samedi 19 mai 2012


Irrédentisme Touareg au Mali

La sortie des historiens la semaine passée, le contenu de leurs contributions et la passion qui animait les débats sont les raisons qui nous poussent à mettre ce texte à votre disposition. Chers lecteurs, nous espérons qu’il contribuera à vous éclairer sur des pans de notre histoire qui sont soit méconnus ou bien occultés sciemment par nos intellectuels et dont la prise en compte nous permettra, nous en sommes sûrs de trouver un règlement définitif à ce que l’on a communément appelé : La situation du Nord Mali. La situation au nord du Mali nécessite une réflexion, sans passion, sans àpriori, sans parti pris ; en un mot une réflexion faite avec lucidité, recul sans aucune forme partisane.
Une approche emprunte de lucidité pour le résorber
L’indépendance du Mali des années 1960 n’a pas permis une gestion efficiente de l’ensemble Kel-Tamacheq
C’est seulement une telle approche, empreinte de  lucidité qui peut nous permettre de trouver un début de solution à cette problématique aujourd’hui récurrente.
Cette démarche  ne peut se faire qu’à travers une genèse du problème qui a vu ses débuts dans les velléités touarègues qui ont connues leur apogée dans les années 1916, date des batailles de Félingué (Niger), Andéramboukane (Mali) qui a sonné le glas de la plus grande confédération Touarègue au sud du Sahara, celle des Iwillimiden avec Fihroun Ag Alinsar à sa tête.

L’indépendance du Mali des années 1960 n’a pas permis une gestion efficiente de l’ensemble Kel-Tamacheq.
Le mode d’administration n’intégrait pas les Kel-Tamacheq
Le mot efficient est employé pour dire que le mode d’administration auquel ont été soumis les Kel-Tamacheq à l’indépendance, n’a pas permis de les intégrer dans la nouvelle Nation. Bien que se réclamant de  celle-ci, les Kel-Tamacheq se sentaient administrés à distance sans jamais être associés aux décisions qui pourtant les concernaient.
Cette mise à l’écart volontaire et/ou involontaire a été en partie la cause de quelques incompréhensions qui se sont traduites par des soulèvements dont les plus connus sont les suivants :
Les rebellions et/ou révoltes de 1962 -1990-2006 et 2012 :
Sans avoir la prétention de faire une étude exhaustive des différentes rebellions et/ou révoltes dites Touarègues. Nous tenterons  d’en évoquer simplement les causes et les conséquences sans faire  de bilan chiffré.
La rébellion de 1962 :
Au lendemain de l’indépendance du Mali, éclate une révolte dans l’Adrar des Iforas, assimilable à une Réplique autochtone au pouvoir  de la première République.
Ses causes, d’ordre historique, socio-économique et même politique, pourraient également être liées au passé belliqueux des Kel Tamachaq.
Vers le VIIIe siècle, la conquête arabe s’était retrouvée face à une stratégie d’occupation diffuse de l’espace par les Kel Tamachaq.
Ceux-ci n’ont donc pas été effectivement islamisés par la force. C’est l’échec des arabes.
Ayant été à la base de nombreux troubles dans le sud Marocain sous Moulaye Ismaël, les Kel Tamachaq ont tenté et fini par contrôler les salines de Teggaza (actuel Taoudenit), sous l’empire Songhay.
Vers la fin du XVème siècle, ils rendirent impossible l’hégémonie  des Marocains au Nord du Soudan et furent les maîtres du septentrion soudanais (Tombouctou) jusqu’à la conquête coloniale.
Au XIXè siècle, ils s’opposèrent farouchement à la pénétration française
Au XIXè siècle, ils s’opposèrent farouchement (dans la boucle du Niger et dans l’Azawagh) à la pénétration coloniale.
Revigorés par ce passé glorieux et l’effet sûrement positif de leur attitude réfractaire face à la domination coloniale, les Kel-Tamachaq ne pourraient logiquement, qu’être hostiles au pouvoir de 1960 de la nouvelle Nation malienne.
Ce nouveau pouvoir n’avait pour effet, selon eux, que de les confiner dans une isolation similaire à celle déjà vécue pendant la période coloniale.
Les causes pourraient  aussi découler de  la gestion mitigée du Soudan Français par le colonisateur.
Les années qui ont précédé les indépendances en Afrique, ont été émaillées de sursauts nationalistes épars et insaisissables par la métropole.
En effet les élites africaines formatées dans les moules coloniaux pour aider la France à mieux ²gérer² les indigènes, prirent très tôt conscience de l’importance du rôle de relais incontournable dont elles étaient investies.
Elles s’impliquent activement et dangereusement dans les pratiques éhontées de la domination coloniale des peuples d’Afrique.
Les pionniers de l’indépendance s’organisèrent…
Face à ce ²complot² savamment hourdi, dont les retombées pourraient être fatales au devenir des peuples opprimés d’Afrique, les pionniers de l’indépendance (Ahmed Sékou TOURE en Guinée, Modibo KEITA au Mali, Léopold Sédar SEINGHOR au Sénégal, Houphouët BOIGNY en Côte d’Ivoire…) s’organisèrent.
Initialement, ce fut à travers d’actions isolées et éparses, puis ils constituèrent de véritables blocs régionaux pour mieux résister et déjouer les stratégies colonialistes, mais aussi et surtout sensibiliser, organiser et conscientiser leurs compatriotes face à l’adversaire redoutable qu’est l’envahisseur colon.

