par Gilles Munier | |||||||
Mondialisation.ca, Le 14 avril 2011 | |||||||
Mercredi 15 avril 2011 Extrait de : « Les espions de l’or noir », par Gilles Munier (Ed. Alphée-Koutoubia – 2009)
Qui a assassiné à Grenoble, le 29 avril 1950, le géologue et explorateur français Conrad Kilian, découvreur du pétrole des déserts du Sahara et du Fezzan ? Faut-il prendre au sérieux la confidence d’un major de l’armée britannique qui, cinq ans plus tard, dans une réception parisienne, reconnut que l’Intelligence Service s’était occupé de lui, comme on dit dans le Milieu ? La police criminelle, après une enquête bâclée, avait conclu au suicide, bien qu’une voiture roulant sur le trottoir eût tenté de l’écraser quelques jours plus tôt. Alors que son corps avait été trouvé pendu à l’espagnolette de la fenêtre de sa chambre d’hôtel, pourquoi les médias racontèrent qu’il s’était donné la mort sur la tombe de ses parents ? Maquillage du meurtre en suicide Bien qu’il eût fallu reconnaître que Kilian n’était pas mort de cette façon, la thèse du suicide a été maintenue en dépit d’évidences contraires. Selon les enquêteurs, les traces de blessures sur son corps, ses poignets entaillés et le sang qui avait giclé sur les murs, était la preuve qu’il avait d’abord tenté de se tuer avec un couteau de cuisine et un morceau de bouteille d’eau de Cologne trouvés sur les lieux ! N’y parvenant pas, il s’était alors pendu. La mise en scène du suicide laissait pourtant à désirer. Kilian possédait un rasoir sabre, trouvé avec ses affaires de toilette, autrement plus efficace qu’un tesson de bouteille pour se couper les veines. Les policiers n’ont pas voulu noter qu’un homme d’un mètre soixante-dix-huit ne peut se pendre à une espagnolette située à un mètre vingt du sol, ni que les yeux de Kilian étaient fermés, alors que ceux d’un pendu restent ouverts. Les amis du géologue étaient persuadés que les assassins l’avaient torturé pour l’obliger à dévoiler ses secrets, puis maquillé – laborieusement - sa mort en suicide. Il avait d’ailleurs dit à l’un d’eux, quelques jours auparavant, que si on le retrouvait mort, il ne fallait pas croire au suicide. D’autres pensèrent que Kilian, connu pour son courage, s’était battu avec ses agresseurs et était peut-être mort d’une crise cardiaque provoquée par l'empoisonnement dont il avait été victime, sept ans plus tôt, au Sahara. Surpris, ils l’auraient alors pendu. Le général Paul Grossin, devenu plus tard patron du SDECE – le service secret d’espionnage français - fut catégorique : Kilian était mort, assassiné. Ce n’était pas la première fois que l’on attentait à sa vie. En effet, en 1943, dans le Hoggar, son guide lui avait donné à boire du thé au bor-bor, une décoction d’herbes empoisonnées du désert, mélangée, dit-on, à de la cervelle humaine. Il avait, peu auparavant, averti des trafiquants exploitant clandestinement un gisement de wolfram – composant du tungstène - pour un groupe britannique, basé au Nigeria, qu’il signalerait leurs activités au gouverneur général d’Algérie. La mine avait été fermée et le guide auquel il s’était attaché tué de deux balles dans la tête. Son remplaçant qui lui avait servi le thé avait, sans doute, été soudoyé par les Anglais. Il s’était, en tout cas, enfui, sans demander son reste. Kilian, transporté mourant à dos de chameau à Tamanrasset, puis à Alger où il était resté plusieurs mois entre la vie et la mort, survécut, miraculeusement. Mais, il garda jusqu’à son assassinat de graves séquelles de cette tentative d’empoisonnement, notamment des dépressions nerveuses qui lui donnaient un air d’illuminé. Le désert dans la peau Kilian (1), géologue d’origine alsacienne, passionné de chevalerie, avait découvert le Sahara et les Touaregs à l’âge de 24 ans, en 1922, comme membre d’une expédition suisse, partie à la recherche des légendaires émeraudes des Garamantes, un peuple berbère qui nomadisait, trois siècles avant notre ère, entre le Fezzan, le Niger et l’Atlas marocain. S’étant séparé de ses compagnons de