vendredi 23 janvier 2009

Le monde qui nous attend- Jeune Afrique- Par : Philippe Perdrix -


International - Politique

18/01/2009 16:40:42
Beaucoup plus qu’un changement d’époque. Un rapport des services de renseignements américains annonce pour 2025 un affaiblissement des États-Unis, une montée en puissance des nations émergentes, une gouvernance mondiale balbutiante et une raréfaction des ressources naturelles. Le tout sur fond de démographie galopante.
Comment vivrons-nous en 2025 ? Qui seront nos dirigeants ? Quelles sphères de décision prédomineront ? Où se situeront les foyers de tension ? Voilà autant de questions dont les réponses peuvent à certains égards relever de la science-fiction ou d’une improbable futurologie. Certains éléments actuels permettent toutefois de se risquer à une prospective argumentée pour éviter les pièges du lendemain et se préparer au mieux à un avenir incertain. Tous les cinq ans, le National Intelligence Council (NIC) – un organe synthétisant les analyses géopolitiques des services de renseignements américains – se met ainsi à la tâche et livre son rapport sur les grandes évolutions du monde*. Le moins que l’on puisse dire est que Washington fait face à une dure réalité. Si la crise économique actuelle et la débâcle financière sonnent la fin de l’ère Bush, elles consacrent, aussi et surtout, le déclin de l’empire américain. Après avoir vécu à crédit, il faut payer la note.

« Les États-Unis ne seront plus que l’un des acteurs sur la scène mondiale, même s’ils resteront le plus puissant. La contraction de leurs capacités économiques et militaires pourrait les pousser à des arbitrages difficiles entre les priorités intérieures et celles de politique étrangère », peut-on lire. En clair, l’hégémonie américaine est terminée, et le modèle issu de la Seconde Guerre mondiale est en train d’exploser sous nos yeux. La chute du mur de Berlin avait temporairement donné naissance à l’« hyperpuissance américaine », pour reprendre l’expression de l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine. En 2025, ce sera définitivement de l’histoire ancienne.

Un monde multipolaire

« Le système international sera sans doute méconnaissable », estiment les auteurs, qui décrivent un monde multi­polaire, donc plus instable, et caractérisé par un accroissement du nombre des États fragiles, à la fois vulnérables sur le plan intérieur, mais aussi dangereux pour leurs voisins. L’Afghanistan, le Nigeria, le Pakistan et le Yémen sont présentés comme les zones les plus menaçantes.

En revanche, le péril terroriste devrait baisser en intensité. « Il est peu probable qu’il disparaisse, mais son influence pourrait diminuer si les perspectives d’emploi des jeunes et la liberté d’expression progressent au Moyen-Orient. À défaut, la pensée radicale continuera de prospérer et l’enrôlement de la jeunesse par les groupes extrémistes se poursuivra. » Avec un danger de taille : « Les mouvements terroristes auront à leur portée les capacités de nuisance les plus dangereuses au monde grâce à la diffusion des technologies et du savoir scientifique. » Chacun pense évidemment aux armes bactériologiques, chimiques, voire nucléaires. Mais le document se garde bien de revenir sur le mensonge d’État concernant les armes de destruction massive irakiennes. Sans doute un mauvais souvenir pour les services américains obligés de cautionner une manipulation à grande échelle !

La prolifération nucléaire demeure, en revanche, une source de vive inquié­tude, notamment au Moyen-Orient. Avec le danger de voir des « États tomber sous la coupe d’organisations criminelles ». À propos de l’Iran, « si son accès à l’arme nucléaire n’est pas certain », le risque est élevé et entraînerait mécaniquement une escalade militaire dans la région. Avec la crainte de voir un conflit dégénérer entre les différents belligérants.

