mercredi 7 janvier 2009

La voix et le visage de la tragédie touareg


Philippe Renault-Ouest-France-07-01-09

mercredi 7 janvier 2009

Au nom des Touaregs du Niger, l’ancien berger Issouf Maha parcourt aujourd’hui la France. Pour sauver son peuple, écrasé par l’armée, et sa terre détruite par les producteurs d’uranium, français et chinois en tête. « J’adore l’élevage des dromadaires, confie-t-il. j’étais un très bon dresseur ! » Au milieu de la tourmente qui frappe les Touaregs du Niger depuis bientôt deux ans, Issouf ag Maha reste habité par son désert de l’Aïr sous la coupe aujourd’hui des militaires nigériens et des marchands d’uranium. S’il n’avait tenu qu’à lui, il n’aurait d’ailleurs jamais quitté la caravane familiale à l’âge de 8 ans.

« On demandait aux tribus de donner des enfants pour l’école d’Arlit ; nous étions six frères et soeurs, j’ai été choisi : je me sentais sacrifié. » C’était en 1970. Pour le petit berger, fini le long cheminement dans le silence du désert. « 600 km vers le nord pour aller chercher le sel au coeur du Ténéré et 400 km vers le sud, à la frontière du Nigeria, pour le vendre et rapporter des céréales. »

Le jeune Issouf part le coeur gros à Arlit. L’oasis est déjà en train de changer. Les Français fouillent le sol et trifouillent tout le milieu, la faune, la flore, les habitants. La plus grande mine d’uranium d’Afrique est en train de naître. « Pour les gens, c’était très positif, ça faisait de l’argent, ils ne voyaient pas les dégâts écologiques. c’est quand j’ai fait des études que j’ai compris. »

À 15 ans, Issouf, premier de sa classe, revient pourtant sous la tente. En se déplaçant tout au sud, la famille a sauvé le troupeau de la grande sécheresse de 1973 qui a ravagé le Sahel. Mais, à 20 ans, il doit repartir : une nouvelle sécheresse survient et les cent dromadaires, cette fois, en meurent. « Beaucoup de Touaregs sont alors partis dans les bidonvilles d’Arlit, d’Agadez, et n’ont jamais remonté la pente. » Lui, trouve un job dans un labo, employé d’abord puis assistant. Brillant, il est envoyé en fac d’agronomie aux Pays-Bas et en revient chercheur, à Niamey, la capitale du Niger. Le jeune berger soutient désormais sa famille, lui rachète un troupeau à crédit et rentre en même temps dans les convulsions de la région.

En 1995, la première rébellion, identitaire, débouche sur des accords de paix encourageants. Issouf Maha mène alors, avec l’aide de l’Europe, un projet d’agriculture bio dans les oasis. Las. « Les ONG venues pendant la guerre avaient répandu les pesticides. On me disait : ’ Le bio, c’est du luxe ’. » Il persiste quand même, avec l’aide de Pierre Rabhi, le spécialiste de l’agro-écologie en oasis. En 2000, près d’Agadez, il lance un centre agricole qui vit toujours avec ses jardins et ses bâtiments entièrement en terre. En 2002, il ajoute le tourisme solidaire avec Point Afrique, Croq’Nature, Atalante.

Issaouf Maha est devenu populaire. Fin 2004, il est élu maire de Tchirozérine, 40 000 habitants majoritairement nomades. Chaque fin septembre, il y organise la fête des éleveurs où les contes se mêlent à la musique et aux courses de chameaux. La dernière a eu lieu en 2006. En février 2007, les rebelles touaregs du Mouvement nigérien pour la justice ont repris les armes en réclamant une part des revenus de l’uranium pour la population locale. Le pouvoir du président Tandja a répondu par les armes.

Issouf Maha a tenté de jouer les bons offices, puis il a basculé. « Pour moi,les armes ne sont pas la bonne voie, mais comment accepter qu’on attaque, qu’on humilie, qu’on pille toute une région ? », dit-il.En juillet 2007, il a élevé la voix, créé Tchinagen, « collectif pour la paix et la solidarité au Nord-Niger » (1) puis a dû s’exiler en France avec ses deux aînés. Sa femme, Fatimata, est partie avec les trois petits à Ouagadougou, au Burkina.

L’ancien berger est au coeur d’une tragédie. « Les Touaregs affrontent le bouleversement climatique : la saison des pluies raccourcit, commence en juillet au lieu de juin. Nous sommes éparpillés sur cinq pays et partout minoritaires : 10% au Niger sur les 10 millions d’habitants. Hier, nous dominions les Noirs du sud, aujourd’hui nous sommes dominés. Et puis, il y a l’uranium. »

La tragédie s’est aggravée quand le pouvoir a mis à l’encan toute la région d’Arlit pour mieux exploiter sa manne. Des deux permis exploités par le groupe français Areva depuis quarante ans, on est passé à 150. Chinois en tête, tout le monde veut être à Arlit. « L’uranium est notre malchance, comme le pétrole pour d’autres », lâche-t-il.

Aujourd’hui, à 46 ans, Issouf Maha pourrait encore être dans la caravane avec ses frères. « Le chameau reste plus rentable que le camion, c’est une chance. » Mais il doit se battre ici pour sauver son peuple là-bas. Il a écrit deux livres, Touaregs du XXIe siècle et Le destin confisqué, racontant le drame des siens. « Le premier des bonheurs, c’est la liberté », rappelle-t-il aussi, d’une voix qui semble se perdre dans le désert.

Michel ROUGER.

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