route après une dispute, il avait poursuivi sa randonnée avec un guide, ramassant les fossiles pierres qui l’intéressaient. Quand il revint en France, envoûté par le désert et la noblesse de ses habitants, il n’avait qu’une seule idée en tête : retourner au plus vite aux confins de l’Algérie et de la Libye, alors colonie italienne (2). A la mort de son père, il utilisa sa part d’héritage pour monter une expédition au Sahara occidental. Demandant à la jeune fille avec laquelle il s’était fiancé de l’attendre, il sillonna le désert pendant trois ans. Il s’y lia d’amitié avec le cheikh de Ghat, oasis du Fezzan où aucun étranger n’avait encore osé pénétrer. Dans ces contrées, les Européens étaient, à juste titre, regardés avec suspicion en raison des visées coloniales des grandes puissances. Considérés comme ennemis, ils étaient tués. Explorant une série de grottes dans le Hoggar, dont certaines sont décorées de peintures rupestres, il découvrit dans l’une d’elles une émeraude taillée. Il mit à jour, dans les environs, des traces laissées, il y a 4000 ans, par les chars des Garamantes. Les recherches effectuées par Kilian mécontentaient le groupe pétrolier anglais Pearson (3) qui prospectait au Sahara algérien, et suscitait la méfiance des hommes politiques français qui l’y avaient autorisé. Le géologue, profondément patriote et d’un caractère rugueux, n’était pas homme à accepter les compromissions et le faisait savoir. A son retour en France, en 1929, il sombra dans la misogynie en apprenant que sa fiancée, à qui il n’avait donné aucune nouvelle depuis son départ, s’était mariée. Puis, reprenant ses études à la Sorbonne, conscient de l’importance de ses travaux, il refusa de « s’abaisser à solliciter son doctorat », estimant qu’on devait le lui décerner au seul regard de ses découvertes. Kilian adressa son rapport de mission à différents ministères et demanda au président Gaston Doumergue, qui le reçut en juillet, d’exiger une rectification des frontières sahariennes et d’intégrer le Fezzan, terre à forte potentialité pétrolière, dans la partie française. Les chefs de gouvernement de la IIIème République, auxquels il adressait ses rapports ne voulaient rien entendre, comme si, depuis la Conférence de San Remo de 1920, tout ce qui concernait le pétrole était du domaine réservé britannique. En janvier 1935, Kilian s’opposa à Pierre Laval, président du Conseil français qui négociait avec Benito Mussolini le tracé de la frontière libyenne au Sahara. La France céda les territoires qu’il avait explorés au Fezzan, et la bande d’Aozou. Le Duce ne lui en sera même pas reconnaissant. Ce n’était pour lui que des arpents de sable sans intérêt. Mais que penser de Laval qui refusait de répondre aux courriers de Kilian ? Mission d’espionnage au Ténéré Le récit de son premier voyage et ses articles dans L’Illustration avaient fait de Kilian un spécialiste du sud algérien. C’était tout naturellement vers lui que se tourna l’explorateur Roger Frison-Roche, en 1935, pour savoir où se trouvaient les peintures rupestres du Hoggar et gravir la Garet El Djenoun, la Montagne des génies (4) qui culmine à 3 375 m d’altitude. L’Etat Major de la Défense nationale finança peu après sa troisième expédition, lui demandant de reconnaître la nouvelle frontière libyenne. Il accomplit sa mission avec succès, pratiquant au passage une césarienne en plein désert avec sa trousse de secours pour sauver une mère et son bébé. Sur ses conseils, un poste de méharis avait été créé à In Ezzane, près de Djanet. Signe que ses ennemis étaient toujours aux aguets : sur une des pistes empruntées, un puits avait été comblé pour gêner sa progression. Après son retour à Paris, son appartement fut cambriolé. Les voleurs ne mirent la main ni sur ses archives, camouflées dans la partie d’un meuble Louis XIII doté d’un mécanisme secret, ni sur ses cartes, en sûreté chez un ami. Les emplacements susceptibles de recéler du pétrole y étaient indiqués, et c’est justement là qu’on en a trouvé quelques années