Laurent Fabius à Lyon, le 19 mars. (Photo Robert Pratta. Reuters)
ANALYSE Le ministre des Affaires étrangères dément avoir un compte dans un paradis fiscal, contrairement à une piste explorée par Mediapart.
Etrange week-end. En apparence, tout est relativement calme. Bien sûr, il y a ces informations de la Télévision suisse romande qui assure que Jerôme Cahuzac a cherché à cacher 15 millions d’euros en 2009 dans un établissement genevois (lire ci-contre). Mais rien de plus. En tout cas officiellement. Car depuis trois jours, ce n’est pas l’affaire Cahuzac qui mobilise l’exécutif dans le plus grand des secrets, mais une possible affaire Fabius. Depuis jeudi, un scénario noir circule dans tous les ministères : Mediapart aurait en sa possession les preuves que Laurent Fabius détient un ou plusieurs comptes en Suisse. Et comme Edwy Plenel se répand partout que son site se prépare à révéler un «scandale républicain» , la rumeur s’emballe. Info, intox ? Nul ne sait.
Une remise de médailles et une petite déambulation
Sauf que samedi matin, la rumeur devient d’un seul coup beaucoup plus menaçante. Et pour cause, à ce moment-là, Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, est en train de confronter ses informations avec la version du ministre des Affaires étrangères, tout juste rentré du Mali. C’est leur première rencontre. «Il n’existe à Mediapart que ce qui est publié sur notre site», explique à Libération Arfi, qui n’a encore rien publié sur le sujet. Pendant ce temps-là, François Hollande est à Tulle, pour un déplacement réduit à sa plus simple expression : une remise de médailles et une petite déambulation dans sa ville. Sourires, poignées de mains. Surtout ne rien laisser paraître. Mais au plus haut sommet de l’Etat, on se tient informé presque minute par minute des évolutions de la rencontre. «On est au-delà de la panique, c’est de la tétanie, mais il ne faut rien en dire», confie un conseiller ministériel. Chacun fait jouer ses réseaux, cherche à savoir. A midi, Cécile Duflot déjeune avec Edwy Plenel. «C’était à titre privé», précise son cabinet.
Plus qu’une affaire, c’est potentiellement une bombe politique. Tout le monde fait le même calcul : si Fabius a effectivement un compte en Suisse, c’est tout le gouvernement qui tombe. Immédiatement. Très vite, samedi, Fabius appelle Hollande. Et lui assure qu’il n’a pas un compte en Suisse. On n’en saura pas beaucoup plus. Dimanche, la rumeur Fabius galope sur les réseaux sociaux. Me Jean-Michel Darrois, l’avocat de Fabius, confirme à Libération que «le ministre dément avec force toutes les rumeurs qui circulent et assure n’avoir jamais eu de comptes en Suisse, ni dans aucun paradis fiscal».
A Matignon et à l’Elysée, aucun commentaire : ni officieux ni officiel. La consigne est claire: on n’évoque pas une information qui n’est pas avérée. A l’Elysée, on parle de «simples rumeurs». «Ce n’est pas la panique à bord, tout le monde garde la tête froide», ose même un conseiller ministériel. Dans toutes les strates inférieures de l’appareil d’Etat, «on ferme [sa] gueule depuis vendredi parce qu’on a aucune idée de l’étendue du truc», confirme un conseiller politique. Les seuls ministres qui parlent le font pour raconter leur week-end; Jean-Yves Le Drian par exemple, qui «respire l’air tonique» de la Bretagne «loin de tout ça».
Prestation de serment à l’américaine
Dimanche, Jean-Marc Ayrault se rend à l’Elysée pour une réunion de crise avec Hollande. Difficile d’imaginer que le cas Fabius n’ait pas été abordé. La tête de l’Etat passe en revue le projet de loi sur les conflits d’intérêts, qui pourrait aller jusqu’à interdire le cumul d’une activité privée en parallèle de tout mandat parlementaire. En revanche, l’idée d’instaurer une prestation de serment à l’américaine, ce qui introduirait le principe du parjure devant les assemblées en France, ne sera pas retenue. Le texte, piloté par le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies, devrait arriver bientôt au Conseil des ministres. «Il faut que tout soit en place avant que le Président s’exprime pour les 1 an de sa présidence» à la mi-mai, estime un conseiller élyséen. Interrogé sur France Inter, le ministre du Travail, Michel Sapin, prône la relance de la lutte contre «la finance folle» et les paradis fiscaux. Pour un des dirigeants du PS, la riposte de l’exécutif se fera en trois temps : loi sur la moralisation de la vie politique - et en aucun cas un référendum bien trop risqué - passée en urgence au Parlement, transmission des nouvelles perspectives budgétaires à Bruxelles et ensuite seulement un possible gouvernement Ayrault III.
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