L’autre préoccupation concerne la reconfiguration nécessaire de la gouvernance mondiale du fait de « la multiplication des acteurs sur la scène internationale ». Cela comprend évidemment les nouvelles nations émergentes (Chine, Inde, Brésil, Russie…), mais aussi « les acteurs non étatiques » dont le poids va grandissant. « Les ONG refléteront l’émergence de pouvoirs et de contre-pouvoirs, et vont rendre plus difficile le travail des organisations internationales traditionnelles en difficulté pour faire avancer les choses. » D’autant plus que ces « nobles institutions » sont programmées pour prendre davantage en compte les intérêts des États membres que les revendications émanant des sociétés civiles.

Transfert de la richesse à l’est

Le rapport pointe également le lobbying actif des multinationales, les replis identitaires exacerbés par les mouvements tribaux et les religions dont l’influence sur les sociétés n’est plus à démontrer. Autant d’ingrédients qui doivent pousser à une modification « des règles du jeu » et à la définition de nouvelles alliances. La réforme des Nations unies et du Fonds monétaire international (FMI) n’est pas spécifiquement abordée, mais elle est en substance ardemment souhaitée.

Pas de doute, l’unilatéralisme de George Bush et l’autisme de son administration essuient un cinglant désaveu dans ce rapport rédigé avant l’élection de Barack Obama. La doctrine néoconservatrice ne répondait en aucune manière aux nouveaux équilibres dont on commence à percevoir les contours. Les États-Unis sont dans l’obligation de composer avec le monde tel qu’il se présente et d’intégrer les nouvelles sphères d’influence.

Ce rééquilibrage des forces trouve principalement ses origines dans le transfert de la richesse de l’Occident vers l’Orient. Dès 2025, selon les projections, la Chine sera la deuxième puissance économique, disposera de la première armée et sera le plus gros pollueur au monde. L’Inde poursuivra son rythme de croissance. Quant à la Russie, son potentiel est conditionné par une diversification de son économie et une plus grande intégration au marché international. Le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (Bric) devraient avoir un produit intérieur brut (PIB) équivalent à celui des pays du G7 entre 2040 et 2050. Cet ensemble de nations émergentes a opté pour un « capitalisme d’État », font justement remarquer les experts du NIC, battant ainsi en brèche l’ultralibéralisme, qui, décidément, n’est plus vraiment tendance. Et ce d’autant plus que, sous la contrainte environnementale, nous ­sommes dans l’obligation de préserver notre planète et de concevoir un modèle de développement durable.

L’impératif écologique

Nous allons, en effet, devoir apprendre à vivre plus chichement du fait de l’appauvrissement inévitable des ressources naturelles comme l’eau, le pétrole et la nourriture. Cet impératif écologique intervient alors que la population mondiale, pour une large part urbaine, avoisinera les 8 milliards d’individus. Les villes tentaculaires du Sud que sont déjà Mexico (22 millions d’habitants), São Paulo (19 millions), Djakarta (18 millions), Delhi et Bombay (17 millions), Le Caire (16 millions) ou Lagos (11 millions) poursuivront leur extension anarchique. La demande alimentaire augmentera de 50 % d’ici à 2030. L’accès à l’eau sera problématique dans 36 pays (soit 1,4 milliard d’habitants) au lieu de 21 actuellement (soit 600 millions d’habitants). La région sahélienne, la côte sud de la Méditerranée, l’Asie centrale et le Moyen-Orient seront évidemment les plus affectés. Plus grave, le changement climatique que rien, à ce jour, ne semble pouvoir radicalement enrayer « devrait exacerber les pénuries de ressources » et impacter la production agricole.

Ces risques écologiques et démographiques pourraient même provoquer des conflits. Cette évolution est d’autant plus inquiétante en Afrique subsaharienne, « qui restera la région la plus vulnérable à ces évolutions économiques, à la pression démographique et à l’instabilité politique ». Pas de quoi plonger dans un optimisme béat.



* « Global Trends 2025 : a Transformed World ».

* À quand la révolution « bleue » et « verte » africaine ?
* L’après-pétrole se fait attendre
* 1,4 milliard d’Africains en 2025 !

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