mercredi 26 août 2009

[Contribution] TANDJA 1er, ROI DU NIGER

[Contribution] TANDJA 1er, ROI DU NIGER
Écrit par Pr Bilal Tefridj (OPINIONS N° 86 DU 12 AOUT 2009)
Mercredi, 26 Août 2009 13:45
« En vérité, lorsque les Rois pénè- trent dans une cité, ils y apportent la corruption et transforment ses citoyens respectables en personnes viles. C'est ainsi qu'ils agissent ».Coran, Sourate des Fourmis, verset 34. Le cas Tandja me pose problèmes (et je suis certain de ne pas être le seul chercheur dans cette situation) ;je n'ai jamais autant lu et relu mes classiques de sciences politiques que depuis j'ai découvert avec fascination et crainte ce projet singulier de restauration autoritaire dans un pays africain où le dictateur s'est pourtant fait élire par deux fois, de manière démocratique, Président de la République. Plus les jours passent, plus le dictateur se découvre et sa personnalité dévient plus lisible. Il apparait, (je l'ai écrit précédemment), comme un dictateur ordinaire, peut-être même ubuesque tant la volonté insensée d'instaurer un pouvoir personnel exorbitant transcende toutes les autres considérations. 1. Tandja et le syndrome d'hubris'. Maintenant que les courtisans de Tandja tout seuls, face au « peuple qui a exigé le referendum », ont dû tricher et frauder, comme de vulgaires voleurs, pour atteindre le formidable taux de participation de 68%,le Roi sait très bien, (et plus que tout autre), qu'il se trouve dans une posture difficilement tenable sur la dur ée. Tant qu'il claironnait que c’est au nom du peuple qu'il allait organiser ce referendum, il pouvait se tromper, croire lui même en ses propres illusions et surestimer ses capacités à gérer cette crise politique majeure ; maintenant qu'il sait que, même avec un boycott des opposants, il a été incapable de mobiliser « son peuple qui a exigé le referendum », il sait clairement que son régime illégal ne tient qu'à un fil.

Et la résistance des citoyens nig ériens, renforcée par la solidarité internationale, ne tardera pas à le couper. Il ya des victoires qui sonnent comme de grosses défaites. La victoire du « OUI » du 4 aout est une grosse défaite. Pour le Président. Uniquement pour le Président et son clan. Le peuple Nigérien, lui, en refusant l'instrumentalisation a gagné cette bataille ; mais n'a pas encore gagné la guerre (la restauration de l'ordre démocratique). Ce referendum est plus une défaite des tazartchistes que des opposants à ce projet. L'échec retentissant de cette mascarade met à nu toute l'imposture. Toute la campagne participant à la célébration fanfaronne de cette victoire par les courtisans de la Cour ne peut cacher que désormais le Roi est nu ; dans la Grèce antique, on disait pour se moquer de ce genre de Rois que « le Roi a perdu sa couronne, mais sa démarche n'a pas changé ».

Par le tragique et l'absurde de cette situation, le Président Tandja apparait comme la caricature la plus abrupte des hommes assoiffés de pouvoir. Il est obsédé par cette volont é d'inscrire son nom dans l'imaginaire des Nigériens. Il faut que l'histoire ne retienne que son nom. « Dans le monde entier, il n'y a pas un président comme moi » a déclaré, de manière péremptoire Tandja. Georges Bush avait déjà dit la même chose avant lui. Et quand on sait que la mémoire collective a retenu Bush comme le Président le plus stupide de l'histoire politique américaine ; il ya lieu de se chagriner pour le Niger et souhaiter qu'il n'y ait pas une telle comparaison pour le nouveau monarque nigérien. Le même Bush n'a-t-il pas déclaré que « Quand un président fait quelque chose, cela signifie que ce n'est pas illégal ».

Tandja a dû s'appliquer ce théorème pour croire aujourd'hui, au Niger, que c'est lui la loi et que tout ce qu'il ferait ne pouvait être ill égal. Il l'a pensé et le porte parole du gouvernement l'a dit sur les ondes internationales. Que c'est terrible pour l'intelligence des Nigé- riens.. ! Dans un numéro du Journal panafricain, jeune afrique, paru en juillet dernier, Béchir Ben Yahmed a écrit un excellent article (« ces malades qui sont au pouvoir ») dans lequel il a évoqué le livre de David Owen. Ancien Ministre britannique des affaires étrangères, David Owen sait de quoi il parle. Jeune Afrique à publié cet extrait d'une pertinence absolue : « Chez un grand nombre de chefs d'Etat, l'exp érience du pouvoir entraine des altérations psychologiques qui se traduisent par des illusions de grandeur et des attitudes narcissiques et irresponsables.

