jeudi 23 mai 2013

Chassés du Mali, les djihadistes visent Areva au Niger


EXPLICATEUR
23/05/2013 à 16h48


Pierre Haski | Cofondateur Rue89
Pascal Riché | Cofondateur Rue89



Le Niger est à son tour plongé dans la guerre que mènent les groupes djihadistes du Sahel, et que l’intervention française au Mali voisin n’a fait que déplacer.

Jeudi à l’aube, 23 personnes – 18 militaires, quatre kamikazes et un civil – ont été tuées dans une attaque à la voiture piégée contre une caserne militaire à Agadez, dans le nord du Niger. Un cinquième assaillant retient en otages de jeunes élèves officiers nigériens dans un local.

Une autre attaque kamikaze a été menée contre un site du groupe français Areva à Arlit, dans la même région, faisant un mort et 14 blessés. Explicateur.
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Qui sont les agresseurs ?



Dans un entretien à Rue89 diffusé ce week-end, Samuel Laurent, auteur du livre « Sahelistan » (Le Seuil), expliquait comment l’opération militaire déclenchée par Nicolas Sarkozy contre la Libye de Kadhafi, en 2011, avait déstabilisé toute la région. Et il ajoutait, en évoquant la guerre du Mali lancée par François Hollande :


« En nettoyant le nord du Mali, on a renforcé les positions de ces mêmes islamistes dans le sud de la Libye et même en Tunisie, en Mauritanie, au Niger, jusqu’à poser un risque pour le Maroc. »

Il y avait certes des actions de groupes djihadistes dans cette région avant 2011, y compris des attaques et des prises d’otages visant le groupe Areva au Niger.

Mais depuis la chute de Kadhafi, l’ensemble de la région sahélienne a vu des centaines d’hommes et des quantités illimitées d’armes en mouvement.

Le Nord-Mali a été la première cible des djihadistes dès la fin de 2011 et le début de 2012, avec la prise des principales localités maliennes du nord, Tombouctou, Gao, Kidal, tombées entre les mains d’une coalition hétéroclite d’indépendantistes Touaregs et de groupes islamistes liés peu ou prou à Al Qaeda. Leurs membres viennent de plusieurs pays, et appartiennent au Mujao (voir question suivante) ou à Aqmi.

Après des mois de statu quo, la tentative des groupes djihadistes de pousser vers le sud, en direction de Bamako, en janvier 2013, a amené la France à intervenir directement dans le conflit, alors qu’elle espérait jusque-là susciter une réaction purement africaine.



Soldat français au Nord-Mali, le 23 mars 2013 (ARNAUD ROINE/ECPAD/SIPA/SIPA)

Le déclenchement de l’opération Servane, ainsi que l’arrivée de contingents africains, en particulier du Tchad qui a joué un rôle-clé, ont non seulement permis de stopper cette colonne, mais de reconquérir l’essentiel du Nord-Mali.

Mais s’ils ont subi de fortes pertes face aux armées française, tchadienne et malienne mieux équipées, les djihadistes se sont largement repliés sur le sud-ouest de la Libye, vaste zone désertique échappant au contrôle de Tripoli, et devenue la base arrière des actions armées et des trafics d’armes et de drogue qui l’accompagnent.



Carte du Sahel (cliquez pour agrandir)(Peter Fitzgerald/Wikimedia Commons/CC)

C’est de Libye que sont partis les membres du commando de Mokhtar Belmokhtar, lié à Al Qaeda, qui a attaqué en janvier la raffinerie de pétrole algérienne d’In Amenas.

C’est encore de Libye que seraient venus les membres du commando qui a mené jeudi les opérations au Niger, pays au cœur du cyclone, frontalier de la Libye, du Mali, mais aussi du Nigéria où se déroulent actuellement de violents affrontements entre l’armée et les islamistes du groupe Boko Haram.

L’onde de choc de la guerre de Libye de 2011 n’a pas fini de se faire sentir.
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Qu’est-ce que le Mujao ?



Le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) se présente comme une scission d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi).

Créé en 2011, il se propose de porter le djihad en Afrique de l’Ouest. Il s’est fait connaître en décembre de cette année-là, en revendiquant l’enlèvement de trois humanitaires européens, deux Espagnols et une Italienne dans le sud-ouest de l’Algérie. Quelques mois plus tard, il a revendiqué deux attentats à la voiture piégée, l’un contre une brigade de gendarmerie à Tamanrasset, à l’extrême sud de l’Algérie (en mars, un mort, 23 blessés ), l’autre contre le commandement régional de gendarmerie à Ouargla, en Algérie également.

Personne ne sait trop qui dirige le Mujao. Il est initialement composé d’Arabes maliens ou mauritaniens, mais cherche à recruter dans les communautés noires. On le dit très lié au trafic de drogue de la région.

En janvier 2012, un Mauritanien, Hamma Ould Mohamed Kheirou, est apparu sur une vidéo postée sur le Net, se présentant comme le porte-parole de ce mouvement. L’objectif du Mujao, a-t-il expliqué, est de porter le djihad dans toute l’Afrique de l’Ouest et d’y imposer la charia.

Il a également inscrit l’action du Mujao dans la lignée des mouvements anticolonialistes de la fin du XIXe siècle.

Un autre homme, Adnan Abou Walid Sahraoui, s’est ensuite présenté comme le porte-parole du groupe. On évoque également, parmi les leaders du mouvement, l’Algérien Ahmed Al-Talmasi et un trafiquant de drogue malien notoire, le sultan Ould Badi.

Avant l’intervention de la France au Mali, le Mujao contrôlait une grande partie du nord du pays, et notamment Gao, où il a imposé la charia de façon très stricte.

En avril 2012, le Mujao a enlevé le consul algérien et six autres employés du consulat. Il a revendiqué l’exécution du vice-consul algérien, Tahar Touati, en septembre 2012.
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Pourquoi Areva ?





Exploitation d’uranium d’Areva à Arlit, le 23 mai 2013 (AP Photo/AREVA/HO)

L’attaque contre Areva, un groupe contrôlé par l’Etat Français, n’est pas une surprise pour la France. Depuis septembre 2010, quatre salariés français du groupe Vinci, travaillant pour le compte d’Areva, sont retenus en otage dans la région du Sahel par les hommes d’Aqmi.

Depuis son intervention au Mali, le commandement des forces spéciales de l’armée se préparait à de nouvelles attaques. En janvier, il a décidé de renforcer la protection des sites du groupe.

Derrière la guerre au Mali, il y a des intérêts à protéger, et l’extraction de l’uranium destiné aux centrales nucléaires françaises en fait partie.

L’uranium est même au cœur de la relation franco-nigérienne : cela fait quarante ans que Areva l’exploite, en vertu d’accords signés au début des années 60. Plus de 100 000 tonnes d’uranium ont été extraites à Arlit, dans la région d’Agadez. L’ouverture d’une autre mine est prévue à Imouraren.

Areva emploie environ 2 700 salariés au Niger, dont 98% sont des Nigériens. Une trentaine d’expatriés travaillent sur les sites d’Imouraren et Arlit.

Areva, sur son site, parle de partenariat « gagnant-gagnant ». Mais pour les opposants au nucléaire, la France ne fait que piller les ressources d’un pays africain, dans une pure démarche néocoloniale. Les Touaregs, qui peuplent le Nord-Niger où sont situées les mines, se plaignent eux aussi de ne pas bénéficier des retombées de cette exploitation.

Le président du Niger, Mahamadou Issou est lui-même un ancien cadre d’Areva.
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Que va faire la France ?





Le président nigérien Mahamadou Issoufou avec François Hollande à l’Elysée, le 10 mai 2013 (Jacques Brinon/AP/SIPA)

La France est revenue à reculons dans cet engrenage militaire. Dès son élection, en mai 2012, François Hollande a été rattrapé par le dossier malien, et avait consacré beaucoup d’énergie à lui trouver une « solution africaine ».

Celle-ci s’est révélée impossible et le président français s’est résolu à envoyer l’armée contre les djihadistes en janvier dernier. Il a tout de suite voulu donner un objectif limité à cette intervention, annonçant très rapidement un début de retrait des troupes françaises, dès que la reconquête du nord a été atteinte.

Ce début de repli a commencé, mais risque d’être compliqué par la situation régionale. Paris avait déjà précisé qu’un millier d’hommes resteraient au Mali pour une durée indéterminée, même après le déploiement de la force de l’ONU que la France tente d’aider à mettre sur pied (la Chine a proposé jeudi d’envoyer 500 hommes).

Dans le même temps, la France a renforcé sa présence militaire au Niger, en particulier pour protéger les installations d’Areva, dans le nord désertique du pays, vitales pour l’approvisionnement en uranium de la France et plus vulnérables.

Jeudi, François Hollande et Laurent Fabius ont promis l’aide de la France au Niger après les attaques du Mujao. En marge de son séjour en Allemagne, le président français a déclaré :


« Il ne s’agit pas d’intervenir au Niger comme nous l’avons fait au Mali, mais nous aurons la même volonté de coopérer pour lutter contre le terrorisme. »

Toutefois, selon certaines informations, des soldats français débarquaient à Agadez, dans le Nord-Niger, l’une des cibles des assaillants, quelques heures seulement après l’attaque, alors que la prise d’otages se poursuivait.

Cette brusque escalade nigérienne rend illusoire toute perspective proche de retrait des troupes françaises engagées dans la zone sahélienne. En intervenant au Mali, la France savait qu’elle s’engageait dans un conflit plus vaste, plus long, plus incertain et dangereux qu’elle ne voulait l’admettre publiquement.
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