D’autres encore plus fins, comme l’²avocat² de la métropole en Afrique, (Houphouët BOIGNY de la Côte d’Ivoire), réfléchissaient déjà aux liens que devrait entretenir  la métropole avec ses anciennes colonies, si celles-ci devenaient indépendantes.
Au Mali, quelques contacts furent pris…
[Sur convocation des chefs Touareg par les officiers français, « Hamatou Ag Fihroun s’était rendu à Gao à la place de l’Amanokal Tiljatt en vue de la signature d’une  pétition en faveur de l’O.C.R.S. stupéfaits et contrariés par le caractère de cette invitation dont seuls les chefs nomades étaient concernés, les députés Songhay de la ville de Gao, en l’occurrence, Alassane TOURGA, Alousseïny TOURE, Abdoulaye MAIGA dit Mankman et Agnadoumbou MOULAYE, alors venus à leur accueil, ne se privèrent pas d’invectiver leurs hôtes.
Ces derniers de les rassurer sur leur intention, qui contrairement à ce que l’on pourrait lui prêter, n’avait pour but que la séparation des Chrétins, Ikufar, des musulmans.
Une lettre ouverte au Président français Général Charles De Gaulle
Des entretiens se multiplièrent avec nombre de chefs coutumiers, commerçants et notables de la boucle du Niger sur la nécessité de la création de l’O.C.R.S. Ils aboutirent à la rédaction d’une lettre ouverte au Président Français  en la personne du Général Charles DE GAULLE. Ci-après le contenu, lettre publiée dans l’ouvrage de Pierre BOILEY, Les Touaregs Kel Adagh Dépendances et révoltes : du Soudan français au Mali contemporain paru en 1999, édition KARTHALA.
« Opposition formelle au système autonome ou fédéraliste d’Afrique Noire ou d’Afrique du Nord ».
« Nous avons l’honneur de vous déclarer très sincèrement une fois de plus que nous voulons rester toujours Français musulmans avec notre cher statut privé. Nous vous affirmons notre opposition formelle au fait d’être compris dans un système autonome ou fédéraliste d’Afrique Noire ou d’Afrique du Nord.  Nos intérêts et nos aspirations ne pourraient dans aucun cas être valablement défendu tant que nous sommes rattachés à un territoire valablement représenté et gouverné par une majorité noire dont l’ethnique, les intérêts et les aspirations ne sont pas même que les nôtres. C’est pourquoi nous sollicitons votre haute  intervention équitable pour être séparer politiquement et administrativement et le plus tôt possible d’avec le Soudan Français pour intégrer notre pays et sa région boucle du Niger au Sahara Français dont nous faisons parti historiquement et ethniquement ».
Les Populations nomades écartées de cette initiative
C’est malgré cette euphorie nationaliste que fut créée en  1957, l’Organisation commune des Régions sahariennes, OCRS par  loi  n° 57-7-27 du 10 janvier 1957, dans  un but économique et géostratégique, mettant d’office l’exploitation des ressources minières du  Sahara (hydrocarbures, et autres minerais) au profit de la reconstruction de la France d’après guerre.
La thèse selon laquelle les populations nomades elles-mêmes n’étaient nullement au fait d’un  tel projet est la plus plausible et écarte toute possibilité de leur implication dans son initiation.
Toutefois, la convocation des seuls chefs traditionnels à la rencontre de Gao et la lettre ouverte au Président de la République française, ne militent guère pour l’innocence des Kel-Tamachaq.
Hamatou Ag Fihroun et Intalla Ag Attaher écartés au congrès de l’US-RDA de Gao…
Bien qu’ayant l’assentiment des notables Songhaï, cosignataires, les termes de la fameuse lettre ouverte étaient si explicites et édifiants qu’ils finirent par entamer la cohésion sociale pourtant séculaire entre ces deux groupes sociaux.
En effet, le qualificatif ²noir² qui n’était pas attribuable aux Kel-Tamachaq et maures, ne pouvait désigner logiquement que les Songhay, Peuls ou Bamanan au sud, d’où le signe perceptible des velléités  d’une discrimination raciale qui ne dit pas son nom.
N’est ce pas là, les raisons de l’écartement de Hamatou Ag Fihroun et Intalla Ag Attaher qui représentaient Ménaka et Kidal  au congrès constitutif de l’US-RDA de 1958, par la section US-RDA de Gao de tout mandat électif en désignant en leur lieu et place comme députés avec résidence à Gao  Abdoulaye MAIGA dit Mankman pour Ménaka et Alassane TOURGA pour Kidal pendant la première législature de la jeune République du Mali en 1960 ?
Esprit séparatiste
La politique de la métropole qui consiste à maintenir les touaregs dans leur état de nomade en créant des écoles qui nomadisent avec les campements vécue par les sédentaires comme un privilège a contribuée à mettre en exergue cette discrimination entre la race blanche et la noire, qui jusqu’ici est latente.
Cette  gestion des Kel Tamachaq par le colon français est sans doute l’une des sources des problèmes actuels, et est de ce point de vue, l’initiatrice de l’esprit séparatiste et racial que l’on retrouve  entre noirs et blancs jusqu’aujourd’hui au Mali.
La réaction des nomades (à l’indépendance du Mali) en 1962-1963, n’était pas forcément comprise des nouvelles autorités  du pays.
Au lieu de considérer la révolte de 1962-1963, comme un simple soulèvement  mené par un petit groupe (20 personnes ?) sous la direction d’Aladi Ag Alla, dont le père (Alla) fut décapité en 1951 par un peloton méhariste ; ou la réaction des aristocrates en passe de perdre leurs privilèges traditionnels… les autorités maliennes ont crié fort au racisme, à la haine du noir, et au mépris qu’ont les Kel Tamasheq pour ce dernier. Toutes choses qui ont été préjudiciables pour cette communauté.
Méconnaissance des acteurs politiques d’alors du mécanisme intra-communautaires
La gestion des autorités de l’US-RDA de la révolte de 1962 – 1963, allait mettre en évidence  la méconnaissance des acteurs politiques d’alors du mécanisme que constituent les liens intra-communautaires. Et surtout   l’immaturité politique des Kel-Tamachaq.
Face à ce qui précède, l’on constate que l’US-RDA de Modibo KEITA qui venait de remporter les élections a vite remis en cause son « idéologie égalitaire », dans le nord mali en utilisant l’armée nationale contre les populations civiles globalement  étrangères à ladite rébellion.
En effet, au congrès de Bamako (1960), l’US-RDA, parti socialiste, choisit une voie inadaptée aux structures maliennes en général, et nomades en particulier.
Les causes historiques
Les causes historiques concernent l’action de l’US-RDA. Si dans un premier temps, le P.S.P. était considéré par le colonisateur comme un parti modéré et « sage », dans un second temps, l’USRDA était considéré comme une sorte de « haut-parleur », qui  porte loin les principes de l’égalité des hommes, et le droit aux anciens tributaires  de s’émanciper. De surcroît, ce parti politique par inexpérience, a reconduit l’ancien système de gestion de l’administration coloniale. Partout dans la région de Gao, la rumeur faisait entendre :  « les biens seront communs, les femmes seront communes, et les vieillards sommairement exécutés ».