plus tard. Le Bakou français Lieutenant d’artillerie pendant la Seconde guerre mondiale, Kilian défendra vaillamment la citadelle du Quesnoy, construite par Vauban, contrôlant la vallée de l’Oise. A cours de munitions, après plusieurs assauts allemands et des bombardements intensifs, il se rendit avec les honneurs de la guerre, c'est-à-dire le droit de garder ses armes, un privilège rarement accordé par un vainqueur. Prisonnier, il sera libéré en 1942 avec un contingent d’anciens combattants de la guerre 14-18 (5). Il fut nommé attaché au laboratoire de géologie de la faculté d’Alger à une époque cruciale. La guerre n’était pas terminée et les Américains allaient débarquer en Afrique du nord, avec dans leurs bagages des équipes de prospecteurs connaissant les travaux de Kilian. La Shell et l’Aramco le contactèrent. Ils lui offrirent un pont d’or, sans résultat. La mission effectuée par Kilian en 1943, au cours de laquelle son guide fut assassiné et lui victime d’un empoisonnement, démontre que la guerre du pétrole - anglo-américaine, faute de volonté côté français - était déclarée. Mis à part le général de Gaulle qui, par mesure de sécurité, l’avait fait rapatrier d’Alger avec ses documents sur un contre-torpilleur, et le maréchal Leclerc, ses travaux n’intéressaient guère les ministres français. Malheureusement, de Gaulle avec qui il avait rendez-vous, quitta le pouvoir, en 1946, quelques jours avant leur rencontre. Les fonctionnaires du Quai d’Orsay, à qui il avait affirmé – preuves à l’appui - que des millions de barils dormaient sous les sables du désert, le prenaient pour un fou. Restait le maréchal Leclerc. L’épopée de la 2ème Division Blindée, avec la prise de l’oasis de Koufra, avait attiré l’attention sur le Fezzan. Kilian, nommé chargé de mission au CNRS, le rencontra en août 1947 au ministère de la Défense. L’Italie étant hors jeu, il lui exposa son projet d’annexion du Fezzan au Sahara français, le décrivant comme un morceau de désert flottant sur un lac de pétrole (6). Le Fezzan étant enclavé, il proposait de céder la région de Koufra aux Anglais, qui tenaient la Cyrénaïque, en échange d’un couloir aboutissant au port de Brega, sur le golfe de Syrte (7). Il lui suggéra, pour des raisons humanitaires et politiques, de répartir ensuite les revenus du pétrole entre les pays riverains du Sahara. Leclerc donna l’ordre d’envoyer un navire de guerre mouiller à Brega, mais il ne fut jamais exécuté en raison de sa mort, six mois plus tard, le 28 novembre 1947, dans un étrange accident d’avion (8), alors qu’il survolait les territoires signalés par le géologue (9). En 1948, se sentant traqué, Kilian déposa ses rapports à l’Académie des Sciences, sous pli cacheté, pour le cas où il lui arriverait aussi malheur. C’est bien ce qui faillit se produire un an plus tard quand une auto, tous feux éteints, monta sur le trottoir pour l’écraser. Qui plus est, les crises provoquées par le thé au bor-bor ingurgité en 1943 étaient de plus en plus nombreuses et son caractère, souvent difficile à supporter, s’en ressentait. Questions sans réponse Pourquoi Robert Schuman (10), inamovible ministre de la IVe République, refusait-il de le recevoir et faisait jeter ses rapports aux oubliettes, alors que les Soviétiques considéraient le Fezzan comme un Bakou français ? Pourquoi le gouvernement français refusa-t-il de répondre au Canada qui proposait de financer la prospection pétrolière et son exploitation à hauteur de 49%, et d’abandonner en sus sa dette de guerre estimée à cinquante milliards ? On a parlé de pressions qu’aurait exercé l’Intelligence Service sur le ministre. Le futur Père de l’Europe, avait été sous-secrétaire d’Etat aux Réfugiés du maréchal Pétain, en juin 1940. Redevenu parlementaire, il lui avait voté les pleins pouvoirs. A la Libération, la Haute cour de justice, chargée de l’épuration, avait conclu au non-lieu pour fait de résistance. Schuman avait, en effet, été arrêté par la Gestapo pour refus de collaborer et emprisonné en Allemagne, mais