mardi 19 juin 2012


Hama Ag Sid Ahmed. Porte-parole du Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad (ex-MNLA)

«Pour le bien de tous, les négociations avec Ansar Eddine doivent se poursuivre»

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le 19.06.12 | 10h00 Réagissez
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Alors que l’Union africaine ne désespère toujours pas de parvenir à envoyer des troupes au Mali, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) vient de se muer en Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad (CTEA). Hama Ag Sid Ahmed, le porte-parole de l’organisation qui vient de naître, donne les raisons de ce changement. Le chef touareg revient également sur les négociations entamées par le MNLA avec Ansar Eddine.  

-Le MNLA a mené avec Ansar Eddine plusieurs rounds de négociations dont la finalité était de créer un seul et même mouvement. Pourriez-vous nous dire pourquoi ces négociations se sont terminées par un échec ?
L’objet de ces négociations était de faire en sorte à ce que nous parlions d’une seule voix et que nous ayions une capacité militaire en mesure de sécuriser l’ensemble de la zone. Les combattants de deux organisations voulaient également, à travers ce projet de fusion, isoler les autres groupes qui sont venus installer la peur dans la région depuis plusieurs années. Il s’agissait, enfin, de nous entendre sur des objectifs politiques clairs et des revendications politiques précises pour convaincre la communauté internationale de contribuer concrètement à stabiliser la région dans l’intérêt des populations qui souffrent d’asphyxie sociale et politique depuis plusieurs années. On a constaté durant ces négociations que certains responsables des deux organisations n’étaient pas chauds pour matérialiser cette unité.
-Pour quelles raisons ?
Il y a ceux qui pensent que les responsables d’Ansar Eddine sont manipulés par des extrémistes venus d’ailleurs et qu’ils veulent imposer une culture d’intolérance dans la région et dans l’ensemble du pays. En revanche, d’autres soutiennent le contraire. Cette catégorie de responsables se dit convaincue que les chefs d’Ansar Eddine peuvent être une partie de la solution à l’insécurité qui caractérise la région. Pour eux, la fusion du MNLA avec leur organisation n’équivaut pas forcement à entretenir un partenariat avec le couple AQMI-MUJAO. Comme je viens de vous le dire, le but de ce travail est de réussir à mettre en place une organisation unique avec des objectifs politiques communs pour peser sur le terrain et dans des négociations. Une organisation capable de faire face autant à ces deux organisations terroristes qu’à l’armée malienne.
De leur côté, certains leaders d’Anser Eddine disent qu’il y a plusieurs moyens de faire échec à l’enracinement chez nous de groupes terroristes. Pour eux, il est possible de les faire partir de la région sans combat. Ansar Eddine assure qu’il peut apporter une grande contribution dans ce domaine. Toutefois, des responsables du MNLA ne croient toujours pas à ce discours. D’autres évoquent une querelle de leadership. Les avis sont très partagés actuellement. Les réalités du terrain et les avis des combattants (qui ont tant souffert et qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour vivre dans la dignité) nous obligent toutefois plus que jamais à créer les conditions d’une unité. C’est une nécessité. Pour la stabilité de la région et le bien-être de tous, celle-ci doit tout de même reposer sur de vrais objectifs politiques. Faire autrement, c’est  jouer le jeu de ceux qui veulent faire échouer cette lutte. Je tiens à le dire : ces négociations qui ont duré plusieurs semaines ne sont pas un échec. Il s’agit juste d’une entrée en matière qui permettra de mieux continuer les discussions sur les points laissés en suspens.
-Les contacts entre les deux mouvements ne sont donc pas rompus ?
