Par Cdt Tango Montagnes du nord est-Niger
photo blackberry:Tifinagh n'tamoust
Depuis le commencement de la révolte en Libye entre les anti-Kakhafi et les pro-Kadhafi, le 17 février 2011, les Touaregs ont été présentés à maintes reprises comme des loyalistes ou comme des mercenaires de la dictature libyenne. Quelle est, en réalité, le degré d’engagement de ce peuple dans le conflit ?
Une histoire complexe
Sans qu’il existe de chiffres officiels, il paraît raisonnable d’estimer le nombre de Touaregs d’origine libyenne à 500 000 personnes, auxquels viennent s’ajouter environ 300 000 Touaregs d’origines malienne et nigérienne. Ces derniers se sont refugiés en Libye en plusieurs vagues successives : 1973 et 1985 d’abord (dates des deux dernières grandes sécheresses au Sahel), 1990 à 2010 ensuite. Cette dernière vague d’émigration est à mettre en relation avec le rôle de médiateur joué par Kadhafi entre les Touaregs et les états du Mali et du Niger lors des rébellions de 1990 et 2006.
Parfois accueillant, parfois inhospitalier, Kadhafi a joué un rôle ambiguë avec les Touaregs ainsi que l’ensemble des peuples nomades. Dès 1979, il a en effet lancé un appel à tous les peuples nomades du Sahara les incitants à migrer et à venir se fixer en Libye. Beaucoup, convaincu alors du bien fondé de cet appel, ont rejoint la Libye.
A cette période, il a fait voter le décret 312 qui précise que les Touaregs, les Maures et les Toubous sont considérés comme citoyens de la Libye, avant la colonisation italienne. Une fois la Libye « libérée » (en 1969), ces trois peuples peuvent rentrer dans leur pays et jouir de la nationalité libyenne. C’est ainsi que nombre des Touaregs et autres populations nomades furent naturalisés au début des années 80.
Ces tribus Touaregs nigéro-maliennes fraîchement naturalisées vinrent renforcer les effectifs des tribus Touaregs d’origine libyenne. Quelque soit leur origine (libyenne ou sahélienne), nombres de Touaregs furent enrôlés par Kadhafi dans sa légion étrangère. Aux côtés des Toubous et des Sahraouis, les Touaregs nigéro-libyco-maliens de la légion étrangère intégrèrent des compagnies militaires de Tripoli : Camp du 2 mars, du 7 avril (jouxtant Bab El Azizia :bunker de Kadhafi), de Tajoura, de Wadi, de Rabigue, de Ben Walid, de Badre ou de la Mathaba ou des compagnies militaires du sud-ouest désertique dans la région de Sebha, à Waw n’Amouss, Oubary, Jouffra, Kouffra et Ghat.
L’animosité de certaines populations libyennes à l’encontre des Touaregs vient essentiellement du fait qu’ils voyaient d’un très mauvais œil la naturalisation des ces tribus nomades venues d’Afrique noire, en somme la naturalisation de gens qui n’étaient pas de la même origine qu’eux. Un autre facteur est lié au fait que ces populations étaient utilisées par Kadhafi pour le maintien de l’ordre dans les villes, les villages et les frontières et surtout dans ses guerres. Cette légion composée de nomades sahariens, dont des Touaregs, se battit au Tchad, au Liban, en Ouganda, au Mali et au Niger, parfois bien delà…
Mercenaires, légionnaires et militaires
Kadhafi n’a jamais eu confiance en son armée. Pour limiter l’autonomie et le pouvoir de cette dernière, il créa les « agents de la révolution » et « des comités populaires » ainsi que toute une panoplie de pouvoirs et de contre-pouvoirs dont il est le seul à tirer les ficelles. L’une de ses stratégies consiste à monter les populations d’une même région les unes contre les autres, comme par exemple lorsqu’il oblige les Touaregs de la région du Fezzan à occuper des responsabilités au sein de l’administration, des comités populaires et des forces armés libyennes, au détriment d’autres populations du Fezzan.
Paradoxe libyen ou kadhafien, alors qu’il soutenait les berbères touaregs, il a toujours réprimé férocement les Berbères de Zouara, de Zintane et du Jabal Arabi, arguant que leur langue et leur écriture n’était qu’un amalgame de signes maçonniques ou hébraïques et qu’il fallait donc voir en eux des sionistes.
Les revendications culturelles des Touaregs d’origine libyenne ont toujours été étouffés à coups d’intimidations ou d’achat des consciences. Au fil des ans (nous en sommes à 42 ans de révolution !) les Touaregs d’origine libyenne ont fini par s’arabiser. En revanche, les Touaregs naturalisés d’origine nigéro-malienne sont restés plus libres de vivre leur identité, essentiellement parce qu’ils conservaient des liens avec les autres confédérations touarègues de l’Algérie, du Mali et du Niger et parce qu’ils servaient sur les théâtres des conflits kadhafiens.