Ce qui n’était que rumeur se concrétisait de plus en plus par des exactions perpétrées par les milices du parti socialiste de Modibo KEITA, situation qui allait  bouleverser les mentalités nomades et les éloigner de tout porteur d’uniformes qu’ils confondent à la milice.
Raison de plus pour que, dans la tradition orale l’on retienne quelques raisons ayant motivées le soulèvement de quelques individus en 1962-1963.
Parmi ces raisons, celles-ci nous paraissent essentielles :
-           L’humiliation (amputer le turban, faire asseoir des gens au soleil, les obliger à faire   des travaux dégradants  chez les Kel-tamachaq : comme la corvée  d’eau etc…) ;
-           La vengeance de Alla (tué par les français) par son fils Alladi;
-           Le confinement et/ou la tentative de sédentarisation des nomades  (les administrations coloniale et  malienne, chacune en ce qui la concerne, ont tenté de limiter la mouvance des Kel tamachaq à coup de décrets, de décisions ou d’arrêtés).
La cause directe
La cause directe  de la révolte de l’Adrar fut les propos injurieux tenus par un garde-goum à Alladi au sujet de son père  Alla  que voici : « nous te couperons la tête comme nous l’avons fait à ton père ».
Dans la région de Gao, les orales font état d’exactions et humiliations parmi certaines  tribus Dawsahak, par des gendarmes commandés par un certain adjudant chef Zoulbaïba, lui-même de la tribu Kel Antsar. Il semble que la présence de certains groupes touareg dont les territoires sont très distants de l’Adrar des Iforas  aux côtés de ceux-ci dans une révolte qui au demeurant  ne concernait que l’Adrar  des Iforas peut être mise en rapport avec le passage meurtrier de Zoulbaïba dans leurs campements secteur d’Ansongo.
Racisme de protestation contre l’administration de l’US-RDA
Il nous paraît essentiel donc, de relever que le racisme invoqué dans les sources orales, ne saurait être le rejet systématique de l’autre, le Noir, mais d’un racisme de protestation contre l’administration de l’US-RDA.
Cette administration procédait par des bains de soleil, ôtait le turban, chose que même le colon jusqu’ici, s’est retenu de  faire. De ce point de vue, le climat de méfiance des Kel Tamachaq à l’égard des administrations, ne saurait s’expliquer autrement, surtout si l’on considère les conséquences de cette révolte de 1962-1963.
Conséquences de la Révolte de 1962-1963 sur l’évolution Socio-économique des Kel Tamachaq.
Face aux ²massacres² ou ²génocide², aux arrestations sous l’US-RDA à Kidal, des exils ont été observés en milieu Tamachaq.
Les arrestations de certains notables touaregs et leur déportation de leurs localités  pour le bagne de Kidal où quelques uns sont morts par la torture en 1963, serait à l’origine de plusieurs départs souvent définitifs vers la Libye, l’Algérie et même en Arabie Saoudite.
Cette attitude qu’ont adoptée les autorités de la nouvelle république du Mali face aux Felagga n’a  pas épargné le bétail. Ainsi, des sources orales rapportent que l’adjudant de gendarmerie de la fraction Kel Intsar,  Zoulbaïba et son équipe ont tué des centaines d’animaux à Higar, arrondissement de Talataye, dans le cercle d’Ansongo.