Non, les discussions ne sont pas rompues, elles se poursuivent à Kidal, à Gao et dans les bases. Les combattants des deux organisations discutent entre eux. Les responsables militaires et politiques des deux organisations continuent également de se concerter. Je tiens, à ce propos, à insister sur le fait que les combattants des deux organisations s’entendent. Seuls quelques responsables politiques des deux organisations ont encore quelques divergences auxquelles nous tentons de trouver des solutions. Je pense que si nous voulons être entendus et avoir une organisation crédible, des sacrifices de part et d’autre doivent être acceptés. Il est important de parvenir à une unité. Une unité qui puisse battre en brèche les clichés négatifs accolés à cette région et tout ce qui salit l’image des citoyens de cette communauté. L’unité dont je parle doit aussi impérativement prendre en ligne de compte la souffrance des populations qui ont du mal à supporter les conséquences de ce conflit.
-Il y a déjà eu plusieurs accrochages entre vos éléments et ceux d’Ansar Eddine. Ne craignez-vous pas justement que la situation dégénère en guerre civile dans l’Azawad ?
Non. Il n’y a pas eu d’incidents. Du moins, il n’y a rien qui puisse faire l’objet d’un commentaire. Il y a eu juste des dépassements entre certains éléments touaregs de Kidal et certains éléments extérieurs à cette ville depuis quelques jours. Le problème a été réglé. A Tombouctou, par contre, la situation est difficile entre les éléments d’AQMI et les combattants qui forment la base de l’ex-MNLA. Un incident s’est effectivement produit dans la matinée du 13 juin entre des combattants du Conseil transitoire de l’Azawad et le groupe AQMI qui se trouve sur place. Ce dernier tenait un check-point de la ville de Tombouctou. Lors de cet incident, des éléments d’AQMI ont trouvé la mort. Le Conseil transitoire de l’Azawad a dénombré deux blessés graves dans ses rangs. Les groupes AQMI avaient empêché quelques jeunes touareg (venus de l’extérieur de la ville) d’accéder à la base de l’ex-MNLA qui se trouve dans cette même ville (près de l’aéroport). Actuellement, la tension est très vive.
Au-delà, je tiens à certifier que le groupe d’Ansar Eddine ne se trouve pas dans la zone de Tombouctou. Il l’a quittée depuis plusieurs semaines. Il ne peut pas y avoir un affrontement entre des éléments du groupe d’Yad et ceux du Conseil transitoire de l’Azawad, parce que les combattants des deux organisations se connaissent et sont les mêmes. Ces personnes sont issues des mêmes familles et partagent les mêmes objectifs. Elles sont seulement séparées par des hommes politiques. Il peut y avoir des défections d’un camp vers un autre mais il ne peut y avoir de recours à la force.
-Le Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad (CTEA) a-t-il les moyens de s’imposer sur le terrain ? La question se pose, d’autant plus qu’Ançar Eddine contrôle le gros des localités de l’Azawad...
La réalité est tout autre sur le terrain. Le CTEA se trouve dans toutes les villes et villages où ses combattants ont mené des offensives pour déloger l’armée malienne. Je parle de Ménaka, Anderboukane, Gao, Tessalit, une partie de la ville de Tombouctou et Tinzaouaten. La ville de Kidal est occupée par Ançar Eddine et le CTEA. On constate sur le terrain et quand la situation l’exige, des éléments d’Ançar Eddine qui s’associent à ceux du CTEA pour sécuriser certaines localités. Il est vrai que l’on peut croiser dans la ville de Gao des éléments qui brandissent l’étendard du Mujao. Ces derniers sont tous originaires de la région de Gao et sont manipulés par des barons de la drogue de la région. Ces barons profitent de la présence du Mujao pour mener leur trafic. Et les vrais responsables du Mujao sont à quelques centaines de kilomètres de la ville de Gao. Les agissements de ces personnes s’expliquent par leur crainte de perdre l’espace qu’ils avaient pendant les deux mandats d’ATT.
La situation est un peu la même à Tombouctou. Les milices créées par ATT s’appuient sur l’organisation d’AQMI. Elles contrôlent les périphériques de la ville pour imposer la situation que vous connaissez et que connaissent les citoyens de cette ville. Ce sont toutes ces données qui ont justement poussé le MNLA à se transformer en CTEA. Cet organe politique et militaire sera opérationnel après la grande réunion des 15 et 16 juin 2012 (entretien réalisé le 14 juin 2012). La vraie problématique aujourd’hui est de savoir comment réduire la menace des trois organisations (les trafiquants de drogue, le Mujao et l’AQMI) qui tentent de disputer le territoire de l’Azawad aux communautés de l’Azawad. Un grand défi qui attend dans les prochains mois le CTEA et la communauté internationale.