Les dirigeants atteints de ce syndrome d'hubris politique croient qu'ils sont capables de grands exploits et qu'on attend d'eux des actions extraordinaires. Ils estiment qu'ils savent toujours mieux que les autres et que les règles de moralité ne s'appliquent pas à eux. Plus ces hommes politiques s'accrochent au pouvoir, plus ces tendances semblent s'accentuer, comme on a pu le voir avec Mao, Castro, Mugabé... » Et aujourd'hui Tandja. Béchir Ben Yahmed poursuit en écrivant qu'un « dirigeant atteint de ce syndrome d'hubris peut mentir, contourner la loi : il justifiera le tout par une mission à accomplir ».Suivez simplement mon regard.. François Bayrou (Candidat à la pré- sidentielle Française de 2007) a écrit un très bon livre, qui est devenu en quelques jours un bestseller en France, dans lequel il brocarde la tentation personnelle du président Sarkozy d'accumuler dans ses mains tous les pouvoirs et de mettre en réseau tous les secteurs d'influence, de sorte qu'il puisse régner et conduire la France à sa guise.

Entre la volonté de Tandja de bâtir une vulgaire dictature où il n'y a de pouvoirs que pour lui et par lui, et Sarkozy, la différence est grande .Mais ce qu'il dit de Sarkozy, est intéressant et pourrait s'appliquer à Tandja. En effet, il écrit ceci : « Le Président de la République a un plan. Il conduit la France là où elle toujours refusé d'aller. Jamais démocratie ne porta plus mal son nom. Jamais République ne fut moins publique.».Pour parler du Niger, nous devons constater ce n'est pas que République est devenue moins publique, c'est qu'elle est tout simplement pulvérisée. Tandja est parvenu à transformer ce régime démocratique en une monarchie. Tandja va passer dans l'histoire politique comme étant le dernier Pré- sident de la 5e République et le premier Souverain de la 6e République, FOFO (bravo) Tandja ! En août 2005(déjà !), le Bulletin Afrology a écrit que :

« l'intervention ratée de Tandja dans la récente crise togolaise laisse planer de sérieux doutes sur ses projets de développement pour le continent. On ne peut pas continuer à compter sur (...) des dirigeants médiocres pour construire les Etats ».J'avais à l'époque trouvé ce jugement particuli èrement sévère et j'avais réagi pour indiquer que le Président Tandja est un démocrate et on pouvait compter sur lui pour qu'il réaffirme certaines valeurs dans le cadre de sa médiation au Togo. Aujourd'hui, je dois reconnaitre que je me suis fortement trompé et que les camarades d'Afrology ont eu une lucidité incroyable. Mieux, je dois reconnaitre la pertinence de leur analyse qui leur a permis (presque avant tout le monde) de savoir que Tandja n'avait aucune capacité intrins èque de porter des projets de progrès pour l'Afrique. Il est clair que son coup d'état du 4 aout est un terrible recul pour tout le continent.

Monsieur Mamadou Tandja aura réussi l'imposture d'abattre à lui seul une décennie de vie démocratique et surtout parvenu à édifier, sur les cendres de la vie républicaine, un régime monarchique, non pas au sens de pouvoir héréditaire, mais au sens du pouvoir concentré en un seul. D'ailleurs lui-même se croit plutôt Sarki (chef féodal, dans une langue du Niger) que Président de la République. J'ai lu la Constitution du Maroc, le Roi M6 n'a pas plus de pouvoirs que Tandja ! Les Nigériens sont donc dans une Saraouta (Royauté, monarchie) et non une République. Cette dernière, est pour le moment, dissoute avec le referendum du 4 aout. La monarchie (du grec mono « seul », archein « pouvoir ») est un syst ème politique où l'unité du pouvoir est symbolisée par une seule personne, appelée monarque. Elle n'est ni nécessairement une royauté, ni nécessairement héréditaire : il a toujours existé des monarchies électives, par exemple chez les Gaulois.

