lundi 23 juillet 2012


L'Histoire de Dassine et Moussa en pays targui


                                           Vies en souffrance

 Les passions inassouvies...

Légende de Moussa et Dassine
"Et dans le désert de mon coeur, qui agrandit le désert du sable,
le silence ajoute un voile sur mon voile, avec ses mains d'air et de sable.
Le silence ajoute un cri à tous les cris, avec sa bouche d'air et de sable.
Le silence ajoute une image à toutes les images, avec ses yeux d'air et de sable.
Et sous mes deux voiles, je vis deux fois pour t'entendre et pour te voir,
Ô Dassine, toi que je ne voulais plus nommer, et que je nomme sans cesse à chaque battement de mon coeur."
"Celui qui ne connaît pas le silence du désert,
ne sait pas ce que c'est le silence..."
                                                                               Proverbe Targui
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La Fille Bleue,
l'histoire de Dassine et Moussa en Pays Targui
"L'Amour est plus fort que la mort"
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Grande poétesse, de son vrai nom DASSINE OULT YEMMA,
Dassine était une musicienne et  poétesse targuie considérée comme  “Grande  Sultane du désert” et “Grande Sultane d'Amour” car elle était messagère de paix entre les touareg dissidents .
Elle était contemporaine de Charles de Foucauld qui parle d'elle comme d'une très belle femme:
"Dans tout l'Ahaggar, il n'y a pas de femme qui surpasse Dâssin. C'est une grande femme, elle a le teint clair, légèrement brun. Son visage est beau. Ses yeux sont magnifiques : ils sont expressifs et rieurs. Elle a les dents blanches et brillantes. Sa démarche est élégante. Elle sait bien jouer du violon. Elle a une conversation agréable. Elle est d'une grande intelligence. Rares, ou même inexistants, sont les hommes qui ont autant d'esprit que Dâssin dans l'Ahaggar." 

"L'eau elle-même sait nous dire "je t'aime" en posant sur nos lèvres le meilleur des baisers.
Qu'importe tous les voiles sous lesquels tu te caches, j'en ris comme le soleil rit des nuages ; ta vraie pensée sort toujours de ton coeur dans ton souffle".           Dassine
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  Dans le poème qui suit, elle décrit notre écriture, celle des arabes et particulièrement l’écriture tamacheq des touareg, les tifinaghs. Ce poème  fait rêver et touche profondément par sa simplicité et sa profonde humanité 
« Tu écris ce que tu vois et ce que tu écoutes avec de toutes petites lettres serrées, serrées, serrées comme des fourmis, et qui vont de ton cœur à ta droite d'honneur.
 Les arabes, eux ont des lettres qui se couchent, se mettent à genoux et se dressent toutes droites, pareilles à des lances : c'est une écriture qui s'enroule et se déplie comme le mirage, qui est savante comme le temps et fière comme le combat. Et leur écriture part de leur droite d'honneur pour arriver à leur gauche, parce que tout finit là : au cœur.
 Notre écriture à nous, au Hoggar, est une écriture de nomades parce qu'elle est toute en bâtons qui sont les jambes de tous les troupeaux : jambes d'hommes, jambes de méhara, de zébus, de gazelles : tout ce qui parcourt le désert. Et puis les croix disent que tu vas à droite ou à gauche, et les points – tu vois, il y a beaucoup de points – ce sont les étoiles pour nous conduire la nuit, parce que nous les Sahariens, on ne connaît que la route qui a pour guides, tour à tour, le soleil et puis les étoiles. Et nous partons de notre cœur et nous tournons autour de lui en cercles de plus en plus grands, pour enlacer les autres cœurs dans un cercle de vie, comme l'horizon autour de ton troupeau et de toi-même. »
Ce poème de Dassine est tiré de “La Femme Bleue” de Maguy Vautier.
 
L'arrivée de Moussa ag Amastan à Paris en 1910
...
Moussa aime Dassine. Il l'appelle :
« La rose du Hoggar »
« La lune blanche »
« La fille de l'étoile »
« L'incomparable »
« L'unique »
« L'or et l'argent mêlés »
« L'étoile entre les étoiles »
« La sœur jumelle du soleil »
« Ma montagne bleue »
« Mon amphore brune »
Et au plus fort de son désespoir, elle est :
« La colombe et l'hyène »
« Le lit et la tombe »
« Le ciel et l'enfer »

Il l'appelle « la fille bleue »
C'est Dassine, sa cousine par la sœur de sa mère.
Une voyante la lui a annoncée, marchant sur un chemin de pierre, aussi belle qu'un rêve saturé de lumière. Ce lent chemin, il le sait, c'est le sien, car déjà, dans le ventre de sa mère, il l'aimait.
« Son cou est plus beau que celui d'un poulain attaché dans un champ d'orge et de blé en avril. Dieu l'a créée et lui a accordé de jouir du respect de tous. Son oncle n'a pas de repos : tout le monde vient la lui demander en mariage. Quant à elle, en liberté, elle joue de l'imzad (1) et élève gaiement la voix. Je donnerais en aumône les troupeaux qui marchent vers la montagne et je donnerais tout ce qu'il y a de pâturages engraissant chamelles et chèvres d'ici jusqu'au Bornou pour qu'elle reste dans l'estime des hommes entre le soleil et les étoiles. »
Dassine aime Moussa. Elle l'appelle :« Le lion »
« Le juste »
« Le croyant »
« L'aigle qui va au loin »
« L'époux de ma pensée »
Hommage à la beauté de Dassine : la Femme Touareg
« Depuis ma naissance que je te connais, tu es plus beau qu'un dattier chargé de fruits sucrés. Lorsque tu prends ton chameau brun, celui marqué de vert sous la mâchoire, vert comme l'épi non mûri, tu es plus émouvant qu'une promesse de pluie, celle qui s'annonce avec l'éclair à l'Est. Toutes les femmes t'admirent. Tu es plus beau qu'un tamzak (2) richement décoré. Tu es plus rayonnant que les cristaux de glace au plus froid de l'hiver. »
Moussa veut que son front enturbanné surpasse tous les fronts de l'Ahal (3)
Dassine veut que le sien le dépasse encore.
L'orgueil les empêche de céder l'un à l'autre. Ils ont trop peur de se perdre en se perdant l'un dans l'autre.
Et pourtant ils s'aiment. On dit : « Si tu veux être aimé d'une femme, reste assis auprès d'elle, ainsi tu l'honores. Laisse-lui sa liberté, ainsi elle t'aimera sans contrainte. »
Elle danse, la fille bleue, de ses seules mains tendues vers les amoureux.
Elle chante, la fille bleue, des milles chants nés de la seule corde de son imzad.
Le voile noir de Moussa tait les secrets de sa bouche.
Le voile noir de Dassine cache le regard de ses yeux.
Et le son de l'archet sur le crin de l'imzad les harcèle.
Dassine dit : « Préfère à toutes voix, préfère avec moi, la voix de l'imzad, le violon qui sait chanter. Et ne sois pas étonné qu'il n'ait qu'une corde : as-tu plus d'un cœur pour aimer ? Mon imzad à moi est à lui tout seul tout l'espace qui vous appelle. »
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"Que l'imzad* chante et tous font silence.
Le crissement de l'imzad se fond dans le souffle des désirs inassouvis
Les chants sont la mémoire du futur"
      
* Imzad : violon à une corde dont joue une seule femme (chamane) dans chaque campement et qui dit-on parle directement à l'âme, car Allah aurait donné une âme à l'imzad...                                 Poême recueilli par Charles de Foucauld
------------------------------------------------------------------------------------------Elle rit, la fille bleue, égrenant le pas dansant des chèvres sur des rochers de souffre.
Elle rit, la fille bleue, de l'amour de Moussa et elle le possède par les mots, par les lettres de Tifinagh (4).
Elle brûle de liberté, la fille bleue. Elle agrandit ses yeux de k'hol et se farde cœur d'indigo, d'ocre et du jaune des fleurs d'acacia. Elle brûle plus encore de l'amour qu'elle refuse...Et d'Insalah à Tombouctou, se chante le nom de Dassine : « La rose peut-elle empêcher son parfum de se donner à tous ? »
« On dit que nous sommes trois à te plaire, sans que tu saches encore celui que tu préfères : si c'est Saori pour sa constance, Aflan pour sa richesse, ou moi pour ma poésie. Lequel triomphera de ton cœur, ô Dassine, des troupeaux, de l'orgueil ou du feu ? »
Aujourd'hui elle part, la fille bleue, au destin de ses noces. Elle a choisi Aflan Ag Doua pour époux.
« Et voici que s'est levé dans le ciel le soleil du jour de ton mariage, et à ce soleil du ciel répond le soleil de nos armes. Dassine, toi la fille de l'étoile qui mets sa chamelle d'or dans le pâturage du ciel, comment dire ton éclat ? Tu n'as pour bijou que ce collier berbère sur ta peau blanche. Tes cheveux, lissés en nattes, sont ta seule parure sous le voile. Et par ton seul sourire tu rayonnes, plus douce devant la tente que le pain de sucre et le rayon de miel. »
On dit : « L'homme qui déplait à une femme doit se tenir à l'écart, comme le méhari que l'on n'a pas choisi pour la caravane. »
Bientôt, elle sera mère, la fille bleue, mère d'un fils né d'elle et d'Aflan, qu'elle nommera Sidi-Moussa-le-lionceau. Elle se dit : « La gloire de mon front est moins grande que celle de mon sein gonflé de lait. » Et elle entend : « Femme, ne te plains jamais, toi qui connais la joie blanche d'allaiter. »
Moussa le guerrier, Moussa le poète, s'est éloigné depuis longtemps.... Il va là où elle n'est pas, pour s'engloutir dans l'espace du désert, pour la perdre dans le sable de la mémoire : « L''oasis est loin, mais moins loin que l'amour de Dassine. » Il vit parmi les épines et cram-cram (5), terrassé par la soif intarissable de l'aimée. Il demeure de longues heures les pieds posés nus sur le sable, dans le silence bruyant de sa douleur.
« Homme, il faut savoir se taire pour écouter le chant de l'espace. Qui affirme que la lumière et l'ombre ne parlent pas ? »
Moussa a choisi la fièvre, les bêtes sauvages, les blessures, la lance glorieuse, la soif, la faim, le vent et les mirages, l'aridité du désert.
Il veut mourir en combattant. Toujours prêt à tuer pour se tuer lui-même. Il lève haut son bracelet qui porte la vaillance de son bras nu. Il hurle dans le vent la rage de son amour englouti : « Trop lourd est le burnous de la vie. »
Mais de lune en lune, sa soif de la femme bleue grandit. Sur le sable il trace le serment de ne jamais prononcer son nom. Et déjà, le vent, en tourbillonnant, a tout effacé. Passent les années... Aflan délaisse Dassine pour « acheter » une autre femme. Dassine, indifférente à son absence...La tendresse de son enfant, Sidi-Moussa-le-lionceau, la comble... Mais la pensée de Moussa, son premier amour, l'habite.
Passent les années, huit années de désordres, de violence, de désespoir...
Alors, un soir, son méhari commande à Moussa de revenir au campement, de revenir vers la fille bleue. Moussa lui a obéi.
A l'entrée de la tente, elle le regarde, aussi languissante qu'un dernier souffle d'air, aussi ployée que le genêt du désert tourné vers le vent.
Moussa a dit : « Je me suis abîmé dans ton amour comme dans une tombe. La vie s'est refermée sur moi. Quelle ivresse peuvent me donner désormais les conquêtes les plus difficiles ? Les autres femmes n'ont été pour moi rien de plus que la les brumes de la rosée pour le soleil. Maintenant je viens de goûter sur ta bouche la volupté d'absorber ton cœur et de te livrer ma vie dans le mien. Ton baiser a l'odeur enivrante du mimosa qui sourit au gommier bleu sous la main d'or du jour levant. Le désert lui-même n'est plus assez vaste pour séparer nos cœurs. »
L'enfant, Sidi-Moussa-le-lionceau, a maintenant seize ans. Il a désormais le droit de se battre avec les hommes. Dassine se rendit chez Moussa : « Moussa, toi qui par amour pour moi es devenu le pèlerin du soleil et le lion des combats, enseigne à mon fils ce que t'ont enseigné le silence et le temps. »
Moussa dit alors à l'adolescent : « Apprends d'abord, et parle ensuite...Au sédentaire la charrue, au guerrier le combat. Que le chamelier garde ton troupeau, que le Takouba (6) garde ton honneur ! Crois en ta force si tu veux être fort et que la fatigue ne terrasse que celui qui mesure ses pas. L'opulence assèche le cœur et le combat l'ennoblit. Il faut que ton courage monte comme un palmier dans le ciel et que la peur s'enfonce comme une taupe dans la terre, si tu veux avoir l'orgueil d'être toi.. »
L'adolescent partit au combat. Il est tué deux ans plus tard. Sa mère, Dassine, s'enferme dans la solitude de son malheur. Elle dédie sa passion au sable qui coule entre ses doigts en gerbes de poussière brisées par le soleil.
Moussa, lui, est torturé par l'amour amer, plus amer que le fiel des fleurs vénéneuses. Ni les baumes, ni les talismans, ni les feuilles à mâcher ne le guérissent de sa fièvre.
Pour Moussa, lentement, la main noire de la mort avance.
Il faut connaître le désert pour savoir le silence. On dirait qu'il tombe de la lampe de chaque étoile et du tombeau blanc de la lune. Moussa dit aux étoiles : « Qu'on m'ensevelisse dans l'infini du désert...A qui meurt d'amour immense, il faut un immense oubli. »
On est venu me dire que tu es mort.
"Je monte sur la colline où est ton tombeau.
Je prends des pierres, j'enterre mon coeur.
L'amour c'est pendant la vie qu'il se donne.
A la mort on n'apporte que des pierres."
"La mort qui te fait des yeux creux et une bouche sans lèvres
te rendra auprès d'Allah ton visage de vie."
"L'Amour est plus fort que la mort"

On peut voir les tombeaux de Dassine et Moussa côte à côte à                                         Tamanrasset.
La mort leur a donné l'union qu'ils avaient tant cherchée
                                      durant leur vie.
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(1) Imzad : violon à une corde
(2) Tamzak : selle de dromadaire
(3) Ahal : soirée poétique rythmée par une joueuse de l'imzad où les célibataires femmes et hommes rivalisent de poésie et d'élégance
(4) Tifinagh : Alphabet berbère
(5) Cram-cram : graminées sauvages du sahara. La graine est enfermée dans un étui d'épines qui s'accrochent aux vêtements et déchire la peau
(6) Takouba: épée touareg
Résumé par Djamal Benmerade :
Extraits du livre de Maguy Vautier
La fille bleue

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