-Quels sont vos rapports avec le reste des organisations azawadiennes ?
Il y a des concertations et des rencontres avec les organisations traditionnelles de la région. Je fais allusion aux notables touareg, arabes et sonrai. Plus de 152 sonrais (songhaï) armés ont intégré l’état-major du CTEA depuis plusieurs semaines. Un sonrai est, par ailleurs, vice-président dans le nouveau Conseil transitoire mis en place le 9 juin 2012. Les communautés sont prises en compte dans tous les échanges et rencontres (religieux, chefs des tribu, cadres, élus et chefs des villages). Une partie importante de la communauté arabe a adhéré au CTEA. Cela ne signifie pas pour autant que tous les problèmes sont résolus. Nous rencontrons encore dans la région certains leaders arabes, touareg et sonrai qui ne sont pas complètement acquis. Les vrais chantiers viennent de commencer pour le CTEA et pour les notabilités de la région.
-Une délégation du MNLA s’est récemment entretenue sur la question avec le président Compaoré, le médiateur de la Cedeao. Peut-on savoir ce qui s’est dit lors de cette réunion et ce que vous attendez du dialogue entamé avec la Cedeao ? Quelles sont les lignes rouges que vous vous fixez ?
Effectivement, une délégation s’est rendue au Burkina Faso. Elle a transmis une correspondance du secrétaire du MNLA au médiateur de la Cedeao. Comme nous l’avions déjà exprimé avant la reprise des hostilités en janvier, le mouvement a réitéré, lors de ces entretiens, sa disponibilité «au dialogue et demande à la Cedeao de s’impliquer dans la région pour une issue politique avec la participation de la communauté internationale». Le mouvement a demandé également à ce que «le représentant de la Cedeao intervienne auprès de ses pairs pour éviter toute intervention militaire dans la région». Il n’y a pas encore une réelle implication de la Cedeao dans la gestion de ce conflit, mais plutôt une médiation qui tente d’assurer un retour à la légalité institutionnelle à Bamako. Il y a eu une grande écoute de la part du représentant de la Cedeao. Pour le moment, il n’y a pas encore eu de propositions concrètes de sortie de crise. Je pense que nous n’en sommes pas encore là.
La représentation de la Cedeao est plus préoccupée par la vacance du pouvoir à Bamako et les divergences qui sont apparues au sein de la Cedeao sur cette question malienne. Cela dit, certains pays doivent être nécessairement associés si on veut éviter des retombées négatives du conflit à l’ensemble de la région. Cela signifie la présence du représentant de la Cedeao (le Burkina Faso) mais également et surtout de l’Algérie, de la France, de la Mauritanie et du représentant spécial des Nations unies en Afrique de l’Ouest. Ce groupe de paix et de médiation pour la région du Sahel doit se concerter pour définir une stratégie commune de paix et de sécurité dans la région sahélo-saharienne. Ils doivent faire une évaluation concrète de la situation. Dans cet exercice, ils doivent surtout tenir compte des erreurs passées et éviter des solutions bâclées. Il faut trouver une solution définitive aux revendications posées par la majorité des communautés de l’Azawad.
-Que pensez-vous du souhait du président de l’Union africaine d’intervenir militairement au Mali ?
Je comprends l’inquiétude du président de l’Union africaine, la peur que cette situation se propage à l’ensemble de la région. Je pense qu’avant d’effectuer toute demande d’intervention militaire au Conseil de sécurité des Nations unies, il est impératif que toutes les pistes politiques soient explorées. Ce qui n’est pas encore le cas. Comme disent certains milieux diplomatiques, «toutes les cases ne sont pas encore remplies pour justifier une telle intervention». Elle ne se justifie pas pour le moment. Il est prématuré pour cela. Une telle intervention risque d’ailleurs d’apporter plus de complications que de solutions. Tous les acteurs extérieurs qui souhaitent lutter contre ces groupes extrémistes venus d’ailleurs doivent d’abord participer à la stabilité politique de la région par les négociations. Pour parvenir à la paix, ils doivent composer avec les populations locales, avec le CTEA en particulier. Faire les choses dans la précipitation sans avoir exploré toutes voies pacifiques, c’est se situer à l’opposé de la sagesse.
Zine Cherfaoui

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