Selon la définition de Montesquieu, une monarchie se définit par le gouvernement absolu d'un seul, mais ce pouvoir est, en principe, limité par des lois. En vérité, le Président du Niger est plus à plaindre, qu'à blâmer. Il n'échappe pas à la logique qui emprisonne, étouffe et détruit tous les monarques. Cette logique implacable, c'est l'inconscience des enjeux et des dangers des situations qu'ils créent. Oui, le Président du Niger est à plaindre. Quand le budget d'un pays ne dépasse pas le bonus accord é à des collaborateurs d'une petite banque française et que ce budget repose à près de 50% sur l'extérieur, on ne peut pas narguer la communauté internationale. Le bon sens et la raison devraient emp êcher au président nigérien de dé- fier la communauté internationale. Tenez, pour le budget 2009, sur des recettes qui ont été estimées à 735.637.725.000 fcs, près de 50% sont des recettes externes, y compris plus de 17 milliards finançant le « fameux » programme spécial du Président.

Pour faire simple, si la communauté internationale coupe son robinet, le Roi sera incapable de financer l'essentiel des dépenses de sa cour. 2. La Cour du souverain C'est un classique des souverains que de répandre autour d'eux la grâce et la disgrâce, de distribuer la vie et la mort et de repartir les privil èges et les affronts. Aujourd'hui, au Niger, seuls ceux qui soutiennent le projet ont des droits et cela quelque soit leur passif judicaire. Et plus les jours passent, plus l'on se rend compte que ce projet couvre aussi une gigantesque mafia mêlant inté- rêts de la famille du président et ceux de quelques courtisans. Il y a plus aucun doute que le Tazartché est certainement l'une des plus sales affaires politico-financi ères du Niger. Jamais la corruption et l'enrichissement illicite n'ont servi de carte d'accès aux privilè- ges du pouvoir. Dans des pays normaux, la corruption, le détournement et l'enrichissement illicite constituent des taches dont on ne se départ jamais et constituent des vices que ceux qui sont au pouvoir.

Au Niger, c'est leffet inverse. Le Tazartché est porté par des anciens prisonniers et des nouveaux communicateurs mafieux qui signent des accords de partage en millions de dollars. Jamais, on n'a atteint un niveau aussi élevé de corruption. En vérité, Tandja, comme tous les monarques reste comme un enfant -barbare. Ce n'est pas moi qui le dit le premier, c'est ENCORE François Bayrou un auteur que j'aime peu, mais dont la plume reste fort pertinente. Il dit que le monarque reste toujours un enfant- barbare : « Enfant, parce qu'il se croit tout-puissant, qu'il imagine que le monde commence avec lui et qu'il est à sa main. Il est barbare parce qu'il sous estime, méprise, ou plus gravement ignore ce que sont les piliers de la maison ». 3.Memento mori Les ROMAINS ,lorsqu'ils honoraient les généraux triomphants, sous les ovations du peuple et les arcs de triomphe, plaçaient sur son char un esclave chargé d'une double tache :

d'abord il tenait au dessus de la tête du général triomphant la glorieuse couronne de laurier ;et ensuite il était chargé de sans cesse lui répéter à l'oreille le rappel de sa fragilité :cave ne cadas « attention à ne pas tomber »,ou memento mori « souviens toi que tu vas mourir ».Ce qui est vrai pour Rome l'est tout autant pour les monarques de temps modernes. Cela est encore plus vrai pour le Roi Tandja, ce monarque fraichement intronisé par le referendum du 4 août. Il ya cependant un point sur lequel il faut insister, si l'on veut comprendre (est-ce le bon mot ?) la démarche de celui qui était membre du CMS de 1974.Tandja a un compte à régler avec le passé et notamment avec Kountché (qui a dirigé le ré- gime militaire au Niger pendant près de quinze ans). Il a souffert longtemps d'avoir été marginalisé et pas du tout reconnu par l'ancien homme fort du Niger .

C'est un drame psychologique terrible qui se joue dans la tête du Pré- sident Tandja, et il compte le gérer en se donnant les mêmes pouvoirs que Kountché qui lui était dans un régime d'exception. C'est un peu comme si Tandja bloquait le temps en 1974, avec cette fois lui-même à la tête du pays. Toute la propagande tendant à faire croire que jamais, il n'y eut un Pré- sident comme Tandja consiste à vouloir effacer de la mémoire des Nigériens le passé du Président kountché. Cette volonté obsessionnelle de vouloir faire dater l'histoire du Niger à partir de son accession au pouvoir est commune à tous les dictateurs. J'ai très bien décrit cette logique dans les contributions pré- cédentes. De la même manière, nous savons que toutes les dictatures remplissent les prisons et produisent des exilés. Le combat contre ce régime ne sera pas facile, il sera rude.

