L’étranger, un habitant pas comme les autres
Martine et Jean-Claude Vernier,Blogs.mediapart.fr
La loi édicte les droits et devoirs que chaque personne vivant en France est tenue de respecter. Mais pour les étrangers, il y a une loi spéciale, comme s’ils n’étaient pas des habitants comme les autres. Qu’est-ce que cette loi, au juste?
A côté du code de la santé, du code de l’éducation, du code du travail, du code des impôts, et et de près de 80 tels monuments législatifs, il y a le code des étrangers, le CESEDA, code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
Pourquoi y a-t-il un code de l’entrée et du séjour des étrangers?
L’État s’octroie depuis toujours le droit de contrôler les étrangers et de décider qui est le bienvenu et qui est indésirable. Le Conseil Constitutionnel l’a rappelé en 2011: « Aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national« . D’entrée de jeu, le Conseil Constitutionnel aborde de façon négative la présence des étrangers en France.
« Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus reposant sur des règles spécifiques« . Ces règles spécifiques seront donc définies par une loi, en quelque sorte dérogatoire, spécialement concue pour administrer la vie des étrangers à travers leur droit – ou pas – au séjour.
Le Code du travail s’appuie à son tour sur cette absence de protection constitutionnelle: « Les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux« . Il y aura donc aussi un code du travail dérogatoire pour les étrangers. Pour commencer, sans titre de séjour, pas d’autorisation de travail. Et les critères pour l’obtention du titre de séjour « salarié », d’une part sanctuarisent le travail au noir en l’excluant des conditions de régularisation et, d’autre part, pour ceux qui, ayant transgressé l’interdiction de travailler, parviennent à produire des fiches de paie (sic), ces critères remettent au patron la décision de sa délivrance, puis de son renouvellement.
D’où vient le CESEDA? Comment évolue-t-il?
En 1945, après la catastrophe de la collaboration de l’État Français au programme politique national socialiste, il était urgent de reconstruire les règles de la vie ensemble. Un pilier de la reconstruction de l’État social est la programme élaboré par le Conseil national de la résistance (CNR), sous le beau nom de « Les jours heureux ». Ce programme a été réédité récemment et il a fait l’objet d’un film documentaire très éclairant. Il a fourni le fondement de l’État social dont nous bénéficions encore, malgré tout, aujourd’hui: sécurité sociale, retraite par répartition, sécurité de l’emploi, etc.
Le CNR rassemblait des mouvements de résistance de tous bords politiques, de droite comme de gauche. Quand il s’est agi d’obtenir la signature de toutes ses composantes, il s’est avéré que ce ne serait possible qu’à condition de laisser de côté le statut des étrangers. Sur ce sujet, il a fallu renoncer à accorder des vues trop contradictoires. Il y a donc eu l’Ordonnance de 1945, qui est la source lointaine du CESEDA. Une ordonnance adoptée dans l’urgence par le gouvernement, pour prendre de vitesse les associations qui avaient d’autres propositions, plus ouvertes.
Lors des guerres mondiales du vingtième siècle, la France avait massivement recruté des combattants dans ses colonies d’Afrique, des Amériques et d’Asie. Puis elle a massivement importé des ouvriers étrangers pour reconstruire le pays et son industrie. Choix d’un État qui ne voit dans la présence des étrangers que leur utilité.
On peut penser que l’évolution de la politique de l’immigration a aussi été influencée par une haute fonction publique coloniale, rapatriée en métropole à la suite des indépendances au début des années 1960. C’est ce que montre Sylvain Laurens dans une étude fouillée (Une politisation feutrée). Des fonctionnaires coloniaux se sont reconvertis en spécialistes de l’immigration, conservant leur regard surplombant sur les indigènes. Ils ne sont sans doute pas étrangers à la fabrication d’un problème de l’immigration, qui permettait accessoirement à ces reclassés de valoriser leur propre parcours professionnel.
Depuis quarante ans cette politique d’utilisation et de contrôle des étrangers se trouve battue en brêche par le mouvement mondial des migrations, illustré par cette carte interactive des déplacements entre pays. D’où la multiplication de lois, de circulaires et d’instructions qui, dans les grandes lignes, réduisent d’année en année la possibilité d’une vie normale pour les étrangers qui vivent ici; tout en ménageant par ci par là quelques créneaux plus favorables.
La loi sur les étrangers a ainsi été complétée à plusieurs reprises, mais elle n’a jamais été révisée en profondeur. Il y a eu en 1974 l’arrêt officiel de l’immigration de travail, en 1976 le regroupement familial, soumis à des conditions très strictes, en 1984 la carte de résident, suite à la marche pour l’égalité et contre le racisme et, depuis 2006,une salve de restrictions et de mesures de rejet, que le pouvoir élu par la gauche a à peine effleurées depuis 2012, avec des mesures en trompe-l’œil qui n’apportent aucun changement de fond.
Comment le CESEDA est-il appliqué?
Les migrants, qui ont eu le courage et la force de venir jusqu’ici malgré tous les obstacles, ne demandent qu’une chose: vivre comme tout le monde, travaillant pour faire vivre leur famille ici ou au pays, respectant les lois et payant impôts et cotisations sociales. Face à eux, une politique de rejet multiplie les conditions qui leur sont imposées pour mériter le droit d’être en séjour régulier.
Ce que l’étranger vit au quotidien, c’est l’application réelle de la loi à ses demandes d’autorisation de séjour. On entre là dans le domaine du pouvoir discrétionnaire des préfets, inscrit noir sur blanc dans le CESEDA. Appliquant une vision très étroite du droit au séjour des étrangers, l’administration ne peut que fonctionner sur un principe de refus. Dans le cas de titres de séjour à obtenir de droit, le soupçon et la méfiance systématiques entrainent l’exigence sans fin de nouvelles preuves et la remise en cause de leur validité. Toutes les autres situations sont qualifiées « admission exceptionnelle au séjour » et là, il n’y a plus du tout de règle générale.
Le monde des migrations a changé mais la loi qui régit le séjour des étrangers, elle, continue sur la lancée séculaire d’une vue étroite de l’intérêt national. L’application d’une loi inadaptée à la réalité crée une fragilisation inacceptable de la vie des étrangers. En même temps, son incapacité à leur donner leur juste place crée artificiellement l’impression d’une invasion, avec son cortège de répression et de dérapages. Pire encore, l’inquiétude des gens devant les transformations du monde favorise le développement de campagnes sécuritaires et racistes accusant injustement les immigrés d’être responsables de leurs souffrances.
Le CESEDA est pris en tenaille entre, d’un côté, la pensée archaïque de la toute puissance de l’État, confortée par l’inertie législative et, de l’autre, le changement du monde et la pression des droits de l’homme, qui sont un pari sur l’avenir. Beaucoup voudraient le changer pour casser l’organisation des mauvais traitements infligés aux étrangers; il faudra aussi changer le code du travail. Mais, pour commencer, la Constitution elle-même!
Martine et Jean-Claude Vernier,http://blogs.mediapart.fr/blog/fini-de-rire/240214/letranger-un-habitant-pas-comme-les-autres
Chez votre libraire Être étranger en terre d’accueil, 77 regards sur l’immigration.
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