Plusieurs perquisitions à caractères macabres ont été opérées dans cette région. C’est le cas  de Tagourdaq, arrondissement de Talataye, toujours dans le cercle d’Ansongo où des hommes et des femmes ont été sommairement  exécutés dans l’anonymat.
Le tissu socio-économique de la région bouleversé
Le tissu socio-économique de la région a été bouleversé par les échos de ce qui se passe à Kidal où des tentatives de « destructions culturelles » ont été opérées. A cet égard, des Kel Tamachaq devraient apprendre à danser au rythme du balafon par la force.
Des cas évidents de viols ont été constatés ; ultime humiliation dans une société Kel-Tamachaq où le viol est inconnu, pire il est assimilé à un crime sans nom…
Le tissu social et le cycle des pâturages ont été bouleversés par la présence d’une administration militaire ignorant tout de la région, sauf la répression.
Issue rapide à la rébellion de 1962-1963
Si la rébellion de 1963 a trouvé une issue rapide, cela est  seulement  imputable à l’arrestation de Zaïd Ag Attacher, Alladi Ag Alla, et Iliass Ag Ayouba par les autorités Algériennes qui les ont livrés au pouvoir de Bamako. Une solution similaire était-elle encore possible en 1990 ?
La rébellion de 1990
Trente ans après l’indépendance du Mali, vingt sept ans après la rébellion de 1962-1963, éclate une deuxième rébellion, par l’attaque de la localité de Menaka, dans la nuit du 28 au 29 juin 1990. Cette nouvelle rébellion ressemble à la première du point de vue de ses causes et de ses conséquences, mais en diffère essentiellement par son envergure et ses acteurs.
Au total, la rébellion de 1962-1963 était celle de quelques jeunes n’ayant appris aucune technique militaire, et celle de 1990, l’œuvre de jeunes militaires professionnels. Cet aspect peut-il être occulté par nos responsables politiques?
A suivre…
Tiéfolo Coulibaly (stagiaire)
    du   19 mai 2012.

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