certains lui reprochaient d’avoir vécu un peu trop discrètement en Zone libre où il s’était réfugié après son évasion en 1942. Sous la IVe République, tous les fonctionnaires et les hommes politiques n’avaient pas coupé les liens qu’ils avaient tissés, pendant la guerre, avec l’Intelligence Service. Quand on évoque les services secrets britanniques, il ne faut pas oublier que les pétroliers ne sont jamais très loin. Cela explique peut-être pourquoi les rapports de Conrad Kilian étaient classés sans suite, la rapidité avec laquelle l’enquête sur sa mort s’est déroulée, ainsi que sa conclusion. En 1957, lorsque le pli déposé à l’Académie des Sciences fut ouvert, on découvrit que le pétrole décelé un an plus tôt à Edjelé et à Hassi-Messaoud – la Colline du bonheur - l’avait été en des lieux répertoriés par Conrad Kilian, tout comme le sera celui trouvé au Fezzan en 1958. Notes et références : (1) Conrad Kilian, né en 1898, était le fils d’un professeur de géologie de la Faculté des sciences de Grenoble, et le petit-neveu de Georges Cuvier, père de l’anatomie comparée et de la paléontologie. (2) La Libye regroupait trois provinces de l’empire ottoman : la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan. Elle avait été attribuée à l’Italie pour sa participation à la Première guerre mondiale aux côtés des Alliés. Omar al-Mukhtar, cheikh de la Tariqa Senousiyah – confrérie soufie des Senoussis – lutta jusqu’à la mort contre l’armée d’occupation italienne. Pendant ce temps, Idris, chef d’un autre clan, était réfugié au Caire et jouait la carte anglaise. Il deviendra, par la grâce des Britanniques, Emir de Cyrénaïque en 1946, puis roi de Libye. Il fut renversé par le colonel Khadafi et les Officiers libres le 1er septembre 1969. (3) La société Pearson fondée en 1884 par Weetman Pearson - futur Lord Cowdray - s’est développée dans le domaine pétrolier avec la création de la Mexican Eagle Petroleum Company qui fait partie de la Shell depuis 1919. Le groupe Pearson est aujourd’hui connu pour son empire de presse qui comprend plusieurs quotidiens et maisons d’édition. Il possédait, jusqu’en 2001, 22% du groupe RTL qu’il a cédé à Bertelsmann. Le siège londonien du Croupe Pearson est celui de l’ancienne Shell-Mex Limited. (4) Roger Frison-Roche, L'Appel du Hoggar, Flammarion, Paris, 1936. (5) Conrad Kilian, déclaré inapte en 1916, avait fait intervenir des connaissances pour être engagé. Il avait terminé la guerre sous-lieutenant avec la Croix de guerre. (6) Eloge Boissonnade, Conrad Killian, France-Empire, Paris, 1982. (7) Une partie du pétrole libyen est, aujourd’hui, exporté par le port de Brega qui possède également une raffinerie. (8) La présence d’un passager inconnu dans l’avion demeure inexpliquée, tout comme les brûlures constatées sur les corps projetés hors de l’avion. Selon un témoin, les restes de l’avion et les endroits proches de l’accident étaient recouverts d’une mousse beige très claire qui s'évaporait quand on la prenait dans la main et dont on n’explique pas la provenance. (9) Claude Muller, Les mystères du Dauphiné, Editions De Borée, 2001. (10) Robert Schuman a été ministre dans les gouvernements de la VIe République de 1946 à 1953, notamment des Affaires étrangères à neuf reprises. A ce titre, il a été un des négociateurs du Traité de l’Atlantique Nord qui a donné naissance à l’OTAN. Elu Président du premier Parlement européen en 1958, il est un des pères fondateurs de l’Europe. © G. Munier/X.Jardez | |||||||
Articles de Gilles Munier publiés par Mondialisation.ca |
TESHUMAR.BE est dedié à la CULTURE du peuple touareg? de ses voisins, et du monde. Ce blog, donne un aperçu de l actualité Sahelo-Saharienne. Photo : Avec Jeremie Reichenbach lors du Tournage du film documentaire : « Les guitares de la résistance Touaregue », à la mythique montée de SALUT-HAW-HAW, dans le Tassili n’Ajjer-Djanet- Algérie. 2004. Photo de Céline Pagny-Ghemari. – à Welcome To Tassili N'ajjer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire