésor, c'est impossible". Mais l'intervention du directeur général de l'institution n'a rien changé : la polémique a enflé. Cela fait des mois que les partis d'opposition et des organisations de la société civile réclament un audit sur la période de transition, entachée par plusieurs scandales financiers. Des mois qu'ils accusent Issoufou de protéger les membres du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), qui a dirigé le pays de février 2010 à avril 2011. Dans les rangs de l'opposition, on soupçonne le président d'avoir passé un accord avec la junte - "vous m'aidez à me faire élire et je vous laisse tranquille après".
De fait, à aucun moment le chef de l'État n'a contesté les avantages accordés aux anciens membres du CSRD. Certains travaillent même à ses côtés. Jamais non plus il n'a envisagé d'auditer la junte. Un de ses ministres confronté à un dossier douteux hérité de cette période en convenait il y a quelques mois : "C'est un sujet très délicat. Tout ce qui touche à la transition est politique. Je ne peux pas vous en dire plus."
"Il aurait fallu faire un état des lieux, comme à chaque fois qu'il y a eu un changement de régime dans ce pays", estime un ancien collaborateur de Tandja. "Pendant cette période, on voyait partout des voitures de luxe et des bâtiments en construction. D'où est sorti cet argent ?" demande-t-il, soupçonnant Salou Djibo, chef du CSRD, et ses proches de s'en être mis "plein les poches". La villa de 35 pièces que le général en retraite s'est fait construire dans son village natal de Namaro a ainsi beaucoup fait parler. "Un vrai château", selon un témoin.
Finalement, c'est à la justice qu'il reviendra de trancher.
La brouille entre le chef de l'ex-junte - qui vit désormais principalement entre Ouagadougou et Abuja -, son Premier ministre de l'époque, Mahamadou Danda, et son ministre de l'Intérieur, Ousmane Cissé, alimente aussi la rumeur. Pour beaucoup, il s'agit forcément d'une brouille autour de la répartition de l'argent indûment perçu pendant la transition. D'autres suspectent la Fondation Salou Djibo (Fonsad), créée en janvier 2013 et qui n'a à ce jour aucun projet d'envergure à son actif, d'être destinée à couvrir une opération de blanchiment.
Tandja, jamais aussi populaire
Finalement, c'est à la justice qu'il reviendra de trancher. Face à la polémique provoquée par la phrase de Tandja, le gouvernement s'est résolu, début janvier, à demander l'ouverture d'une enquête. Les participants à la fameuse rencontre du 26 octobre 2013 ont déjà été entendus. Outre l'ancien président, les enquêteurs prévoient également d'interroger des ministres (dont Ali Lamine Zeine, le dernier ministre des Finances de Tandja), des hauts fonctionnaires et Salou Djibo lui-même, qui s'est dit disposé à répondre à une convocation.
Tandja finira-t-il par transiger ? Dans son entourage, on soupçonne une manoeuvre visant avant tout à le faire taire. "Il n'a jamais été aussi populaire au Niger, estime un proche. Il est évident que cela constitue une menace pour Issoufou, au moment où il est acculé." Ces derniers mois, les manifestations se sont multipliées, jusque dans les lycées. La colère sociale gronde, les frontières sont poreuses, l'armée (que l'actuel chef de l'État ne contrôle pas vraiment) reste une menace potentielle, et le passage à l'opposition du président de l'Assemblée nationale, Hama Amadou (lire ci-contre), a exacerbé les tensions. Récemment, quatre journalistes ont été gardés à vue et une marche hostile à Areva a été interdite
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