Kadhafi, un mal nécessaire pour les Touaregs ?
Si de nombreux jeunes touaregs ont accepté de mourir dans les guerres de Kadhafi, c’est que le « guide » leur avait promis un soutien lors de la préparation de leur rébellion contre les états malien et nigérien. Soutien qu’il leur retira à la fin des années 1980. Malgré ces revirements, Kadhafi reste pour les Touaregs, le seul président d’un état à avoir publiquement condamné les massacres dont ils ont été victimes dans les années 1963, 1990 et 2010. Il est aussi celui qui, des nomades qu’ils étaient, a su faire d’eux des administrateurs, des artistes, des troupes d’élite, etc.
Même si Kadhafi est un sanguinaire et que le monde entier en a bien aujourd’hui conscience, une petite frange de la population touarègue continue de lui accorder un soutien sans faille, convaincu (peut-être à tors) que Kadhafi la défendra contre les persecutions en Libye et dans leurs pays d'origine. Des centaines de Touaregs, depuis les années 1980, sont refugiés sous des abris de fortune, sans reconnaissance officielle de leur statut. Mais, comme tout habitant de la Libye, bénéficie de l’eau et de l’électricité gratuite et de certains biens de consommation subventionnés par l’état. Avantage que les Touaregs Sahéliens ne trouveraient pas dans leur pays d’origine.
Par ailleurs, beaucoup de Touaregs craignent l’après Kadhafi, car il signifierait un nouvel exil ou retour vers le Sahara nigéro-malien qu’ils ont quitté il y a parfois trente ans ou plus. Ce même Sahara, à présent truffé d’islamistes, de trafiquants en tous genres et de multinationales comme Areva qui irradient le sol, l’air et l’eau d’innombrables particules radioactives. Les récentes rebellions touarègues dans ces pays n’ont abouti à aucun accord sur l’intégration et le partage des richesses dont sont exclus les Touaregs.
Y aura-t-il un après Kadhafi ?
La majorité des intellectuels Touaregs libyens exilés en Europe ou dans le monde qu’ils soient ambassadeurs, écrivains ou chefs de tribus ont rejoint l’insurrection. En Libye, ils crient leur rage de démocratie, ivres d’une liberté chèrement acquise. Mais vers quelle démocratie vont-ils pencher ? Vont-ils permettre l’éclosion d’un espace de reconnaissance d’autrui où chacun pourra exercer sa culture au grand jour sans peur de la répression ?
La présence d’étrangers, parfois considérés comme des miliciens, s’explique par le fait que les compagnies militaires cités plus haut n’ont jamais fermés leurs portes, qu’elles ont formé et qu’elles continuent de former des soldats d’élites. Même si les étrangers qui composent ces troupes sont en congés ou réservistes chez eux, sur tout le continent africain, ils restent membres de la légion et peuvent être appelés en renfort à tout moment. Kadhafi fait garder son pays par des étrangers, formés dans ses camps et pas par son armée, qui délaissée, n’a plus que du matériel obsolète. Les seuls libyens de souche à être membre de la légion, à prendre part à ce qu’appellent les médias « la contre-offensive de Kadhafi sont les Gadadffi (tribu de Kadhafi) et les M'garkha à majorité touarègue.
La Libye semble s’acheminer à pas de géant vers une guerre civile… Le chaos, les règlements de compte et les exactions à l'encontre des sub-sahariens dans les deux camps font peur aux libyens comme aux étrangers qui fuient en masse vers les pays limitrophes. Pour se maintenir au pouvoir, Kadhafi s’appuie sur les troupes d’élite de sa légion étrangère et contrairement aux rumeurs, les mercenaires sont bien moins nombreux que les membres de celle-ci.
Je connais Kadhafi pour l’avoir rencontré alors que je servais dans la compagnie « Ali ibn Aboutali » de Zawiya à 50 km de Tripoli. C’est un homme qui reculera devant aucun massacre pour se maintenir au pouvoir. Seule la force peut l’arrêter, lui et ses enfants.
1 commentaire:
salut Roumar,
est ce qu'enfin ce conflit va faire "entendre" raison aux touaregs éperdus qui se sont vendus à gadafi pour sortir de leur misère, est ce qu'enfin Achak va rimer avec qq chose d'actuel dans le monde d'aujourd'hui ? et tous vos cousins, demi-frères, etc...qui sont enrôlés là-bas, vont-ils enfin prendre leur RESPONSABILITE ??
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