Certainement le plus rude de l'histoire politique nigérienne et dans ce cadre, il y a des choses qui sont et resteront toujours vraies par nature. Cette dictature va chuter, ses animateurs retourneront vite leur veste. Il n'y a aucun doute là dessus. Mais en attendant ce régime va se durcir et réprimera toutes les libertés, il fera plein de prisonniers et contraindra certains nigériens à l'exil. Il voudra même gouverner la conscience des Nigériens. Il va donc se raidir et sera constamment sur le qui vive; mais l'histoire nous apprend que plus un régime dictatorial se raidit et se durcit, plus il devient fragile et vulnérable. Les dictateurs ont toujours besoin d'argent pour financer le populisme et assurer les extravagances et les privilèges de la cour.

Ce besoin de mobiliser des ressources financières toujours plus grandes, non pas pour financer le développement du pays, mais pour entretenir le clan (il y a pas moins de Dix institutions inutilement budgétivores dans la nouvelle constitution monarchique) est l'un des talons d'Achille de ce régime. Il n'ya presque plus d'issue pour le Président que d'endetter le pays auprès de la Chine et de consacrer l'essentiel des ressources budgétaires à l'entretien d'un appareil policier répressif. Il ne faut point perdre de vue que le faible taux de participation au referendum a rendu encore ce régime plus isolé et surtout plus vulnérable. On savait qu'il était illégal, on sait maintenant qu'il est illégal, illégitime et (dans un bref avenir) sans ressources. La répression va renforcer le capital de la ré- sistance. Mais que personne ne se méprenne et croit que ce sera un combat facile.

Ce sera alors une erreur stratégique grave. En fait, le fonctionnement de ce régime est parfaitement prévisible, il s'agit du déroulement d'une tyrannie ordinaire. Et personne ne peut s'attendre à ce qu'une monarchie puisse produire autre chose que la dictature et la réduction des espaces de liberté .Il ne peut en être autrement. Pour que les hommes et les femmes puissent vivre dans de socié- tés de liberté, il a fallu qu'ils renversent les monarchies et tous les autres régimes féodaux .Seul le Roi Tandja et ses courtisans pensent qu'il est encore possible de restaurer l'ordre ancien. 4. Les médias du monarque La question de l'accès égal et équitable des citoyens et des organisations socio-politiques aux médias publics est une des vieilles conquê- tes des démocraties occidentales u Niger, de la Conférence Nationale Souveraine.

Le fait que les organisations politiques et sociales aient accès aux médias n'est donc pas né de la simple volonté des dirigeants ; aucun régime ne peut souffrir un libre accès aux médias et tant qu'ils peuvent les contrôler, tous les régimes y auraient certainement recours. C'est pour le constituant a toujours sacralisé cet accès et l'a protégé des humeurs de ceux qui dirigent. Malheureusement dans la plupart des pays africains, les pouvoirs en place ont tendance à croire qu'il s'agit de leurs biens privés dont ils peuvent en faire une gestion patrimoniale. Or, comme l'a si bien écrit l'auteur précité, le service public n'appartient pas au pouvoir. Il n'appartient même pas à l'Etat ; il appartient à la communauté des citoyens, des spectateurs ou des auditeurs qui paient la redevance d'un même montant, quelque soient leurs moyens. Tous égaux dans la contribution, de toutes opinions, de toutes conditions :

à tous, on doit la plus stricte justice, le plus strict respect du pluralisme notamment dans l'information et dans l'organisation du débat. Bien sûr que cela vaut seulement pour une société démocratique, mais le Niger n'est plus dans ce cadre là depuis que le Pré- sident a engagé son projet de restauration autoritaire. La confiscation des médias publics est à la fois le symptôme et le symbole de la dé- gradation démocratique au Niger. Dans ce contexte, le courage des médias privés indépendants et leur détermination à tenir le flambeau de la résistance est assez significatif. A chaque fois que j'écris sur le projet du tazartché, j'ai en mémoire ce que Jean de la Bruyère écrit, il y a plus de trois siècles. Il écrit que : « L'on doit se taire sur les puissants ; il y a presque toujours de la flatterie à en dire du bien ; il y a du péril à en dire du mal pendant qu'ils vivent et de la lâcheté quand ils sont morts »

Alors à choisir entre le péril et la lâcheté, j'ai choisi le péril pour contribuer à la protection de l'ordre démocratique au Niger. Et je sais également que les Nigériens choisiront le péril pour porter l'estocade finale à ceux qu'ils ont déjà battu en 1990. Encore une fois, l'histoire politique au Niger se construira avec la dé- faite de ceux qui portent le projet Tazartché..C'est ma profonde conviction. Enfin que dire pour clore ce texte : Merci pour Merci, nous, nous disons MERCI au Peuple Nig érien qui, le 4 août, a défait l'imposture.
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